Publié le 24 Oct 2022 - 13:39
TCHAD

Une ONG alerte sur des centaines de «déportations» après les manifestations meurtrières

 

L'enquête sur les violences qui ont ensanglanté le Tchad jeudi 20 octobre se poursuit au Tchad après la manifestation de l’opposition. Outre les morts et les blessés, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) alerte sur ce qu’elle qualifie de « déportation » vers le nord du pays, pour une destination inconnue, de plusieurs centaines de personnes interpellées.

 

Les dizaines de personnes interpellées après les manifestations interdites de jeudi dernier ont-elles pu être emmenées au bagne de Koro Toro ? C'est la question que se pose la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), qui alerte sur ce qu'elle qualifie de « déportations ». « Nous sommes débordés par les témoignages des parents au niveau de Moussoro [une ville située sur la route entre Ndjamena et Koro Toro, ndlr]. Ils ont aperçu plusieurs véhicules transportant entre 500 et 1 000 personnes en train d'être déportées vers une destination inconnue en violation de tous les droits nationaux et internationaux ratifiés par le Tchad. Est-ce que nous sommes devenus un État voyou ? », s'interroge le représentant de l'ONG Dobian Assingar qui demande à la communauté internationale d’agir vite, au micro de notre correspondant à Ndjamena, Madjiasra Nako.

Pour lui, des mesures sont nécessaires pour que la situation ne dégénère pas. Le représentant de la FIDH appelle à un sursaut national et international : « Nous appelons la communauté internationale à prendre au sérieux ce qui se passe dans le pays. Les autorités, le gouvernement, le président de la transition, le Premier ministre de la Transition, chacun doit jouer pleinement son rôle de véritable dirigeant, parce que demain, si les choses se passent mal, ils se retrouveront devant la justice internationale. »

Le ministre tchadien de la Communication et porte-parole du gouvernement, Aziz Mahamat Saleh confirme bien que « plusieurs dizaines » d'arrestations ont eu lieu, sans en donner le nombre précis. En revanche, il dément que ces personnes interpellées aient été envoyées vers le bagne de Koro Toro (centre-nord).

 « Nous sortons d'un dialogue où la question de la justice a été au cœur du débat, rappelle le ministre. Nous avons un garde des Sceaux qui est également un ministre de l'opposition de l'ancien régime et je ne pense pas que ce soit le moment de s'adonner à des pratiques d'un autre âge. Pour le moment, il faut situer les responsabilités, faire des arrestations ciblées en fonction de ceux qui ont commis des actes et les mettre à la disposition de la justice ».

Une répression inédite

Jeudi, les manifestants entendaient contester la prolongation de deux ans de la période de transition politique et le maintien au pouvoir de Mahamat Idriss Déby, le fils de l’ancien président. Le bilan de la répression est estimé à une cinquantaine de morts, surtout à Ndjamena, Moundou et Koumra, et environ 300 blessés, selon le nouveau chef du gouvernement, Saleh Kebzabo.

« C'est une des pires répressions à laquelle on a assisté depuis de nombreuses années en Afrique francophone. On peut parler de massacre, estime Laurent Duarte, secrétaire exécutif de l'ONG Tournons la page» 

Dans un communiqué intitulé « Jeudi noir au Tchad : des carnages, des enlèvements et des arrestations », l’Association tchadienne pour la promotion des droits de l’homme (ATPDH) dénonce la répression organisée par les forces de sécurité et de défense. Son vice-président Lazare Djekourninga annonce l’ouverture de consultations auprès des victimes pour documenter les crimes commis jeudi dernier dans la perspective d’une plainte internationale. 

Pour Laurent Duarte, la violence de la répression illustre la nature profonde du régime, malgré le dialogue national dit « inclusif ». « Pour nous, il n’y a pas eu véritablement d'avancée. Idriss Déby père faisait déjà la même chose, c'est-à-dire qu'à chaque fois qu'il y avait des tensions politiques, on organisait des grands dialogues qui permettaient de coopter, d'acheter une partie de l'opposition et de donner un vernis démocratique, souligne-t-il. Aujourd'hui, c'est très clair, la meilleure manière de se maintenir au pouvoir au Tchad, c'est de tirer sur les opposants. »

Le président de la commission de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), l'Angolais Gilberto da Piedade Verissimo a entamé samedi à Ndjamena une mission d’évaluation de la situation. Il a notamment visité quelques sites touchés par les manifestations et rencontré le Premier ministre Saleh Kebzabo. Au terme de la mission, Gilberto da Piedade Verissimo élaborera un rapport qui sera soumis à la 2e session extraordinaire des chefs d’État de la CEEAC prévu mardi 25 octobre à Kinshasa en RDC.

Des tirs de « personnes en civils »

Concernant les violences, le ministre tchadien de la Communication confirme les informations selon lesquelles « des personnes en civil » seraient descendues de véhicules, avant d'ouvrir le feu sur la foule lors des manifestations. « Vous avez des personnes en civil qui ont été filmées. Des services sont en train de faire tous les regroupements pour pouvoir procéder aux arrestations, affirme Aziz Mahamat Saleh. Il y a vraiment eu des attaques délibérées et c'était insurrectionnel. L'objectif était de prendre le pouvoir par tous les moyens, en voulant absolument qu'il y ait du sang. »

Le ministre accuse l'opposant Succès Masra, président du parti Les Transformateurs d'avoir appelé à prendre les armes. Le Premier ministre Saleh Kebzabo avait déjà mis en cause Succès Masra ainsi qu'un autre opposant Yaya Dillo.

Mais le ministre tchadien de la Communication et porte-parole du gouvernement n'exclut pas non plus la possibilité d'une implication de partisans du pouvoir dans ces tirs meurtriers. Le ministre précise que parmi la cinquantaine de victimes recensées, « pas moins d'une quinzaine » de membres des forces de l'ordre ont été assassinés en voulant défendre les lieux où ils se trouvaient en faction.

 RFI

 

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