Publié le 22 Apr 2022 - 18:35
TRAFIC DE PASSEPORTS DIPLOMATIQUES

Le parquet requiert des peines de 2 ans à 3 mois de prison ferme  

 

Le représentant du ministère public a requis, hier, des peines de 2 ans à 3 mois ferme de prison contre les députés Boubacar Biaye, El Hadj Mamadou Sall, Diadji Condé et Sadio Dansokho. Poursuivis pour association de malfaiteurs, escroquerie, faux et usage de faux sur des documents administratifs et faux en écriture publique authentifiée, ils ont fait face, hier, aux juges de la Chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Dakar. 

 

Environ une année après son éclatement, l’affaire des passeports diplomatiques, qui avait éclaboussé l’hémicycle, a été évoquée, hier, à la barre de la Chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Dakar. Les députés de la mouvance présidentielle, Mamadou Sall, Boubacar Biaye, le commerçant Diadji Kondé et Sadio Dansokho se sont finalement expliqués devant le juge de cette juridiction pénale, après sept mois de détention préventive.

Poursuivis pour association de malfaiteurs, escroquerie, faux et usage de faux sur des documents administratifs et faux en écritures publiques authentifiées, ils sont tour à tour revenus sur leur implication dans cette affaire. 

Les prévenus font du système de la dénégation leur moyen de défense 

Entendu en premier, El Hadj Diadji Kondé, qui s’est vu remettre des sommes variant entre 700 mille et 4 millions de francs CFA, conteste les faits qui lui sont reprochés. ‘’Lorsque Oumou m'a sollicité pour la faire voyager, je lui ai carrément dit que je ne pouvais pas le faire, puisque je n'étais qu'un démarcheur ou facilitateur. Je lui ai proposé le montant de 4 millions, parce que je ne voulais pas qu'elle me paie par moratoire, comme l'a fait sa copine Aïssatou. Et quand j'ai reçu des invitations de mes collaborateurs établis en Europe, je l'ai contactée et elle m'a remis un million de francs CFA pour un début. Lorsque j'ai déposé pour elle, on a rejeté sa demande à cause du confinement, suite à la Covid-19 et elle le sait bien’’, a-t-il raconté.

Néanmoins, il renseigne qu’il n’a jamais confectionné un certificat de mariage qui dit qu'elle est l'épouse d’El Hadj Mamadou Sall. S’agissant de Gamette Camara, le prévenu renseigne qu’il l’a rencontrée par le biais d’une amie. Sur le certificat de nationalité sénégalaise que détenait cette dame guinéenne, El Hadj Diadji Kondé conteste être celui qui l’a confectionné. Alors qu’à l’enquête, il avait reconnu avoir conduit Gamette et Oumou Touré à l'Assemblée nationale au bureau de Mamadou Sall et que ce dernier avait garanti le voyage, le prévenu a fait un revirement à 360 degrés.

Par ailleurs, une perquisition de son domicile avait permis aux enquêteurs de saisir des photocopies de certificat de mariage, quatre passeports ordinaires et des photocopies de passeport diplomatique. Pour se dédouaner, il a soutenu que ces documents étaient chez lui depuis 2017.

Poursuivi pour les mêmes faits, le député Boubacar Biaye conteste avec véhémence toute relation avec Kondé. ‘’J’ai été surpris, quand j’ai entendu qu’un certificat de mariage a été établi à mon nom. J’ai connu Kondé via mon ami Gomis, en 2017. Puisque ce dernier voulait le faire voyager avec sa sœur et son frère. Comme je suis l'ami de Gomis, en 2017, il est venu me demander de garantir ces voyages. Comme il n'y a jamais eu de frontières entre nous, car je suis son mentor en politique, je l'ai autorisé à prendre tout document nécessaire pour ledit voyage. Je n'ai pas contrôlé les documents qu'il a pris, mais je suis sûr et certain qu'il n'y a pas de photocopie de passeport valide’’, raconte-t-il.  

‘’Je voulais juste garantir le voyage de la sœur de Gomis, en 2017. Et celle qu'on présente à la barre comme ma femme, c'est aujourd'hui que je la vois pour la première fois. Et je n'ai pas vu le certificat de mariage qui l'atteste. Je n'ai jamais confié de mission à Kondé. Parmi les papiers que Gomis avait pris dans ma chambre, il y avait mon passeport diplomatique, mon certificat de député, des documents de mes indemnités’’, fulmine-t-il. 

Accusé d’avoir établi un contrat de travail au nom du conseil départemental, Sadio Dansokho nie et affirme n’avoir jamais établi ce document. S’agissant de son interpellation, il renseigne : ‘’C'est depuis Saraya que la Dic m'a appelé et convoqué. C'est une fois à Dakar qu'on m'a notifié que je suis poursuivi pour ces faits. Je ne connais pas la partie civile Niélé Sylla et j'ai entendu son nom dans la presse et sur les réseaux sociaux, lorsque l'affaire a éclaté.’’ 

A l’instar de ses coprévenus, le député El Hadj Mamadou Sall a adopté même le système de dénégation comme moyen de défense. A l’en croire, il a connu la dame Oumou Touré dans son bureau, à l’Assemblée nationale. Il soutient qu’il ignorait que son nom était inscrit sur les certificats de mariage. 

Les plaignants restent formels et acculent les comparants

Des allégations battues en brèche par les plaignants, notamment Oumou Touré. Dans son récit, elle renseigne : ‘’Je voulais voyager. Mais comme ma demande de visa a été rejetée, ma copine Aïssatou m'a fait savoir que Kondé lui a donné un coup de main pour son voyage. Et lorsque nous sommes allées auprès de lui, il m'a dit qu'il allait me trouver un passeport diplomatique pour que je puisse voyager. Et il m'a proposé en contrepartie la somme de 4 millions 500 mille. Il m'avait même dit qu’il travaillait en collaboration avec un député. Mais je lui ai dit qu'avant qu'on ne commence la procédure, il devait me montrer le député dont il parlait. Il m'a conduite à l'Assemblée nationale où j'ai rencontré le député El Hadj Mamadou Sall. C'est là que la confiance s'est installée’’.

Se voulant plus précise, elle poursuit : ‘’Kondé m'a demandé la photocopie de mon passeport ordinaire et ma carte d'identité que je lui ai envoyés. Avant qu'il ne me donne un papier de mariage qui attestait qu’El Hadj Mamadou Sall était mon mari, je lui ai remis 4 millions par tranche. Par ailleurs, il m'avait suggéré de mettre du henné sur ma main pour que mes empreintes ne soient pas marquées, avant d'aller à l'ambassade d'Autriche. Cela n'a pas fonctionné, lors de la prise des empreintes. Mais une fois là-bas, il m'a présenté comme madame Boubacar Biaye devant les agents consulaires et non celle de Sall.’’ 

Entendue ensuite, Gamette Camara a cassé du sucre sur le dos de Kondé qui nie avoir confectionné le faux certificat de nationalité. ‘’J’ai connu Kondé par le biais d’une amie. Après marchandage, on a convenu de la somme de 4 millions pour aller au Portugal. Mais c'est la somme de 3 millions 350 mille que je lui ai remise pour obtenir le visa. Je lui ai remis ça, parce qu'il m'a révélé qu'il travaillait avec des connaissances. Il m'a apporté un faux extrait de naissance qui attestait que j'étais née à Kédougou, alors que je suis guinéenne, et un papier de mariage pour le voyage. Mais depuis lors, je l'appelais et il ne répondait pas. C'est là qu’Oumou m'a remis son autre numéro sur lequel je l'ai joint. Dans le certificat de mariage, il était mentionné que j'étais l'épouse de Kondé’’, soutient-elle.

Le procureur : ‘’ Pour moi, il n'y a pas de délinquants VIP’’

Dans sa plaidoirie, l’avocat de la partie civile, François Senghor, a soutenu que Condé est l’arme du crime et les députés les escrocs. Il a réclamé 5 millions de francs CFA pour Oumou, 4 millions de francs CFA pour Gamette Camara et 1 million de francs CFA pour la dame Fatoumata. 

De l’avis du procureur de la République, n’eût été le courage d’Oumou et de Gamette Camara, cette affaire n’aurait jamais éclaté. ‘’C'est Condé le recruteur. Quant aux députés, ils sont ceux qui rassuraient. Ces députés doivent être sanctionnés comme des délinquants ordinaires. Et pour moi, il n'y a pas de délinquants VIP. Il faut condamner Condé à 2 ans ferme, après confusion des peines. Biaye, Dansokho et Sall à 2 ans dont 3 mois ferme’’, a requis le représentant du ministère public. 

Par contre, Me Alioune Badara Ndiaye a sollicité la relaxe, au bénéfice du doute, de son client Diadji Condé. Tandis que Me Abou Dialy Kane a demandé au tribunal d’accorder aux prévenus une peine assortie du sursis, car ils ont séjourné durant sept mois à la citadelle du silence.

Après avoir rejeté les demandes de mise en liberté provisoire formulées par les avocats des prévenus, le tribunal a fixé la date du délibéré au 19 mai prochain. 

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