Publié le 11 Jun 2025 - 03:09
VISITE DE SONKO À PÉKIN

Une diplomatie économique au service de la souveraineté

 

Après avoir successivement posé ses valises à Abidjan, Freetown et Conakry, le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, s’apprête à franchir un cap majeur dans son agenda diplomatique. Du 22 au 27 juin 2025, il effectuera une visite officielle en République populaire de Chine, où il sera reçu par son homologue Li Qiang. Un déplacement hautement stratégique, qui marque une rupture assumée avec l'enclavement dakarois et continental des premiers mois de gouvernance et traduit une volonté claire de diversification des partenariats, dans un contexte mondial en recomposition rapide.

 

Loin d’être une simple escale protocolaire, cette mission en Chine s’annonce comme une séquence charnière dans la stratégie économique et diplomatique du gouvernement Diomaye Faye. Depuis l'alternance du 24 mars 2024, l’Exécutif affiche sa volonté de rompre avec une diplomatie centrée sur les partenaires traditionnels, notamment occidentaux, pour embrasser une approche plus multipolaire. Dans ce cadre, la Chine, premier partenaire commercial de l’Afrique et principal créancier du continent, apparaît comme un acteur incontournable.

C’est donc avec des objectifs clairs qu’Ousmane Sonko s’envolera pour Pékin. À l’agenda : des entretiens bilatéraux de haut niveau avec les autorités chinoises, dont le Premier ministre Li Qiang, mais aussi une participation remarquée au Forum économique mondial d’été — le "Davos chinois" — où il entend promouvoir la destination Sénégal devant un parterre d’investisseurs internationaux.

Des ambitions concrètes pour un nouveau cycle de coopération

À travers cette visite, Dakar vise plusieurs cibles. Il s’agit, d’abord, de consolider le partenariat stratégique sino-sénégalais, déjà alimenté par les accords conclus lors de la visite du président Diomaye Faye en 2024. Ensuite, approfondir les relations économiques et commerciales bilatérales, à travers des investissements ciblés dans les secteurs des infrastructures, de l’énergie, du numérique et de l’industrie.

La visite vise également à explorer de nouvelles opportunités dans les domaines prioritaires, comme les zones économiques spéciales, la transformation des matières premières ou encore la digitalisation de l’Administration publique. Enfin, elle ambitionne de renforcer les liens culturels et populaires entre les deux nations, dans un contexte où la Chine mise sur le soft power en Afrique à travers la coopération universitaire, médiatique et technologique.

Une coopération à repenser : entre opportunités et vigilance

Pour les autorités sénégalaises, Pékin est bien plus qu’un partenaire de substitution : il est un levier d’accélération pour des projets structurants. Mais encore faut-il savoir lire entre les lignes. Dans un entretien récent, Lamine Guèye, expert en commerce international formé en Chine, rappelait que l’Empire du Milieu ‘’a beaucoup investi en Afrique, au point que la valeur des échanges commerciaux a été multipliée par vingt, entre 2002 et 2020’’. Une réalité qui fait du géant asiatique le premier partenaire commercial et principal créancier du continent.

Mais M. Guèye prévient : ‘’Pour nouer un partenariat gagnant-gagnant, il faut scruter les conditions de ces investissements et veiller à ce que la Chine fasse preuve de flexibilité face à l’endettement africain.’’

Il souligne, par ailleurs, l’enjeu fondamental de l’industrialisation de l’Afrique, pour que les exportations ne se limitent plus à la matière première. ‘’Il faut que les produits africains accèdent plus facilement au marché chinois, y compris au plan normatif et tarifaire’’, plaide-t-il.

Cette exigence de réciprocité devient d’autant plus urgente que les investissements chinois sont souvent liés à des emprunts conditionnés ou à des concessions sur les ressources naturelles. Si le Sénégal veut tirer le meilleur de son partenariat avec Pékin, il devra défendre une posture ferme, lucide et stratégiquement préparée.

Vers un hub logistique en Afrique de l’Ouest

Un autre pan important de cette visite concerne les ambitions géoéconomiques de Dakar. En lien avec l’Initiative la ceinture et la route (Belt and Road Initiative), le Sénégal entend faire de sa capitale un hub logistique et commercial régional adossé à un réseau d’infrastructures modernes : port de Ndayane, autoroute Mbour - Kaolack, chemin de fer Dakar - Tambacounda, etc.

La Chine, très avancée dans l’ingénierie des grands projets, pourrait devenir un partenaire clé pour accélérer ces chantiers. En cela, la visite de Sonko doit s’interpréter comme un signal fort : le Sénégal veut se positionner non pas en client passif, mais en acteur proactif de la nouvelle géographie économique mondiale.

La diplomatie version Sonko assume pleinement sa dimension économique. Dans les semaines qui ont précédé ce voyage, le Premier ministre a multiplié les déplacements dans la sous-région (Côte d’Ivoire, Guinée, Sierra Leone) en misant sur l’intégration régionale et les complémentarités stratégiques.

Le déplacement en Chine ouvre une nouvelle séquence : celle d’une insertion maîtrisée dans les grands flux mondiaux d’investissement. Il ne s’agit plus de quémander, mais de négocier, avec une vision claire des priorités : énergie, sécurité alimentaire, connectivité numérique, emploi des jeunes.

C’est dans cette perspective qu’il faut également interpréter l’audience accordée le 6 juin dernier à Li Zhigang, l’ambassadeur de Chine à Dakar. Ce rendez-vous avait pour objectif de préparer méthodiquement le voyage du Premier ministre, preuve d’une diplomatie désormais structurée où chaque déplacement répond à une logique d’impact et d’alignement stratégique.

Avec cette participation au Forum économique mondial d’été, Ousmane Sonko veut inscrire le Sénégal dans les réseaux d'influence et de croissance du XXIe siècle, loin des circuits diplomatiques figés. Loin de son fief dakarois et des polémiques politiques nationales, c’est un chef de gouvernement en quête d’opportunités globales qui se présentera devant les investisseurs de Davos-Pékin.

Ce voyage est donc bien plus qu’une séquence diplomatique : c’est une affirmation de méthode et d’ambition. Un moment de vérité où se confronteront, en filigrane, deux visions du développement : celle des grandes puissances industrielles et celle d’un pays africain désireux de se construire sur la base de ses propres priorités.

Et dans cette dynamique, le pari chinois pourrait bien constituer l’un des pivots de la politique étrangère du Sénégal pour les prochaines années. À condition que les règles du jeu soient posées avec clarté, exigence et intelligence.

 

Encadré : Le Sénégal vers les Brics ? Une diplomatie d’équilibre en construction

Alors qu’Ousmane Sonko s’apprête à entamer une visite officielle en Chine, le Sénégal affine, en parallèle, sa stratégie d’ancrage dans un monde multipolaire. Dans une interview accordée récemment à Russia Today, la ministre des Affaires étrangères Yassine Fall a confirmé que Dakar a officiellement entamé des discussions pour rejoindre les Brics, ce regroupement géoéconomique de puissances émergentes (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) élargi récemment à l’Iran, à l’Égypte et à l’Éthiopie.

Pour les autorités sénégalaises, rejoindre ce pôle alternatif vise à sortir d’une dépendance historique vis-à-vis de l’Occident, sans pour autant rompre avec ses partenaires traditionnels.

‘’Le Sénégal a quelque chose à apporter aux Brics’’, soutient Yassine Fall, évoquant la stabilité du pays, sa position stratégique en Afrique de l’Ouest et sa volonté d’industrialisation. Pour Mikhail Gamandiy-Egorov, expert géopolitique, le Sénégal pourrait jouer un rôle de passerelle entre l’Afrique francophone et les puissances émergentes, en capitalisant notamment sur ses liens économiques avec la Chine, déjà premier fournisseur du pays.

Mais l’adhésion n’est pas automatique. Dakar devra convaincre, à la fois sur sa capacité économique (107e PIB mondial en nominal), mais aussi sur son positionnement diplomatique. Une tâche délicate dans un environnement mondial instable où chaque choix engage plus qu’une simple opportunité commerciale.

La visite du PM Ousmane Sonko à Pékin, en marge du Forum économique mondial d’été, pourrait ainsi préfigurer une bascule mesurée vers le Brics+ où le Sénégal ambitionne d’exister comme un acteur autonome, lucide, mais résolument tourné vers l’avenir.

Amadou Camara Gueye

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