Publié le 5 Aug 2014 - 15:26
PROCÈS KARIM MEISSA WADE

Une deuxième mi-temps de tacticiens

 

On prend les mêmes (exceptions) et on recommence ! Le 2e jour du procès de Karim Meïssa Wade, hier lundi, s’est résumé en une partie de ping-pong à trois entre le parquet, les avocats de l’État, et ceux du prévenu principal et de ses ‘’co-stars’’. De diatribe en diatribe, on en aurait presque perdu son latin !

 

Les avocats, loin de vouloir (à l’instar des gendarmes, nous y reviendrons) ‘’passer à la vitesse supérieure’’, dans le cadre d’un ‘’procès Karim’’ fleuve qui semble s’étirer à vue d’œil, ont passé une journée de plus à se quereller entre initiés. En effet, après deux jours d’audience, on en est encore au stade des exceptions et, plus précisément, de la 2e exception portée à l’attention de la Cour, à savoir le problème de sa propre compétence à juger le ‘’chouchou’’ du PDS…

Si, évidemment, les robes noires sont (de part et d’autre) dans le droit de se livrer cette ‘’guerre’’ de techniciens du droit, pour ne pas dire de tacticiens, force est de constater que, chez le commun des mortels, le débat peine à captiver puisqu’hier, pas mal de gens se sont surpris à carrément sommeiller sur leurs chaises, le moelleux du rembourrage desdits sièges et la climatisation centrale aidant…

Loin d’avoir à leur disposition un tel luxe, les inculpés sont restés alertes la journée durant, remuant dans leurs box comme des lions en cage. Karim Wade, tout particulièrement, était (et c’est à son mérite) très souriant dans son boubou en soie sauvage de couleur gris anthracite. Son éternel foulard blanc noué à la gorge, il a salué le public, dès son arrivée, sur le coup de 9h30 et étant, sans surprise, accueilli par les chants tonitruants d’une foule composée à 90% de ‘’mamans’’ dodues et tonitruantes de persuasion éminemment militantes et de notables du PDS.

Si à la vue de son visage, au moment des faits, on devine qu’il ne comprenait pas vraiment les paroles (en wolof) des chansons en question, il a eu la bonne grâce de se plier à l’exercice obligatoire du salut régalien des foules et autres ‘’V’’ de la victoire qui semblent être sa signature du moment… Aux cris de ‘’Karim Président !’’ ont répondu ceux de ‘’Voleur !’’. Mais, c’est avec une aisance pratiquée qu’il a ignoré ces derniers. Un 10/10, question communication politique, dans le cadre d’un procès où le mot même est tabou.

Rampino refait des siennes

Pour en revenir à l’audience, il faut noter que l’affaire Karim Wade a laissé place, le temps d’une audience expéditive, au procès Rampino. Une audience d’autant plus accélérée que la défense du prévenu elle-même s’est associée, dans une certaine mesure, aux réquisitions du parquet, après que ce dernier a, à nouveau, fait preuve d’un manque de respect évident envers les juges quand il s’est trouvé à la barre : «Nous devons défendre l’indéfendable et il n’y a pas de honte à dire que la tâche est difficile, même si nous ne pouvons, du fait de notre sacerdoce, nous y dérober’’, a déclaré Me Adama Fall, après que son client a traité la Cour d’«antibalakas de la justice» et autres politesses...

Et Me Michel Bessel Bass d’abonder dans le même sens : «Si un fou se présente ici, c’est quand même un être humain. Même si la peine requise de deux ans ne nous semble pas excessive, nous nous devons quand même de demander qu’il plaise à la Cour d’ordonner qu’une expertise psychologique soit faite au sujet de Moïse Rampino. Ne serait-ce que pour s’assurer qu’il est apte à être jugé.»

Autant dire que les avocats de ce dernier n’ont pas, mais pas du tout, cautionné les propos incendiaires qu’il a tenus à la barre ce lundi matin. À sa décharge, c’est peut-être parce qu’on lui a rasé sa luxuriante crinière afro et mis à la mode ‘’ndelfondong’’ que le jeune Rampino était si furieux… mais trêve de digressions !

La sentence refroidit la salle

Cette parenthèse fermée, le procès Karim a eu lieu dans une atmosphère sereine, car même les plus fervents partisans de ce dernier ont été refroidis par le couperet de la sentence de 2 ans ferme servie un peu plus tôt pour troubles à l’audience.  Ainsi, même si certains membres de l’assistance portaient haut et fièrement les couleurs du parti, ils l’ont tous fait en silence… Ce qui ne les a pas empêchés de faire sensation !

En effet, une ‘’garde rapprochée’’ de dames du PDS vêtues de ‘’ndokettes’’ en broderie immaculée entourait l’ex-première dame, elle-même vêtu d’un boubou blanc. Dans le même temps, une autre femme arborait un grand boubou jaune canari rebrodé de fil turquoise au centre duquel une énorme photo d’Abdoulaye Wade avait été sérigraphiée… Un beau coup de pub, si cette dernière ne s’était pas vu intimer l’ordre de quitter la salle dès l’entame du procès, parce qu’elle faisait trop de bruit !

Me Guedel Ndiaye et Bibo Bourgi, grands malades

Bien entendu, malgré ces couleurs comme des éclats chatoyants dans la salle, l’ambiance était loin d’être au beau fixe, du fait de la triste nouvelle concernant Me Guedel Ndiaye, un des avocats de la défense qui a été victime, la veille, d’un AVC… La maladie, en général, a été un des sujets les plus débattus de la journée, puisque l’état de santé de l’un des coïnculpés, le célèbre Ibrahima Aboukhalil alias ‘’Bibo’’ Bourgi a longuement été traité par la Cour.

En effet, les avocats du prévenu, à l’exemple de Me Baboucar Cissé ou encore Me Dreyfus-schmidt, se sont relayés à la barre pour réaffirmer, devant tous, la gravité de l’état de santé de leur client. Selon ses conseils, Bibo Bourgi serait ainsi atteint d’une infection urinaire aggravée et multi-résistante lui occasionnant des problèmes rénaux et cardiologiques… Le détail dudit dossier médical a été, hier,  détaillé à tel point que le Président du Jury a dû rappeler aux avocats de la défense la nécessité de protéger le secret médical y incombant.

Dans la foule, néanmoins, nombreux sont ceux qui ont émis l’idée que ce pourrait être une stratégie visant à prolonger la dispense de comparution dont bénéficie l’intéressé. Cette théorie, d’ailleurs, a déjà été relayée par les avocats de la partie civile, lors d’une conférence de presse donnée vendredi. Ces derniers estiment  qu’il s’agit d’un ‘’subterfuge’’ visant à aider M. Bourgi à se soustraire à la justice…

Bien évidemment, ces bruits de couloir rendent furieux les conseils de l’inculpé, notamment Me Dreyfus-schmidt qui s’est quelque peu emporté à la barre, en demandant notamment aux juges quelles explications ils comptaient donner, ‘’si par malheur, il arrivait quelque chose’’ à son client.

‘’La colonisation, c’est fini’’

Une remarque noyée sous une mer d’interventions passionnées de la part des deux camps et qui serait passée inaperçue, si le Président de la Cour Henry Grégoire Diop ne s’en était pas vertement pris à ceux qu’il a appelés les ‘’avocats étrangers’’ : «Je conçois qu’on en vienne à plaider avec passion, mais il faut éviter les attaques personnelles. Je m’adresse ici aux avocats étrangers et, tout particulièrement, à ceux qui viennent de Paris… La colonisation, c’est fini. Vous êtes devant la juridiction d’un État souverain. Donc, évitez de venir en terrain conquis. Les autres avocats africains ici présents, on ne les a jamais entendus mettre en doute les institutions de notre pays. Prenez un peu exemple sur eux », a déclaré le magistrat.

Le tacle, tacitement, aurait été adressé à M. Fartouat, un autre avocat parisien par ailleurs bâtonnier, mais la coïncidence et juste trop… flagrante !

Sophiane  Bengeloun

 

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