Publié le 23 Jul 2015 - 09:06
REDUCTION DU MANDAT

Et si le president Macky Sall s'inspirait du president Harry Truman 

 

Dans l’entre-deux-tours de la Présidentielle de 2012, le candidat Macky SALL, sollicitant les suffrages de ses compatriotes, prenait l’engagement ferme et solennel de gouverner pendant 5 ans au lieu de 7 ans, au cas où le sort des urnes tournerait à son avantage. Plus de 3 ans après l’élection triomphale de Macky SALL à la Présidence sénégalaise, l’heure du rétropédalage semble avoir sonnée, tant les velléités de reniement et les tergiversations sur cette épineuse question sont aujourd’hui ouvertement assumées par des pans entiers du camp présidentiel.

A cet égard, significative est la dernière trouvaille consistant à vouloir conditionner la concrétisation de cet engagement solennel, réitéré plusieurs fois après l’élection, au bon vouloir du Conseil constitutionnel auquel un avis juridique sur la faisabilité de l’opération sera demandé en temps utile par le Chef de l’Etat lui-même. Il va de soi qu’un tel argument ne peut résister longtemps à une analyse objective. En effet, dans notre Pays, le Conseil constitutionnel ne tient ni de la Constitution du 22 janvier 2001, ni de la Loi organique n° 92-23 du 30 mai 1992 modifiée, le pouvoir de statuer de manière générale et en toutes circonstances sur des demandes d’avis à lui adressées par le dépositaire suprême du Pouvoir exécutif. C’est dire que le Conseil constitutionnel du Sénégal ne dispose pas, à côté de sa compétence contentieuse, d’une compétence consultative de principe.

L’explication, c’est que le Constituant ne l’a guère mis en place pour être, de manière générale et inconditionnelle, le Conseiller juridique institutionnalisé du Président de la République. En réalité, la seule hypothèse légale où il est permis au Conseil constitutionnel de statuer sur une requête présidentielle pour avis consultatif est celle visée par l’article 51 de la Constitution, c’est-à-dire, celle où le Président de la République entend faire adopter un projet de loi constitutionnelle (ou un projet de loi tout court) par le Peuple sénégalais s’exprimant directement par voie de référendum. Auquel cas, avant l’organisation du référendum, l’avis du Conseil constitutionnel ainsi que celui du Président de l’Assemblée nationale s’imposent, puisqu’étant tous les deux exigés par la Constitution. Etant donné que la Constitution n’établit aucune hiérarchie entre ces deux avis émanant l’un d’un organe juridictionnel et l’autre d’un organe politique, l’on peut dire qu’ils sont d’égale dignité, leur dénominateur commun étant qu’ils ne lient pas le Chef de l’Etat, dès lors qu’il s’agit indiscutablement d’avis consultatifs et non d’avis conformes.

Ainsi, à supposer même que le Conseil constitutionnel et la personnalité qui occupe le perchoir du Palais de la place Soweto donnent, chacun, un avis défavorable non seulement au contenu du Projet de loi constitutionnelle (réduction du mandat du Président en exercice) mais aussi à la tenue du référendum, le Chef de l’Etat ne serait pas pour autant empêché de maintenir son projet en l’état, ni d’organiser le référendum en question. Cela étant, il va sans dire que si le Chef de l’Etat était amené à saisir le Conseil constitutionnel d’une demande d’avis en dehors de l’hypothèse prévue à l’article 51 de la Charte fondamentale, celui-ci devrait, à défaut de constater l’irrecevabilité de ladite demande, se déclarer logiquement incompétent, en vertu de sa compétence d’attribution strictement délimitée par les textes en vigueur et conformément à sa ligne de conduite traditionnelle.

Au-delà de ces considérations juridiques sur la conformité à la Constitution d’une éventuelle demande d’avis adressée au Juge constitutionnel par le Chef de l’Etat, il est loisible d’affirmer que le Président Macky SALL est en droit tenu d’honorer sa promesse solennelle de réduire son mandat actuel de 7 à 5 ans. D’une part parce que cette promesse a été faite dans un contexte précis où il ne restait plus que deux candidats en lice, l’un (le Président sortant) étant clairement dans la logique du septennat puisqu’il l’avait lui-même remis au goût du jour en 2008, l’autre exprimant sans ambages à la face du monde, à haute et intelligible voix (c’était à l’Hôtel Radisson Blue), sa ferme volonté d’exercer un quinquennat en cas d’élection.

Après le second tour de scrutin, le Président Macky SALL, élu peut-être en grande partie grâce à cette promesse, va plusieurs fois réitérer cet engagement, non seulement au Sénégal en diverses occasions (message à la Nation par exemple), mais aussi à l’étranger (sur le perron de l’Elysée), ou encore sur le plateau de la chaîne de télévision France 24. Le Président Barack OBAMA lui-même, 24 heures après avoir quitté notre Pays, magnifiait cet engagement du Président sénégalais à réduire son mandat lors d’un échange avec des étudiants sud-africains à Johanesbourg. Cet engagement a également valu au numéro 1 sénégalais les félicitations du Président du Parlement européen, Martin Schulz.  

En réalité, en confirmant de façon péremptoire la promesse de réduire son mandat lorsqu’il est devenu Chef de l’Etat, le Président Macky SALL a assumé une obligation juridique, c’est-à-dire, un engagement unilatéral comportant des effets de droit. Etant entendu que cet engagement juridique contraignant à son égard ne saurait en aucun cas être interprété comme supportant la possibilité d’une rétractation. En termes clairs, il a, ès qualité de Chef d’Etat, donné à la Constitution du 22 janvier 2001 une interprétation selon laquelle celle-ci peut bien être révisée à l’objet d’écourter le mandat de l’actuel Président en exercice.

A l’appui de cette thèse, l’on peut à bon droit se référer à l’étude fouillée de notre collègue, le Pr Ismaïla Madior FALL, actuel Ministre-Conseiller auprès du Président Macky SALL, en charge des affaires juridiques. Dans cette étude bien argumentée intitulée « De la constitutionnalité de la candidature du Président sortant ? », publiée dans le Journal « L’Observateur », n°2221 du jeudi 17 février 2011 (PP. 8-9), le Pr Ismaïla Madior FALL a suffisamment bien montré, pour qu’il soit nécessaire de s’y attarder, que le Chef de l’Etat, Gardien de la Constitution et épine dorsale de tout le système institutionnel, « figure au rang des interprètes majeurs de la Constitution » et que « l’interprétation présidentielle de la Constitution qui a force juridique» tient lieu, par la force des choses, de « droit positif non écrit ». Pour le Pr FALL, l’interprétation de la Constitution par le Chef de l’Etat ne peut jamais être « assimilée à la déclaration de n’importe quel autre citoyen ».

Au surplus, dans ses arrêts rendus le 20 décembre 1974 dans l’affaire dite des « Essais nucléaires », la Cour internationale de justice, organe judiciaire principal des Nations Unies, faisait valoir qu’étant donné le caractère éminent des responsabilités qui incombent au Président de la République et eu égard à la nature particulière des ses fonctions, lorsque celui-ci fait une déclaration avec l’intention de s’imposer lui-même un comportement donné, cette intention confère à sa prise de position le caractère d’un engagement juridique, avec cette conséquence qu’il est tenu en droit de suivre une ligne de conduite conforme à sa déclaration. Selon la plus prestigieuse des Juridictions internationales, une déclaration de cette nature, exprimée publiquement et dans l’intention de se lier, constitue un engagement ayant forcément des effets juridiques par définition obligatoires et contraignants. Ainsi, l’engagement unilatéral catégorique et librement consenti du candidat sollicitant les suffrages de ses concitoyens, confirmé maintes et maintes fois par le Président de la République qu’il deviendra est, de manière inévitable, source d’obligation juridique pour celui qui préside actuellement aux destinées du Sénégal par la grâce du suffrage universel.

Finalement, par souci d’honnêteté, le référendum envisagé ne devrait porter que sur la réduction du mandat, pour épargner au Peuple souverain le dilemme d’avoir à se prononcer sur un Projet de loi constitutionnelle fourre-tout et sournois, comportant à la fois des dispositions qui renforcent la démocratie sénégalaise et des dispositions qui la déconstruisent. Dans ces conditions, la question appelant la réponse du Peuple pourrait être rédigée ainsi : « Approuvez-vous le Projet de loi constitutionnelle portant réduction du mandat du Président de la République de 7 à 5 ans, cette réduction étant applicable au mandat en cours de l’actuel Président de la République ? ». A l’évidence, la victoire du « NON » serait peu probable parce que le Président de la République en exercice devrait tout naturellement battre campagne pour le « OUI », s’il est cohérent avec lui-même.

Et même si, par extraordinaire et par esprit de duplicité, la question soumise au Peuple devait indiquer que le mandat du Président de la République actuellement en fonction n’est pas concerné par la réforme, l’actuel Chef de l’Etat aurait le devoir moral de respecter, envers et contre tout, l’engagement qui a toujours été le sien d’exercer un quinquennat en lieu et place du septennat que lui confère la Constitution maintes fois manipulée par son prédécesseur. Ce faisant, personne ne lui reprocherait d’imiter le 33ème Président des Etats-Unis d’Amérique, le Démocrate Harry TRUMAN, dont la Présidence a été marquée par l’adoption en 1948 du 22ème amendement à la Constitution  américaine, amendement qui devait entrer en vigueur en 1951.

Ledit amendement avait pour objet de supprimer la possibilité pour tout Président des Etats-Unis de briguer un 3ème mandat. En fait, le 22ème amendement ne faisait que rétablir une tradition héritée de Georges WASHINGTON qui, après son éclatante victoire électorale en 1788 suivie de sa réélection en 1792, refusa de se présenter à la Présidentielle de 1796, alors même que la Constitution ne l’interdisait pas. Le 1er Président des Etats-Unis d’Amérique motivait sa décision par le danger pour les institutions américaines que constitue la présence continue et durable d’une seule et même personnalité à la plus haute charge de l’Etat.

Pendant 144 ans, cette tradition constitutive d’une coutume constitutionnelle ne sera jamais démentie, jusqu’en 1940 où elle sera rompue par le Démocrate Franklin ROOSEVELT. Celui-ci, élu en 1932, sera en effet réélu trois fois (en 1936, 1940 et 1944) avant de succomber à la maladie à l’aube de son 4ème mandat, le 12 avril 1945, moins d’un mois avant la capitulation de l’Allemagne Nazi. Le Vice Président Harry TRUMAN prêta aussitôt serment pour terminer le mandat, mais il ne sera élu Président des Etats-Unis sur son nom qu’en novembre 1948. Il est significatif de relever que le 22ème amendement n’était pas juridiquement opposable à Harry TRUMAN dans la mesure où le texte dispose qu’il est inapplicable à la personne qui occupait les fonctions présidentielles à la date où il a été proposé par le Congrès à la ratification des Etats.

Ainsi, fort du précédent de son prédécesseur, Harry TRUMAN aurait pu se présenter à la Présidentielle de novembre 1952, à celle de novembre 1956 voire, théoriquement, aux Présidentielles ultérieures. Le 22ème amendement précisait en effet que c’est seulement après sa Présidence (1945-1952) que nul ne pourra plus être élu plus de deux fois à la tête de la Fédération. Et pourtant, dans un élan de sagesse, de grandeur et de lucidité, le Président TRUMAN se plia volontairement au 22ème amendement en décidant de ne pas se présenter à la Présidentielle de Novembre 1952. Par ce comportement digne des grands seigneurs soucieux d’inscrire leur nom dans le panthéon de l’histoire, par ce geste historique d’homme d’Etat, le Président TRUMAN écrivait l’une des plus belles pages de l’histoire constitutionnelle et politique des Etats-Unis d’Amérique.

Au bout du compte, les thuriféraires et autres tambourinaires intellectuels du Président Macky SALL qui cherchent à théoriser une éventuelle volte-face de ce dernier, le poussent fatalement à la faute. Si l’actuel Chef de l’Etat venait à céder à la pression de courtisans qui ne sont manifestement motivés que par leurs intérêts de carrière, il commettrait la plus grave erreur de sa fulgurante carrière politique. Inutile de dire qu’une telle erreur, pour ne pas dire une telle faute, serait pour lui lourde de conséquences sur le plan politique et Dieu seul sait s’il parviendrait à s’en relever. Le cas échéant, les Sénégalaises et les Sénégalais qui avaient plébiscité sa candidature le 25 mars 2012 se poseraient légitimement la question suivante : « Jusqu’où ira notre Président dans la négation de lui-même ? ».

En définitive, la bonne décision, la seule qui s’impose, c’est le respect de la parole donné. Autrement, ce serait bien dommage pour un si jeune Président.

                                                                                                                           Dakar, le 22 juillet 2015.

             Pr Mactar KAMARA,

             Agrégé de Droit public,

             Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD).

 

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