Publié le 24 Feb 2016 - 10:24
LA DISPARITION DE LAURENT BASQUE

" Notre Pays perd un homme de bien "

 

Témoignage sur un professionnel qui a été un des principaux animateurs du marché des matières premières en Côte d’Ivoire pendant les années 1990

 

Les religieux ont beau nous répéter que cette terre n’est pas notre demeure, les mystiques ont beau renchérir que nous sommes des pèlerins en marche vers une autre destination, les poètes ont beau nous assimiler à des oiseaux migrateurs, lancés dans des parcours vers des ciels plus bleus, nous ne serons jamais préparés à nous résoudre à la disparition d’un être cher. Cette calamité sera toujours, chez les survivants, la cause d’un choc sans limite. Sans rien ignorer de la finitude de l’être humain, je n’ai pourtant jamais été aussi bouleversé que depuis la disparition de Laurent Basque, le mercredi 10 février 2016.

Laurent Basque faisait partie des miens. Installé depuis 2013 à Dakar où je vis moi-même depuis une quinzaine d’années, il figurait naturellement au nombre de mes fréquentations. Notre dernière rencontre remonte au 25 décembre dernier, à Saly au Sénégal. Nathalie et Laurent étaient venus à la maison ce matin de noël, pour souhaiter la bienvenue à Monica, mon épouse. Nos enfants s’étaient amusés la veille, jusqu’au petit matin. Quelques jours après, les usages nous donnèrent l’occasion de nouveaux échanges. Nos vœux visèrent le bonheur, la prospérité, la santé et évidemment… la longévité. Comme on peut le voir, nos esprits n’étaient pas dans les dispositions d’une fin si soudaine.

J’ai fait la connaissance de Laurent Basque quand j’avais réuni, au début des années 90, les conditions du rachat des Établissements JEAN ABILE GAL. Je m’étais intéressé à cette affaire sans rien savoir du café-cacao. Il me fallait rapidement et impérativement un précepteur. Je m’étais ouvert de ce besoin à un ami banquier, Jacob Amematekpo. Il fallait qu’il me trouvât urgemment soit un bon connaisseur des secrets de ces deux produits, soit un employé de l’entreprise que je m’apprêtais à acquérir.

Une rencontre à trois

Jacob Amematekpo, vice-président à la Citibank à Abidjan, avait régulièrement été en contact avec Laurent Basque, premier Ivoirien à être entré chez JEAN ABILE GAL comme responsable des Achats puis responsable des Ventes. Il ne pense à personne d’autre, lorsque je lui soumets ma requête. Une rencontre à trois est bientôt organisée, qui ouvre immédiatement la porte à une relation ininterrompue jusqu’à ce fatidique mercredi 10 février 2016.   

Laurent Basque ne laisse pas indifférent au premier abord. Grand sportif, d’ailleurs déjà précédé par sa notoriété dans le monde du judo, il était également un élégant jeune homme, qui faisait sensation dès qu’il apparaissait. Sa conversation ne tarda pas à me révéler un interlocuteur aux idées bien conçues, qu’il énonçait clairement, les mots pour les dire arrivant aisément.

J’ai découvert ensuite un jeune cadre ingénieux, passionné de tout ce qu’il touchait, totalement impliqué dans son travail. Il avait répondu à mon attente en prenant son temps pour m’expliquer patiemment le café et le cacao. Il m’avait appris leur géographie, leur achat, leur conditionnement, leur vente, leur transformation même.

Démarrées dans le courant de l’année 1992, les tractations pour l’acquisition d’ABILE GAL étaient très difficiles. Pour avancer sur le dossier, la participation et le soutien constants de Laurent Basque se révélèrent déterminants. Ce fut l’expérience exceptionnelle d’une collaboration victorieuse, réalisée dans un engagement parfait et une camaraderie singulière.   

En raison des grandes aptitudes professionnelles et des hautes qualités humaines qu’il ne cesse alors d’étaler à mes yeux, je propose à Laurent Basque d’aller à Genève pour ouvrir et diriger un Desk Café chez INGLEWOOD, la société de négoce de riz par laquelle j’avais commencé mon implantation sur le marché de l’agro-industrie. Cette expérience aussi renforce nos liens et préserve la place de Laurent Basque dans toutes les grandes initiatives que je serai amené à prendre au cours des trois années suivantes. 

Lorsque, par exemple, je m’intéresse à l’hévéa et au coco râpé en 1993, je n’ai pas de conseiller plus averti que Laurent Basque. La SAPH représente alors 17 000 hectares de plantations d’hévéa en Côte d’Ivoire, et SICOR 10 % du marché mondial du coco râpé. Les avis formulés par mon ami pour m’éclairer, son assistance à toutes les étapes des tractations et sa détermination à atteindre les objectifs fixés me sont plus que précieux dans ces moments de prise de risque et de décision. Il m’accompagnera en Malaisie, en Indonésie et au Sri Lanka pour comprendre avec moi la chaîne des valeurs de ces produits.  

L’homme de la poupe

Entre 1992 et 1995, quatre années nous suffisent pour nous positionner comme un acteur majeur de l’agro-industrie. Désormais en effet, nous disposons d’un véritable empire, qui n’a plus rien à voir avec la seule société INGLEWOOD présente à Genève. Nous sommes propriétaires, avec les Établissements JEAN ABILE GAL, de plusieurs usines de café, de cacao et de riz. Nous avons le contrôle total de la Société Africaine des Plantations d’Hévéa (SAPH). L’acquisition de 60 % de la Société Internationale des Plantations d’Hévéa (SIPH), société cotée à la Bourse de Paris, place sous notre contrôle toutes les filiales de cette entité.

Nous sommes, de ce fait, propriétaires de plantations de café et de palmier à huile, ainsi que d’huileries au Cameroun. Nous sommes propriétaires de plantations de cacao à Sao Tomé et au Venezuela, de plantations d’hévéa au Ghana et au Mexique, et d’une usine de traitement des huiles essentielles en Côte d’Ivoire. Nous avons enfin acquis, à la Bourse d’Abidjan, 51 % du capital de SICOR après la mise en vente de cette unité par l’État de Côte d’Ivoire.

C’est une percée stupéfiante. Elle attire bien sûr tous les regards sur l’homme dressé à la proue du navire. Sait-on pourtant que celui qui se tient à la poupe est le personnage le plus important ? C’est en effet lui qui anime, qui impulse, qui oriente le trajet. Et ce barreur, à la poupe, n’était autre que Laurent Basque.

Le suivi de ces sociétés justifie le besoin de les organiser dans un ensemble structuré et cohérent, où chacune exercerait son rôle approprié à sa place appropriée. La formule adoptée est celle d’une holding détenant la majorité de l’actionnariat dans toutes les sociétés. C’est Laurent Basque qui se chargera de réunir toutes les pièces du dossier et de créer, chez Maître Cheickna Sylla, OCTIDE FINANCE.

Cette époque est, également, fortement marquée par l’implication de Laurent Basque dans les activités de l’Association pour la promotion des exportations de Côte d’Ivoire (APEX-CI). Laurent était en fait membre fondateur de cette structure, née au lendemain de la dévaluation du franc CFA, lorsqu’il fallait relancer le commerce extérieur de la zone UEMOA en général, de la Côte d’Ivoire en particulier. Le gouvernement ivoirien avait invité OCTIDE à participer à la création d’une instance chargée de cet objectif, et Laurent Basque qui était déjà un important technicien des exportations a été désigné pour représenter notre groupe dans l’équipe alors dirigée par Guy Mbengue.

Complicité intellectuelle

Plus le temps passe et plus je constate la proximité de vues, une véritable complicité intellectuelle même, entre Laurent Basque et moi. Faut-il s’en étonner, s’agissant de deux profils de trader ? L’un des terrains sur lesquels cette convergence va se manifester de façon déterminante est la décision du groupe OCTIDE de sortir de l’agro-industrie. Laurent Basque était le seul de mes collaborateurs qui avait compris cette option quand j’avais été amené à la prendre. Nous avions analysé ensemble l’historique des cours du pétrole depuis 1927 et la politique monétaire de la Réserve Fédérale, la FED, en 1995. Sur cette base, nous avions anticipé une chute drastique du cours du pétrole et, corrélativement, une chute du cours de l’hévéa, qui s’étendrait à la plupart des matières premières. Nous partagions l’avis que le calvaire durerait au minimum sept ans[1]. C’était une raison suffisante pour que le groupe OCTIDE sorte absolument, à brève échéance, de l’agro-industrie.

Quand la décision a été dûment arrêtée, nul n’était mieux placé que Laurent Basque, dans mon entourage, pour prendre part à sa mise en œuvre. Je lui sais gré aujourd’hui d’avoir accepté de passer le plus clair de l’année 1998 à Courbevoie, près de Paris, comme PDG d’EURONAT, la filiale de SIPH chargée du négoce du caoutchouc naturel. Sa mission était de liquider les positions d’OCTIDE, durant la phase préparatoire à notre sortie de l’agro-industrie.

La carrière bancaire

Dans ces moments d’effervescence, peu de gens ont compris la mue qui propulserait vers une carrière bancaire, ce pur produit du négoce des matières premières. La métamorphose n’était pas sans rapport avec la sortie du groupe OCTIDE de l’agro-industrie. Laurent Basque ne limitait pas l’intérêt de cette sortie au seul ensemble dans lequel il était employé. Il estimait également que son propre avenir professionnel ne pouvait plus se trouver dans une filière aux perspectives si sombres. Sa réaction en la matière était celle d’un bon trader. Lorsqu’au bout du chemin il n’y a pas d’issue, il faut changer de route. Il décida de cela pour son propre compte, sans tambour ni trompette. 

Le voilà bientôt en formation au CEFEB, le célèbre Centre d’études financières, économiques et bancaires dont l’Agence Française de Développement (AFD) est propriétaire à Marseille. L’AFD venait de me faire l’honneur de me demander le nom d’un collaborateur pour suivre une formation d’un an. Les yeux fermés si j’ose dire, j’avais avancé le nom de Laurent Basque. Je savais que cela ne pouvait pas tomber, pour lui, à un meilleur moment.

Le CEFEB se définit lui-même comme une université d’entreprise. C’est un établissement où des programmes de formation et de renforcement des capacités sont proposés à des salariés et des partenaires de l’AFD. Les Ivoiriens connaissent un peu cette structure puisque elle avait formé par le passé quelques références de la profession bancaire de leur pays. Par exemple René Amichia, ex-directeur général du Crédit Côte d’Ivoire, et Tiémoko Yadé Coulibaly, ex-directeur général de la SGBCI, sont des anciens du CEFEB, membres, tous les deux, de la promotion 1964. Laurent Basque sera, à la fin des années 1990, leur lointain cadet.

C’est cette formation qui le mènera à OMNIFINANCE où il secondera jusqu’en 2008, pendant près de dix ans, son vieil ami Jacob Amematekpo comme directeur général adjoint. Elle ne comptera pas pour peu non plus dans son entrée au groupe Bank of Africa où il dirigera tour à tour les filiales du Burkina Faso (mars 2009-août 2011), du Mali (août 2011-mars 2013) et enfin du Sénégal.

Depuis sa disparition, je ne suis guère étonné des éloges inspirés à tous par ses performances dans ce dernier métier. Le groupe BOA invoque notamment les développements importants qu’il a enregistrés sous les auspices de Laurent Basque, comme par exemple l’introduction en Bourse de BOA-Burkina Faso en décembre 2010.

Je me souviens, quant à moi, du jeune frère attachant, de l’ami fidèle et du compagnon diligent. Ce témoignage puisse-t-il justement montrer combien il a compté pour moi ! Laurent a été de tous mes combats, et dans ces combats, mon premier compagnon et mon premier lieutenant. Je suis accablé de le voir nous quitter aujourd’hui, au moment où le groupe OCTIDE est sur le point de se relancer. Nous avions encore tant à attendre de lui. Il avait encore tant à nous donner !    

Notre pays perd gros, dans la disparition d’un homme de cette envergure. Ses responsabilités des huit dernières années dans la sous-région ouest-africaine montrent combien il était outillé pour travailler à l’aise à l’international aussi bien que chez lui. Ses compétences contribuaient au rayonnement de la Côte d’Ivoire à l’étranger. Nous sommes nombreux à perdre, à travers lui, un professionnel engagé. Ceux qui le connaissaient de près seront d’avis avec moi que nous avons également perdu tout simplement un homme de bien.

FRANÇOIS BAKOU

Président du Groupe OCTIDE

 

Section: 
Professeur Abdoulaye Dièye, un repère de valeurs tire sa révérence
Le Grand Écart ou une lecture idéologique comparée de la Loi et de l'Ordre
SETAL SUNU REW : PARLONS COMMUNICATION
La Nouvelle Guerre Commerciale de Trump 2 : Un Jeu Perdant-Perdant pour l'Économie Mondiale, et des Défis Majeurs pour l'Afrique Subsaharienne
Il est temps de réviser les business models des médias sénégalais !
STATISTIQUES SUR LA BALANCE DES PAIEMENTS, CERTIFICATION DES COMPTES DE L’ÉTAT…: NOS AUTORITÉS NOUS DOIVENT DES EXPLICATIONS 
PLEINS FEUX SUR LES LISTES ELECTORALES 2025
Chronique de l’improviste : Désert d’opportunités versus mirage de prospérité  
Intelligence artificielle : Fin d’une hégémonie
Un ‘privilège exorbitant’ pour tous ?
La grande amitié entre Mamadou Dia et le père Louis-Joseph Lebret (Lebret), Dominicain français
L'ADMINISTRATION PUBLIQUE DANS LA CONSTRUCTION DE CE SÉNÉGAL NOUVEAU
Reprofilage de la Dette du Sénégal : Vers une Nécessité Stratégique dans un Contexte Mondial Incertain
L'État face à ses responsabilités : Annulation des attributions de terrains au Sénégal
Le contrôle de la production à l’aune du first oil/first gaz
DÉTOURNEMENTS, VOLS, CONCUSSIONS, FRAUDES, ETC. Sus aux voleurs de la République
LE « XXIème SIÈCLE », SIÈCLE DE TOUS LES DANGERS POUR L’HUMANITÉ
L’ADÉQUATION FORMATION-INSERTION : Une nécessité stratégique pour le développement du Sénégal
Un nouveau code de la Publicité : 178 articles pour protéger les consommateurs ?Par le Pr Fatimata LY
L’EMPLOI ET L’INSERTION PROFESSIONNELLE DES JEUNES AU SÉNÉGAL : Une problématique insoluble ?