LES PROVOCATIONS ELECTORALISTES DU PRESIDENT YAYA JAMMEH.
La coïncidence entre la mesure insolite, unilatérale et déraisonnable du gouvernement gambien d’augmenter le montant de la taxe douanière de transit à hauteur de 1000% pour les camions sénégalais en partance ou en provenance de la Casamance et la proximité de l’élection présidentielle dans ce pays, renseigne à suffisance sur les motivations réelles à la base de cette hausse qui s’apparente à un blocus économique véritable de la partie méridionale du Sénégal.
En effet, l’élection présidentielle prévue au Mois de Décembre prochain au pays de Yaya Jammeh approche à grands pas, dans un contexte politique favorable à l’actuel locataire pour rempiler d’un cinquième mandat avec une opposition muselée.
Le paradoxe en est que, la Gambie qui promeut une dictature éclairée, se trouve incrustée dans le Sénégal où interviennent des alternances successives par un jeu politique démocratique ; cette situation contradictoire est de nature à créer un malaise permanent entre ces deux pays frères, unis par l’histoire et la géographie :D’une part, le Sénégal ne peut pas et ne doit pas accréditer les violations des droits de l’homme et privation des libertés d’expression et d’opinion qui se passent fréquemment chez notre voisin en développant le mutisme et , d’autre part, la Gambie doit adapter son système politique aux évolutions démocratiques de ses voisins , particulièrement du Sénégal, à l’heure où, au niveau de la CDEAO, nous en sommes à l’harmonisation des politiques publiques institutionnelles en matière de démocratie pour une intégration réelle de nos états.
Qu’en serait-il alors de l’attitude du gouvernement Sénégalais et des démocrates de ce monde devant l’approche du renouvellement assuré d’un cinquième bail pour une dictature qui pérennise au pouvoir ; La Gambie serait –il un ilot d’exceptionnalité en violation des règles communautaires de libre circulation des personnes et des biens dans l’espace CDEAO et des critères de convergences démocratiques?
Il se trouve également que la Casamance qui est l’une des plus importantes régions du Sénégal par ses potentialités économiques et culturelles en proie à une rébellion, a toujours constitué pour le régime de Yaya Jammeh un moyen d’échange ou de pression pour la préservation de la paix et le développement économique dans l’espace sénégambien. Certes, les peuples doivent conduire eux-mêmes leur propre révolution ou libération, toutefois, n’y a-t-il pas un droit de dénonciation ou de regard sur ce qui se passe d’anormal plus près de nous, avec, en plus, d’un blocus économique qui ne dit pas son nom, dans une même communauté où le droit de transit est garanti (CDEAO) ?
Nous convenons que la paix n’a pas de prix, mais, devrions-nous sacrifier la démocratie et la protection des droits de l’homme en Gambie en restant indifférents, sous l’autel de la préservation de la paix afin de permettre le désenclavement et le développement économique et social dans l’espace sénégambien ?
Tout récemment, le coup d’état perpétré en république sœur de Gambie a été saisi par les autorités de ce pays pour remettre aux calendes grecques la construction d’un pont sur la transgambienne. Ce vieux projet, longtemps resté un vœu pieux des peuples de la Sénégambie et de la CEDEAO, avait connu, ces temps derniers, un dénouement heureux et un début de réalisation avec la signature des conventions de financement par les gouvernements gambiens et sénégalais, sous l’égide de la CEDEAO, de l’OMVG, de la BAD, tout autant que les autres partenaires au développement. Mieux, les plus sceptiques avaient fini par être convaincus de l’effectivité de la réalisation de l’ouvrage, lorsqu’ils se sont aperçus d’un début d’exécution du projet avec les travaux d’approche de l’entreprise adjudicataire (consortium d’entreprises ARESKI).
Etant donné l’importance stratégique et régionale du projet d’un coût de 75 millions d’EUROS, son processus d’élaboration a impliqué de nombreuses consultations avec les communautés économiques régionales qui ont abouti à l’engagement de la Gambie et du Sénégal de se conformer à la convention CEDEAO relative au transit routier inter –états des marchandises.
L’objectif est de mettre en place des modalités optimales de facilitation du transit dans les pays du corridor transgambien (Kaolack, autoroute trangambienne, Ziguinchor) considéré comme une partie de l’autoroute trans-ouest africaine du corridor Dakar –Logos et de la CEDEAO dans son ensemble.
Bien entendu, la réalisation du pont sur la transgambienne permet d’avoir des opportunités de transport fiables et compétitives, efficaces et ininterrompues qui améliorent la circulation des biens et des personnes sur l’ensemble du corridor Dakar –Logos.
A la surprise générale et à l’heure où la CEDEAO devient une union douanière avec l’entrée en vigueur du TEC, nécessitant d’avantage la construction d’un pont sur la trangambienne pour le développement des infrastructures sous régionales de transport des marchandises et l’intégration économique, le gouvernement gambien, prétextant de la fomentation de coups d’état contre le régime au pouvoir en Gambie à partir du territoire sénégalais, avait signé l’arrêt de mort du projet.
Le rêve tant attendu des peuples qui était sur le point de devenir réalité vient d’être brisé sous l’autel d’un reniement et d’une vieille conviction de ne jamais contribuer au rapprochement de la Casamance avec le reste de Sénégal pour des desseins de se maintenir au pouvoir ad vitam aeternam.
En vérité, les plus sceptiques avaient touché du doigt le réel problème des volontés politiques préalables à tout projet ! En quoi l’érection d’un pont sur la transgambienne peut-elle menacer un régime au pouvoir en Gambie, si tant est que ce régime reste populaire? La réalité géographique a fait en sorte qu’aucun gambien ne peut venir dans son pays sans passer par le Sénégal, avec ou sans pont et, pour une supposée protection d’un régime qui n’est pas éternel, devrait-on sacrifier les aspirations des populations à vaincre la pauvreté ?
C’est dire que la traversée de la Gambie offre tout un autre décor insolite de blocage de la mobilité sur une distance de moins d’un kilomètre avec le bac de Faréfégny, comme si le temps devrait s’arrêter à cet endroit précis, après que les routiers eurent bravé des distances importantes. Le comble du malheur de cet anachronisme apparait, lorsqu’il est de notoriété, que le goulot d’étranglement reste volontairement entretenu pour empêcher aux flux d’échanges entre le Sénégal et sa partie méridionale de s’effectuer et, consécutivement, de mettre en attente l’exploitation des immenses opportunités économiques qu’offre la Casamance naturelle.
La réalisation du pont permettra également d’œuvrer efficacement pour la paix en Casamance par une la lutte contre la discontinuité territoriale qui est le terreau fertile de la frustration, de la distanciation entre communautés, vecteurs de la césure .Nul doute ,qu’en plus du développement économique et du désenclavement des régions périphériques, cette réalisation contribuera à la formation d’une conscience collective d’appartenance à un même destin national, antidote de tout préjugé culturel séparatiste. Il se trouve que la paix en Casamance est en partie liée à l’attitude des régimes au pouvoir en Gambie et en Guinée Bissau, car, il peut arriver que certains régimes particuliers parviennent à se maintenir au pouvoir par l’entretien de conflits latents.
Tout le monde convient qu’il existe entre le Sud et le reste du Sénégal une insuffisance de l’offre routière de transport due au goulot d’étranglement sur la transgambienne résultant de l’immobilisation des camions pendant un temps assez long ( dizaines de jours) ; De sorte que ce facteur annihilant crée une tension sur le transport maritime et aérien .A l ‘évidence, le transport routier sans entraves via la transganbienne offre les meilleures opportunités de compétitivité par rapport aux voies maritime et aérienne ,du fait de la non rentabilité de ces modes de transport sur de courtes distances, ainsi d’ailleurs que le contournement de la Gambie via Tambacounda pour atteindre Kolda, Ziguinchor ou Sédhiou qui renchérit le niveau général des prix .
Or, le pont sur la transgambienne viendra rapprocher les populations, raffermir les liens d’un même espace culturel et favoriser la coexistence pacifique. Les gouvernants au pouvoir dans nos états devraient suivre les aspirations des peuples au développement en favorisant l’intégration économique et politique de nos états, dans la mesure où l’intégration culturelle des populations de la Sénégambie est un fait historique et sociologique.
Au regard de ce qui se passe aujourd'hui dans les relations d'Etat pour le moins anormales entre deux pays frères intimement liés par la culture, l'histoire et la géographie, nous avons comme l'impression que les gouvernements gambien et sénégalais pratiquent mutuellement une politique de fuite en avant en laissant pourrir une situation aux antipodes des intérêts des populations de l'espace sénégambien. Il est évident que la Gambie qui bat une monnaie locale inconvertible internationalement ne peut pas, à tout point de vue, se passer du Sénégal, de même que le contournement de la Gambie pour se rendre en Casamance n'est pas viable pour le Sénégal à cause des surcouts et du manque de compétitivité.
Un énième blocus économique de la Casamance pour amener le Sénégal à fermer les yeux sur ce qui se passe en Gambie et à assister stoïque au musellement de l’opposition et des populations afin que l’actuel homme fort puisse rempiler sans coup férir pour un cinquième mandat est attentatoire des intérêts des peuples sénégambien et de la CDEAO.
Kadialy Gassama, Economiste
Rue Faidherbe X Pierre Verger
Rufisque