Publié le 30 Sep 2017 - 18:47
REJETS SUCCESSIFS DES DEMANDES DE SES AVOCATS

Khalifa, le procès d’avance

 

L’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar tarde à connaître son épilogue. Le parquet n’a pas encore fait son réquisitoire définitif, alors que le doyen des juges d’instruction lui a transmis son ordonnance de clôture. La cause, les avocats de Khalifa Sall se sont engagés dans une bataille procédurale où ils n’enregistrent que des revers. Et malgré ces déboires, ils ne fléchissent pas. Alors que l’édile de la capitale n’est pas le seul inculpé dans cette affaire. Ses collaborateurs patientent en prison, en espérant d’être édifiés sur leur sort au plus vite.

 

Khalifa Sall ne baisse pas les armes. Face à Dame justice, dans la bataille des procédures, le maire de Dakar compte se battre jusqu’au bout. Malgré les défaites successives, il est loin de se décourager. Comme s’il semblait signer un contrat à durée indéterminée avec la procédure juridique afin de ne pas comparaître devant une juridiction de jugement. Pendant ce temps, ses co-inculpés, attendant tranquillement au fond de leur cellule, prennent leur mal en patience. Mais jusqu’à quand ? Peut-être lorsque l’édile de la capitale va abattre toutes ses cartes et à sa guise. Qui sait ? Car l’inculpé veut épuiser toutes les voies de recours que lui confère la loi.

Sa demande de liberté d’office rejetée par le doyen des juges d’instruction (DJI) puis confirmée par la Chambre d’accusation, Khalifa Sall va se pourvoir en cassation. L’annonce a été faite, ce jeudi, par ses avocats. Une décision qui allonge sa souffrance ainsi que celle de son directeur administratif et financier (DAF) Mbaye Touré, du coordonnateur de l’Inspection générale des services municipaux Amadou Moctar Diop, du chef de la Division financière et comptabilité Ibrahima Yatma Diao, du chef du Bureau du budget Yaya Bodian, de l’assistante du DAF Fatou Traoré.

Poursuivis pour détournement de deniers publics portant sur la somme de 1,8 milliard de francs CFA, de blanchiment de capitaux, d’escroquerie portant sur des deniers publics, faux et usage de faux en écriture administrative et de commerce, et d’association de malfaiteurs, ils ont été placés sous mandat de dépôt depuis le 7 mars dernier.  

De rejet en rejet

Mais la bataille de procédures dans l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar ne surprend guère. Les conseils de Khalifa Sall l’avaient promis depuis la clôture de cette procédure devant le magistrat instructeur Samba Sall. ‘’Nous mènerons toutes les actions pouvant aboutir à faire sortir nos clients de prison. L’action la plus urgente, c’est la liberté provisoire’’, avait informé Me Ciré Clédor Ly. Avant de signaler : ‘’Maintenant, puisque c’est une affaire politique, en tant qu’avocats, nous ferons notre devoir dans le cadre de la légalité. Nous engagerons immédiatement les procédures idoines pour que Khalifa Sall puisse rentrer chez lui, avec son directeur de cabinet et l’ensemble des personnes injustement arrêtées. Nous suivrons ensuite toutes les autres procédures adéquates pour que cette histoire soit mise à la poubelle. Et nous ne ménagerons aucune juridiction qui puisse être compétente.’’

Les avocats du maire de Dakar d’avancer que si cette affaire atterrit au tribunal, ce sera ‘’la plus grande honte de cet Etat, parce que c’est un complot’’. ‘’Des éléments que nous ne pouvons pas dévoiler seront mis à nu. Je crois que cela ne fera pas l’honneur du Sénégal, sur le plan national et international, de découvrir que pour éliminer un candidat à des élections, l’Etat du Sénégal serait prêt à tout’’, disait Me Ly.

Cependant, la demande de mise en liberté provisoire que lui et les autres avocats de la défense ont formulée a été rejetée. Là où certains inculpés ont clamé leur innocence face au magistrat instructeur. Insatisfaites, les robes noires ont interjeté appel. Elles saisissent la Chambre d’accusation pour attaquer l’ordonnance rendue par le DJI. Selon les conseils de Khalifa Sall, ce dernier ‘’n’a pas motivé sa décision de refus’’. Que Samba Sall ‘’s’est juste contenté de dire qu’il s’aligne sur la position du parquet’. Mieux, El Hadj Diouf et Cie en ont profité pour déposer une requête aux fins d’annulation de toutes les procédures intentées contre le maire de Dakar.

Il s’agissait d’annuler le rapport de l’Inspection générale d’Etat (IGE), le réquisitoire du procureur de la République, le procès-verbal de première comparution du juge et les mandats subséquents. ‘’Dans les requêtes, nous avions soulevé une question prioritaire d’inconstitutionnalité de la loi portant statut des inspecteurs généraux d’Etat, en ce qu’elle n’était pas conforme aux dispositions de l’article 102 de la Constitution. Qui, en fait, établissait la séparation nette entre les deux entités de l’Etat et les collectivités publiques jouissant d’une libre administration et où il ne pouvait pas y avoir d’ingérence de l’Etat’’, ont-ils renseigné. Avant de poursuivre : ‘’Seuls les citoyens étaient concernés pour l’administration et la gestion des collectivités locales. Cette question prioritaire de constitutionnalité fait obligation à la Chambre d’accusation de déférer la question au Conseil constitutionnel, seul compétent pour examiner la conformité d’une loi avec la Constitution.’’ Non compétente pour examiner cette seconde affaire, la Chambre d’accusation l’avait renvoyée devant le Conseil constitutionnel, pour le 4 mai dernier.

Le procédurier Me Ciré Clédor Ly de faire remarquer que la chambre devait d’abord statuer sur la recevabilité de cette requête. ‘’Si le Conseil constitutionnel rend un avis pour soutenir que la loi sur l’IGE n’était pas conforme à la Constitution, alors les choses s’arrêteraient-là’’. Mais l’instruction a continué, car la défense a été déboutée de sa demande.

Auparavant, les juges de la Cour d’appel ont confirmé le juge d’instruction sur les demandes de mise en liberté provisoire introduites par les avocats de Khalifa Sall et ses collaborateurs. Réagissant à la validation de ce rejet, Me El Mamadou Ndiaye, avocat de l’édile de Dakar, a laissé entendre : ‘’Dans cette affaire, Khalifa Sall est poursuivi pour détournement présumé de deniers publics, alors qu’en la matière, la loi exige la caution, le remboursement ou des contestations sérieuses. Aujourd’hui, il ne peut pas rembourser et il a refusé de verser une caution. Il a dit qu’il n’est coupable de rien.’’

Vers l’internationalisation de la bataille judiciaire

Toutefois, Me Ciré Clédor Ly et Cie ont attaqué le délibéré en cassation. Parce que ‘’convaincus que toutes les conditions de mise en liberté provisoire sont réunies’’. ‘’Les inculpés sont régulièrement domiciliés et ont des garanties de représentation. Mieux, il y a des contestations sérieuses dans ce dossier. La Chambre d’accusation devait rétablir l’injustice subie par les autres détenus, vu que l’ancien et l’actuel percepteur, respectivement Mamadou Oumar Bocoum et Ibrahima Touré, bénéficient, depuis le début de la procédure, d’un contrôle judiciaire. Il y a deux poids, deux mesures dans cette affaire’’, a soutenu la défense. Il  n’empêche que la Cour suprême a dit niet. La Cour d’appel a également rejeté la requête pour le respect des droits électoraux de l’édile de la capitale.

‘’Nous avons saisi la Commission électorale nationale autonome (CENA) qui a botté en touche. Nous avons saisi le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) qui a aussi fait pareil. Nous avons saisi le président de la République qui pouvait agir sur le ministre de l’Intérieur pour qu’il prenne les dispositions matérielles afin que Khalifa Sall, au pire des cas, puisse voter à l’intérieur de la prison. Le chef de l’Etat n’a jamais répondu à notre demande ou du moins sous réserve que la réponse soit parvenue à un autre membre du collectif qui ne l’a pas divulguée’’, a indiqué Me Ly. Pour ce qui est du président de la Cour suprême, son cabinet a refusé de prendre la requête, ajoute-t-il.

Les élections législatives étaient prévues au 30 juillet et Khalifa Sall était toujours maintenu en prison. Tout en sachant qu’il n’allait pas battre campagne, alors qu’il était la tête de liste nationale de la coalition Mankoo Taxawu Senegaal (MTS). Par ailleurs, il ne pouvait aller accomplir son devoir citoyen qu’avec l’autorisation du DJI. Mais une fois de plus, Samba Sall dit non. Alors qu’on croyait que le maire de Dakar avait épuisé ses cartouches, une nouvelle situation juridique fait surface. ‘’Elle est réglée par la loi. Elle dit que dès la proclamation des résultats par le Conseil constitutionnel, toute personne investie comme député bénéficie d’une immunité parlementaire. Nous sommes dans cette situation. Il n’est pas question de parler d’un passé où la détention est antérieure, que son élection est postérieure. Khalifa Sall doit bénéficier d’une liberté d’office’’, argue le procédurier. La réponse de Dame justice est connue.

Toutefois, même s’ils jouent leur dernière carte devant la Cour suprême, les conseils du maire de Dakar n’excluent pas d’engager la bataille sur le plan  international. ‘’Parce qu’aujourd’hui, tous ces manquements et violations relèvent de la compétence du Comité des Nations Unies sur les Droits de l’Homme. Cela dépendra de Khalifa Sall. S’il nous demande de déférer la question au comité, nous le ferons. Il est clair que le Sénégal sera encore condamné’’, a dit Me Clédor Siré Ly.

Les requêtes bloquent le parquet

Ce qui fait dire aux conseils de l’Etat du Sénégal que la défense ne sait pas ce qu’elle veut. ‘’Le dossier est encore en instruction. Ce n’est pas un litige. Et la Chambre d’accusation est là pour annuler les actes d’instruction. Or, le rapport de l’Inspection générale d’Etat (IGE) n’est pas un acte d’instruction. Tout a été fait pour semer des confusions. Ils (les avocats de la défense) n’osent pas aller en procès. Donc, on se dit qu’on essaye de gagner du temps. Mais c’est de bonne guerre. J’estime que cette stratégie est inadéquate. Elle est, à la limite, maladroite. S’ils estiment que leur client n’est pas coupable, la juridiction de jugement le dira’’. Un autre avocat de l’Etat de souligner : ‘’Je ne comprends pas pourquoi ils font des procédures infondées et qui retardent davantage le bon fonctionnement de cette affaire. Peut-être qu’ils veulent garder Khalifa Sall en prison jusqu’après les législatives.’’

Les avocats de la défense avaient-ils tout calculé avec l’élection de Khalifa Sall au poste de député pour faire prévaloir l’immunité parlementaire ? Tout porte à le croire. Mais Ciré Clédor Ly balance : ‘’Malgré la précipitation du côté du DJI, la loi sera respectée. Le parquet ne peut pas encore faire son réquisitoire définitif.’’

En fait, Samba Sall a rendu une ordonnance de clôture qui a été transmise au parquet pour qu’il fasse son réquisitoire définitif, dans un délai de 15 jours. Puis, le juge d’instruction va rendre une autre ordonnance de renvoi en jugement ou de non-lieu. Les avocats de la défense semblent ne pas être prêts à faire face au juge du tribunal correctionnel.    

AWA FAYE

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