Les sept sages à l’épreuve de la Com’
Ne pas perdre l’opinion par excès de réserve tout en restant dans les sentiers traditionnels du silence. Un dilemme pour le Conseil constitutionnel qui, comme beaucoup d’autres organismes et institutions de ce pays, porte sa carence communicationnelle comme un boulet.
L’acte est rare pour être souligné. Le Conseil constitutionnel a fait paraitre un communiqué dans certains journaux d’hier pour un démenti formel. ‘‘Depuis quelques mois, des médias sénégalais publient des informations, pas loin d’être diffamatoires, visant à semer dans l’opinion publique l’idée que le Conseil constitutionnel serait un instrument du pouvoir politique, en particulier dans la perspective de l’élection présidentielle de 2019’’, lit-on en début de texte. Ouf ! Serait-on tenté de soupirer, tellement le silence de l’institution menait l’opinion à croire que ‘‘qui ne dit mot consent’’. Une réplique pas si réactive, caractérisant plusieurs institutions ou organismes ‘’respectables’’ de ce pays optant systématiquement pour la communication de crise.
Il convient de souligner que l’option prise pour la publication de cette mise au point n’a pas été exploitée dans son intégralité. Un communiqué de presse ‘‘pour diffusion immédiate’’ dans les serveurs des différentes rédactions aurait pu avoir une portée plus retentissante. Le Conseil aurait pu faire la une ou la manchette de certains journaux, envahir la bannière de sites Internet, ouvrir les éléments des journaux radio et télé. A moins que les sept sages n’aient opté pour la discrétion, ‘‘la tradition de réserve de l’institution’’. C’est cette option traditionaliste qui dessert les 7 sages dans l’imaginaire collectif : que la souveraineté populaire est sacrifiée au profit de l’élite gouvernementale et la violation secrète de l’article 2 de la Constitution qui proclame : ‘‘La souveraineté nationale appartient au peuple sénégalais qui l’exerce par ses représentants ou par la voie du référendum. Aucune section du peuple, ni aucun individu, ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté.’’ Cette idée de non-conformité avec la légitimité populaire, bien que ne justifiant aucun écart, l’explique grandement. Le président Pape Oumar Sakho et ses hommes ont-ils enfin compris que la perception est le premier paramètre en communication, qu’elle est l’interprétation subjective de la réalité ?
Ce qui est constant est que les sages n’ignorent pas les procédés journalistiques, puisqu’en dehors du recoupement, ils ont parlé de la nécessité de sérier faits et commentaires et de la polyphonie des sources. ‘‘Toutes ces prétendues nouvelles ont été publiées sans aucun respect des règles de l’éthique et de la déontologie qui sont censées gouverner le travail des journalistes, dont le recoupement des informations avant leur publication…’’, lit-on dans le communiqué. Quand bien même c’est une connaissance assez générale, le Conseil n’est pas dans l’ignorance que la réserve congénitale de leur fonction rend tout recoupement impossible. Se seraient-ils apprêtés à jouer le jeu de la transparence (la publicisation d’une information) qu’il serait tout aussi difficile pour un journaliste d’avoir accès à eux, puisque le chargé de communication semble encore un poste honni au Conseil constitutionnel.
A l’ère des technologies de l’information et de la communication (Tic), l’institution prend toutefois le train en marche. Le site internet conseilconstitutionnel.sn est créé, mais l’accès à l’information y est jalousement contrôlé. Sur les sept dernières décisions mises en ligne, seule une (n°5-E-2017, résultats législatives) est accessible, les six autres étant protégées et requièrent un mot de passe. Etant donné que la reddition des comptes à l’opinion est une évidence pour la souveraineté populaire, l’omerta dans laquelle se confine l’actuelle équipe laisse perplexe. Comme si le silence médiatique autour de cette institution est un gage absolu d’efficacité et de respectabilité qu’une communication forte dans la presse détruirait de facto. Les rares fulgurances médiatiques consistent en des mises au point légèrement décalées (le dernier a été fait le 9 juillet, trois jours avant sa publication) dont le format - communiqués écrits - les fait passer dans l’épaisseur du trait. Pis, ces réactions sont tellement tardives qu’elles ravivent des propos qui allaient passer à l’oubli. Le démenti dont il est question, visant sans le nommer le chroniqueur Pape Alé Niang, survient presque huit mois après les propos incriminés du journaliste sur son site ‘’DakarMatin’’.
Incompétences
Le Conseil constitutionnel, dirigé par Pape Oumar Sakho, a des compétences en matière constitutionnel et en matière électorale et référendaire. Des prérogatives détaillées sur l’une des icônes du site Internet. Mais la fréquence récurrente à se déclarer incompétents face aux grandes équations politiciennes de l’heure est saisissante. Tout autant que la tendance à sortir des décisions ou avis favorables au pouvoir en place et défavorables aux requérants qui sont dans l’opposition. ‘‘Le Conseil constitutionnel n’a pas compétence pour statuer sur la conformité à la Constitution de la loi portant révision de la Constitution et adoptée par l’Assemblée nationale le 19 avril 2019 sous le n°14/2018’’, avait-il déclaré dans une décision en mai dernier. Ceci après le passage d’un projet de loi mouvementé et sa saisine par des députés de l’opposition pour faire déclarer ‘‘contraires’’ à la Constitution, d’une part, ‘‘certaines dispositions de forme législatives’’ contenues dans la loi portant révision de la Constitution et adoptée le 19 avril 2018. Avant cet épisode, il y a 7 mois, il y a eu la saisine, par 17 députés de l’opposition, pour statuer sur le refus du doyen des juges de libérer Khalifa Sall, suite à son élection comme député.
Dans le même temps, les présidents n’ont pas enregistré de revers. En juillet 2017, le Conseil a autorisé le vote, à titre exceptionnel, pour les élections législatives du 30 juillet 2017, à voter sur présentation de son récépissé d’inscription, en l’absence de carte d’identité biométrique de la Cedeao. ‘‘Un avis’’, dira le Conseil, qui tirera le président Macky Sall d’un très mauvais pas, après une production défaillante de cartes d’identité biométriques. En janvier 2012, la décision du Conseil d’alors de valider la troisième candidature du président sortant, Abdoulaye Wade, avait poussé le pays au bord d’une grande crise. Ce qui semble entrer dans l’ordre normal des choses.
Il y a presque dix ans, en juillet 2009, le directeur de l’institut de droit public de Perpignan à Dakar, Babacar Gaye, dénonçait ce statisme du Conseil alors composé de 5 sages. ‘‘C’est une tendance constante. Depuis toujours, le Conseil constitutionnel du Sénégal se révèle timide sur certains dossiers’’, déclarait-il au lendemain de cette décision sur la Rfm.
Distanciation critique
La composition du Conseil constitutionnel présuppose et suggère déjà l’idée d’une mainmise de l’Exécutif sur les sages. Le Conseil constitutionnel est composé de sept membres nommés par le président de la République. Parmi eux, deux sont désignés par le président de la République sur une liste de quatre personnalités proposées par le président de l’Assemblée nationale. Un élitisme qui renforce d’autant plus la distanciation avec l’opinion que la sélection pour entrer dans ce saint des saints est draconienne. ‘‘Les membres du Conseil constitutionnel sont choisis parmi les magistrats ayant exercé les fonctions de premier président de la Cour suprême, de procureur général près la Cour suprême, de président de chambre à la Cour suprême, de premier avocat général près la Cour suprême, de président de Cour d’appel et de procureur général près une Cour d’appel ; les professeurs titulaires de droit ; les inspecteurs généraux d’État ; les avocats, à condition qu’ils aient au moins vingt ans d’ancienneté dans la fonction publique ou vingt ans d’exercice de leur profession’’.
Signe encourageant, dans la forme et le fond de son communiqué, le Conseil a toutefois eu assez de réserve et de retenue pour ne pas se compliquer la tâche, en se livrant, par exemple, à des ‘’menaces’’ contre la publication d’‘‘informations pas loin d’être diffamatoires’’. Un communiqué exceptionnel qui fait naître l’infime espoir que, pour les 7 sages, rallier l’opinion à ses côtés compte beaucoup.
Au-delà des déclarations de bonnes intentions, poser des actes allant dans ce sens serait la première manœuvre concrète de ce vœu, sans doute, pieu.
OUSMANE LAYE DIOP