Publié le 13 Jul 2018 - 20:55
CONDAMNATION DE L’ETAT PAR LA CEDEAO

Ce que dit l’arrêt de la Cour de justice communautaire 

 

C’est suite à une saisine des avocats de Khalifa Sall, Mbaye Touré, Yaya Bodian, Ibrahima Yatma Diaw et Amadou Moctar Diop que la Cour de justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a condamné l’Etat du Sénégal au préjudice de ces derniers. L’arrêt rendu le 29 juin dernier fait un certain nombre de griefs. Même si l’Etat a été condamné, la demande de libération immédiate a été rejetée, de même que 2 des 6 prétentions présentées par la défense.

 

Depuis le début du procès en appel de Khalifa Sall ouvert le lundi 9 juillet dernier, l’arrêt de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) est la pièce la plus disputée à la barre. Un coup d’œil jeté à cet arrêt controversé permet de comprendre les griefs reprochés à l’Etat du Sénégal. En fait, après examen des arguments exposés par les conseils des prévenus, la Cour a abouti à la violation du droit à l’assistance d’un conseil, du droit à la présomption d’innocence et du droit à un procès équitable. Les juges communautaires ajoutent que la détention du député-maire Khalifa Sall pendant la période du 14 août 2017 (date de la proclamation des résultats des Législatives du 31 juillet 1017 par le Conseil constitutionnel) au 25 novembre (date de la levée de son immunité parlementaire) est arbitraire. Par conséquent, ‘’la responsabilité de l’Etat du Sénégal par le truchement de ses autorités policières et judiciaires est engagée’’.

Ce, d’autant que l’arrêt mentionne que les violations ont causé des préjudices aux requérants. C’est pourquoi, la Cour estime que le montant de 35 millions de francs CFA serait une juste réparation des préjudices subis. Ainsi, elle condamne l’Etat à allouer ladite somme au maire de Dakar et ses coprévenus. En revanche, ces derniers ont été déboutés du surplus de leurs prétentions. En fait, après avoir exposé et défendu leurs griefs, les conseils des requérants ont demandé à la Cour de ‘’dire et de juger’’ que les enquêtes menées par la Division des investigations criminelles n’ont pas respecté les droits de leurs clients et que leur renvoi en jugement ne garantissait pas les droits de la défense et le droit à un procès équitable.

La défense a demandé à la juridiction communautaire d’ordonner à l’Etat du Sénégal de respecter ses lois dans l’administration de la justice et l’exercice des droits politiques des citoyens ainsi que les instruments juridiques internationaux qu’il a ratifiés. La troisième demande portait sur la libération immédiate de Khalifa Sall et Cie jusqu’à leur droit à une expertise, celui de faire entendre des témoins pour rapporter la fausse accusation pénale à leur encontre, leur droit de proposer une caution. En quatrième position, les défenseurs sollicitaient de la Cour qu’elle dise ‘’que les violations commises à l’encontre des prévenus ont causé à ces derniers un énorme préjudice qui mérite réparation. A ce titre, les avocats avaient réclamé 50 millions de francs CFA à la charge de l’Etat. Finalement, c’est le montant de 35 millions qui a été alloué aux requérants. La Cour n’a non plus ordonné la libération immédiate de l’édile de la Capitale et de ses coprévenus. 

Par rapport aux prétentions, elles sont au nombre de 6 et les 2 ont été rejetées. Les demandes de Khalifa Sall portent sur plusieurs violations. Il s’agit du droit à l’assistance d’un conseil, à la présomption d’innocence, du droit à faire appel à des témoins et de celui de solliciter une expertise. Les violations du droit à l’égalité des citoyens devant la loi et la justice, du droit à un procès équitable, des droits politiques de Khalifa Sall, de la procédure de levée de son immunité parlementaire ainsi que sa détention arbitraire ont été soulevées par les avocats des requérants.

Sur la violation du droit à l’assistance d’un avocat, les conseils ont brandi différents instruments juridiques internationaux dont le règlement n°5 de l’Uemoa. Ce règlement, entré en vigueur au Sénégal depuis janvier 2015, exige la présence de l’avocat dès l’interpellation de son client et qu’aucune lettre de constitution ne doit être demandée au conseil. En l’espèce, la défense reproche à l’Etat, par le biais des enquêteurs, d’avoir interrogé et confronté les requérants sans conseils.

La défense de l’Etat

 Pour sa défense, l’Etat s’est réfugié derrière un arrêt de la Chambre d’accusation en date du 16 mai 2017 qui a écarté toute violation. Dans leur réponse, les juges communautaires ont indiqué que la juridiction d’appel était plutôt appelée à se prononcer sur la nullité du procès-verbal d’enquête préliminaire pour non-observation par l’Officier de police judiciaire d’une formalité substantielle et non sur la violation d’un droit humain. Mieux, la Cour a constaté également que, dans le PV de la DIC, il n’est fait nullement état de ce que les requérants ont été assistés par leurs conseils ou ont été informés de leur droit d’en constituer.

Pour ce qui est de la violation de la présomption d’innocence, les avocats ont indexé, dans leur requête, le procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye qui, lors d’une conférence de presse tenue le 3 mars 2017, à la veille de l’arrestation de Khalifa Sall, avait déclaré que ‘’l’affaire de la caisse d’avance n’est rien d’autre que la justification d’un montant de 1,8 milliard qu’on a pris des caisses de la ville de Dakar sur la base de faux documents’’. Alors que les avocats requérants jugent les propos du maître des poursuites ‘’d’une extrême gravité’’, l’Etat défendeur les a justifiés par ‘’le droit légitime du peuple à l’information’’.

Un argument battu en brèche par la Cour qui a fait observer que ‘’le respect de la présomption d’innocence s’impose à toutes les autorités concourant à la procédure’’. Il s’y ajoute que, pour le droit à l’information, ‘’un Etat ne peut pas invoquer les dispositions de sa législation pour s’exonérer de ses obligations internationales’’. Par conséquent, la Cedeao considère que l’Etat a failli à son obligation de faire respecter la présomption d’innocence. Parce que les propos véhiculés par une autorité judiciaire (procureur) appelés à concourir à la procédure ne peuvent laisser place à aucun doute dans l’esprit du public auquel ils sont destinés.

Outre le procureur, le Doyen des juges a également été vilipendé par les avocats de Khalifa Sall et Cie auprès de ses pairs, en ce qui concerne la violation au droit à un procès équitable. Les conseils reprochent à Samba Sall de les avoir privés de leur droit de recours contre les ordonnances rendues sur leurs demandes relatives à l’audition de témoins et la mise en œuvre d’une expertise.  L’Etat leur a opposé l’article 181 du Code de procédure pénale qui prévoit que ‘’lorsqu’appel est interjeté d’une ordonnance autre que l’ordonnance de règlement, le juge d’instruction poursuit son information, sauf décision contraire de la Chambre d’accusation’’. La CJC trouve ‘’non pertinent’’ le recours à cet article, tout en soulignant que le juge qui doit instruire à charge et à décharge ne doit pas empêcher les inculpés d’exercer les droits que la loi leur reconnaît. Avec cet empêchement, elle est d’avis que le magistrat instructeur ‘’a ôté à la procédure son caractère équitable’’ et que ces agissements constituent ‘’une atteinte grave aux droits de la défense’’.

Par ailleurs, sur la question de la détention arbitraire, la Cour a donné partiellement raison à la défense. Elle estime que l’Etat ‘’aurait dû, dès l’instant où le député Khalifa Sall à bénéficier de la couverture de l’immunité parlementaire, commencer les procédures appropriées pour soit, suspendre sa détention, soit obtenir la levée de l’immunité’’. ‘’En s’abstenant de le faire dès l’acquisition par le député de son nouveau statut, le défendeur (Etat) l’a maintenu dans une situation irrégulière’’, indique la Cedeao qui, pour argumenter, ajoute que l’Etat en est convaincu, puisqu’il a initié la procédure de levée de l’immunité, quelques jours avant la clôture de l’instruction. 

Les victoires des avocats de l’Etat

Par contre, sur les autres griefs, l’Etat a obtenu gain de cause, puisque les arguments avancés par la défense n’ont pas convaincu la Cour. C’est la question liée à la violation des droits politiques de Khalifa Sall. Celui-ci considère que sa détention l’a privé de son droit politique de participer aux élections législatives de 2017 et de voter, malgré ses nombreuses requêtes en vue de se rendre aux urnes ou d’en disposer au moins en prison. Dans ses réponses, l’Etat a expliqué à la justice communautaire que le décret n°2001-362 du 4 mai 2001 relatif aux procédures d’exécution et d’aménagement des peines ne prévoit pas la possibilité pour un détenu de sortir pour aller voter. Même si un tel argument ne le convainc pas, la Cour constate ‘’un silence de la loi qui ne peut pas être assimilé à une restriction déraisonnable‘’, puisqu’il n’est pas prévu le mode d’exercice du droit de vote des personnes privées de liberté. Dès lors, elle a débouté Khalifa Sall de ce chef de demande.

Le même sort est réservé au grief portant sur la procédure de levée de l’immunité parlementaire de l’édile de Dakar. La Cour a écarté toute illégalité, en relevant que Khalifa Sall était en mesure d’être entendu par la Commission ad hoc de l’Assemblée nationale, par conséquent de se défendre. Mais, rappelle-t-elle, ‘’il a opté de ne s’y soumettre qu’après la réunion de certaines conditions, notamment sa liberté et l’obtention d’un délai pour préparer sa défense’’. Cet état de fait conduit les juges à lui imputer ‘’entièrement’’, le défaut d’audition. Et que le député-maire ne peut pas s’en prévaloir pour soutenir que la procédure est irrégulière. Au contraire, les juges communautaires sont d’avis qu’il n’y a pas de violation et qu’ils ne peuvent pas faire droit aux prétentions du requérant sur cette demande.

FATOU SY

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