Les limites à l’indépendance du parquet
Ils ont beau vouloir être ‘’indépendants’’, les magistrats debout sont soumis à des contraintes objectives qui les maintiennent sous la dépendance de l’Exécutif.
Quand il s’agit de parquetiers, l’indépendance de ton des magistrats peut parfois choquer certains puristes à cheval sur les principes. Ceux-là étant, en effet, soumis au principe de la hiérarchie qui veut que la volonté du ministre de la Justice soit la leur. Tel est, du moins, ce qui ressort de l’article 7 alinéa 1er de la loi organique portant statut des magistrats. Il résulte de ce texte que : ‘’Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du ministre de la Justice.’’
A la lumière de ce qui précède, le Garde des Sceaux est le chef des magistrats debout à qui il donne des ordres. A l’alinéa suivant, la loi aménage toutefois une toute petite parcelle de liberté aux hommes du parquet qui seraient intéressés d’en user, en s’éloignant des jougs de l’Exécutif. Cette disposition renseigne, en effet, qu’‘’à l’audience, leur parole (celle des magistrats debout) est libre’’.
Cependant, c’est comme si l’Etat retirait de la main gauche ce qu’il donne de la main droite. En effet, le principal problème des magistrats du parquet, c’est qu’ils n’ont pas la même garantie de ‘’l’inamovibilité’’ accordée à leurs homologues du siège. En effet, l’article 7 prévoit, à son dernier alinéa, ‘’qu’ils peuvent être affectés sans avancement par l’autorité de nomination d’une juridiction à une autre, s’ils en font la demande ou d’office, dans l’intérêt du service, après avis du Conseil supérieur de la magistrature’’. Cet avis n’étant que consultatif. C’est d’ailleurs pourquoi, aussi bien lors des concertations de l’Ums qu’au cours des travaux du Comité de modernisation de la justice, cette question de l’indépendance des magistrats du parquet a occupé une place importante dans les discussions.
Dans une interview accordée à ‘’EnQuête’’ et au journal ‘’Le Témoin’’, le président de l’Union des magistrats sénégalais, Souleymane Téliko, revenant sur les recommandations du Comité de modernisation de la justice, rapportait : ‘’Il a été retenu que le Csm devrait, pour le moment, faire les propositions pour pourvoir aux emplois les plus importants, notamment les magistrats de la Cour suprême, les chefs de cours d’appel, les chefs de juridictions (parquet comme siège), les magistrats devant être admis au grade hors hiérarchie…’’
Mais force est de constater que pour le moment, le gouvernement fait la fine bouche en ignorant royalement ces recommandations phares des acteurs de la justice. Pour sa part, le procureur Aliou Ndao, à l’occasion du colloque de l’Ums en décembre 2017, disait : ‘’La chancellerie ne doit donner que des instructions allant dans le sens de la poursuite. C’est ce que dit la loi. Mais on constate que les instructions de non poursuite sont plus nombreuses. Or, aucun texte n’autorise le ministre de la Justice à donner des instructions de non poursuite, comme par exemple un classement sans suite ou autre.’’
En attendant les grandes réformes, la carrière des magistrats, surtout des parquetiers, continue de dépendre du bon vouloir de la chancellerie.
I. K. Wade
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Les juges courageux
Au moment où des juges rechignent à assumer leur indépendance, d’autres bénéficient d’un préjugé largement favorable aux yeux de l’opinion.
En principe, ils jouissent d’une liberté totale avec toutes les garanties statutaires. Mais il en est des magistrats qui refusent de faire usage de cette liberté, se livrant pieds et mains liés à l’Exécutif. Ce qui avait amené, en son temps, l’ancien président Me Abdoulaye Wade à déclarer que certains juges ne veulent pas être indépendants. En revanche, d’autres sont prêts à tout pour exercer leur métier de juge en toute indépendance. N’en déplaise aux tenants du pouvoir.
Dans l’affaire imam Alioune Ndao, par exemple, beaucoup espéraient un verdict allant dans le sens d’une condamnation, comme le souhaitait le parquet qui avait requis 30 ans de travaux forcés pour le religieux. A maintes reprises, les avocats de l’imam Ndao ont exprimé leurs craintes par rapport à la conduite du dossier. Mais, au finish, le juge Samba Kane et ses assesseurs ont donné satisfaction à nombre d’observateurs. Malgré la lourde clameur, les nombreuses charges policières et parquetières, malgré la pression multiple des partisans de l’imam Ndao, les commentaires de certains officiers dont le général Mansour Seck, ils ont su faire preuve d’une grande sérénité au cours des débats, de lucidité et d’un grand courage au moment de rendre leur verdict.
A côté du président Samba Kane, avait siégé le juge Ndary Diop, président de la première chambre au Tribunal de grande instance de Dakar. Ce juge d’expérience, selon certaines confidences, était pressenti dans l’affaire Khalifa Ababacar Sall. Mais il l’aurait déclinée, non parce qu’il n’était pas convaincu des faits reprochés au maire de Dakar, mais avait beaucoup d’appréhensions par rapport à la procédure suivie pour couper la tête de l’édile de la capitale. Lui aussi aura marqué son époque et la conscience collective.
Il en est de même dans l’affaire Aïda Ndiongue où les juges Mamadou Diouf et Chimère Diouf ont fait montre d’une grande liberté vis-à-vis de l’Exécutif, respectivement en première instance et en appel.
Tous ces juges continuent de servir la magistrature en restant dans la fonction et en œuvrant activement aux activités de l’Union des magistrats sénégalais.
D’autres, face aux nombreuses épines sous leurs pieds, ont tout bonnement abandonné la corporation pour s’engager dans d’autres domaines. Il en est ainsi notamment des juges Ibrahima Hamidou Dème et Yaya Amadou Dia qui, lui, a demandé une mise à disponibilité. Des sources renseignent que d’autres magistrats sont dans la même situation. Pendant que certains menacent de démissionner, d’autres ont émis le souhait d’introduire une demande de mise à disponibilité.
M. T. DIAW