Publié le 28 Sep 2018 - 02:58
SADIBOU SOW (RESPONSABLE DU PAI A THIÈS)

‘’Le régime est au service de l’impérialisme français’’

 

Responsable régional du Parti de l’indépendance et du travail (Pai) dont il se réclame toujours, le vieux Sadibou Sow, 81 ans, passe au crible, dans cet entretien avec ‘’EnQuête’’, la marche du Sénégal, la gestion de l’actuel régime et la conduite de certaines figures de la gauche sénégalaise. Bien que membre de la mouvance présidentielle, il estime que le régime du président Macky Sall est au service de l’impérialisme français, tout comme ses prédécesseurs.

 

Vous continuez toujours à vous réclamer du Pai. Pouvez-vous nous en dire davantage par rapport à ce parti historique ?

Le Pai est un parti politique qui a toujours eu pour mission de participer à la libération de l’Afrique, l’unifier et le développer. Aujourd’hui, elle est encore plus actuelle. Le Pai, qui est né le 15 septembre 1957 à Thiès, chez Issa Basse, défendait toutes ces valeurs. A part Majmouth Diop, il y avait 22 autres signataires et leaders comme Khalilou Sall, Seydou Sissokho, Tidiane Baїdy… Tous ont pris part à la naissance de ce parti et avaient, en bandoulière, la libération et le développement de l’Afrique. De 1957 à 1960, on a cherché à organiser la jeunesse et les femmes. C’est cela qui a abouti à la création du mouvement des ‘’Porteurs de pancartes’’. Nous avions mobilisé les ‘’Porteurs de pancartes’’ en 1958. Le Pai est le premier parti à avoir posé le problème de l’indépendance de l’Afrique noire. Il y avait les gens de la section de Pra Sénégal qui est née le 20 octobre 1958 à Rufisque. Or, les ‘’Porteurs de pancartes’’ ont existé depuis le 26 août 1958. Feu Mbaye Jacques Diop, que certains critiquent, a bel et bien participé à cette petite révolution pour l’indépendance du Sénégal. Les dirigeants du Pai pouvaient le faire. Mais ils ont renoncé à la dernière minute, au sortir de la rencontre qui a eu lieu à Cotonou, au Bénin. Et Me Mbaye Jacques Diop, bien qu’étant jeune, l’a fait.

Soixante-et-un ans après la création du Pai, que reste-t-il du parti de Majmouth Diop ?

Le parti est là. Il existe. Cependant, il faut reconnaître que le Pai n’est pas un parti populiste. Dans notre formation politique, nous misons uniquement sur la qualité. Si c’était une armée, on ne formerait au Pai que des officiers supérieurs, c’est-à-dire les généraux. Le Pai préparait le peuple à accéder à son indépendance avec moins de difficultés. La gauche existe toujours. Maintenant, il y en a aujourd’hui qui sont sans vergogne et qui ont décidé de rejoindre le pouvoir pour se taper un luxe. Cela a commencé depuis Senghor. Quand Abdou Diouf est arrivé au pouvoir, c’était pareil. Ces dirigeants de la gauche sans vergogne ont fait croire au président Abdou Diouf qu’ils l’aimaient plus que ses parents aux fins d’intégrer le pouvoir. C’est ce qui se passe aujourd’hui avec le président Macky Sall. Partout, on chante ses louanges. Même les hommes de gauche s’adonnent à cet exercice. Ces transhumants sont des criquets et des caméléons. Ils emportent tout. D’ailleurs, ce ne sont même pas des hommes de gauche. Ce sont de petits bourgeois et intellectuels qui ne supportent pas de vivre dans la difficulté. Ils sont dans la coalition présidentielle et ne veulent même  entendre parler de l’unification de la gauche. C’est grave. La Ld, le Pit, l’Aj et le Pai pouvaient porter le développement de ce pays. Malheureusement, c’est le dernier de leur souci. En 1957, le Pai était le seul parti politique qui demandait l’africanisation des cadres. Mais quand le parti a été dissout en 1960 et qu’il ne restait que la prison, ces soi-disant intellectuels de la gauche se sont rangés du côté du pouvoir.

Quoi qu’on puisse dire, le Pai reste le seul parti qui se soucie encore du devenir de l’Afrique et qui défend des valeurs sûres de ce continent. Le Pai a sa classe sociale et défend ses intérêts. Au Sénégal, on nous parle aujourd’hui de l’existence de plus de 300 partis politiques. J’avoue que ce ne sont pas des partis politiques. C’est juste une auto-proclamation. La preuve, le président de la République, Macky Sall, est arrivé au pouvoir sans parti politique. C’est pour cette raison qu’il tient tant à la coalition Benno Bokk Yaakaar.

Est-il possible de servir le peuple avec loyauté, quand on choisit de collaborer avec d’autres partis ?

Je vais vous dire une chose. Dans ce monde d’aujourd’hui, il faut forcément privilégier les coalitions pour prétendre réussir sa gouvernance ou sa gestion. Dans les coalitions, il y a forcément des obstacles. Mais le Pai saurait comment les franchir. Nous sommes dans une coalition (Benno Bokk Yaakaar, coalition présidentielle : Ndlr). Par contre, cela ne nous empêche pas de conserver notre projet de société et notre programme économique et culturel. Nous ne sommes pas avec le président de la République Macky Sall pour de l’argent ou un quelconque poste. La preuve, le Pai n’a même pas de président de conseil d’administration (Pca), de ministre dans le gouvernement, encore moins de député. Si nous sommes avec la coalition au pouvoir, c’est par principe et juste pour franchir un cap. Mais nous savons pertinemment que le pouvoir en place est là au service de l’impérialisme français.

Cinquante-huit ans après l’indépendance du Sénégal, est-il encore permis de constater que le régime en place travaille à la solde de la puissance colonisatrice ?

Vous parlez d’indépendance (rires) ? Je vous dis une chose : le Sénégal n’a jamais pris son indépendance. Celui qui le dit raconte des conneries. C’est 58 ans de communauté avec la France. Car elle participe à l’élection des présidents de la République du Sénégal. Si les Français ne veulent d’un tel ou tel autre candidat à la présidentielle, il ne sera jamais président dans ce pays. Si le Sénégal est confronté à toutes ces difficultés d’ordre éducationnel, social et économique, c’est parce qu’on n’est pas indépendant. En grande partie aussi, c’est à cause de la France. Il faut le reconnaître. Le régime en place ne peut rien faire sans la puissance colonisatrice. Dans moins de cinq mois, le Sénégal va organiser une élection présidentielle.

Il y a déjà une centaine de candidatures à la candidature. Parmi toutes ces candidatures, certaines sont parrainées par l’ancienne puissance coloniale. Et tous ceux qui ont postulé disent avoir l’amour pour leur pays. Mais une fois au pouvoir, ils feront le contraire. Parce que le pouvoir a ses réalités qu’ils ne maîtrisent même pas. Ils savent aussi qu’ils n’auront rien à faire, une fois installés à la tête du pays. La plupart veulent tout simplement défendre leurs intérêts personnels. Il ne faut pas se leurrer. Le pouvoir attend tout de la France. C’est pour cette raison que le problème des enseignants ne peut pas être résolu. Au Pai, nous prônons la liberté de l’Afrique en général. Parce que nous constatons que tous ces fonctionnaires africains sont ceux de la puissance coloniale. Ils ne travaillent pas pour leur peuple et leur pays. C’est extrêmement grave. La preuve, à un certain moment, l’ancien président Abdoulaye Wade a voulu manifester son opposition à la France. Il a été diabolisé, très vite maîtrisé et a cédé le pouvoir à Macky Sall en 2012. C’est la France qui l’a voulu ainsi. Outre le Sénégal, aucun autre pays n’est indépendant en Afrique. L’ancienne puissance coloniale a repris au continent sa petite indépendance.  

Pourquoi Me Wade a été ‘’liquidé’’ ?

Le président Abdoulaye Wade a été liquidé politiquement par la France, parce qu’il se battait pour la libération et l’unification de l’Afrique. Il y travaillait avec l’ancien guide libyen Mouammar Kadhafi pour une Afrique libre et indépendante. En 2010, lors du Festival mondial des arts nègres (Fesman) qui s’est tenu à Dakar, les deux panafricanistes avaient fait une déclaration disant qu’avant 2011, ils allaient mettre en place les États-Unis d’Afrique et qu’ils n’attendront plus les traîtres. Les traîtres, ce sont leurs ‘’amis’’ français. Un an après, c’est-à-dire en 2011, Kadhafi a été tué pour ensuite achever le travail politiquement avec Wade. Le président Wade a été convoqué à Benghazi, en Libye, où il a rencontré l’ancien président américain Barack Obama. Il croyait qu’il allait être soutenu. Mais, par la suite, Wade a été liquidé au profit de Macky Sall. Voilà ce qui s’est passé. Le président Abdoulaye Wade est un panafricaniste. C’est Majmouth Diop qui l’a formé. Quand Me Wade a commencé à gêner, la France l’a fait sauter pour placer Macky Sall.

L’Afrique a été minée par des questions de coups d’État, surtout durant le XXe siècle. Pourquoi le Sénégal a été épargné, selon vous ?

La réponse est simple. Tous les coups d’État perpétrés en Afrique occidentale française (Aof) ont été montés par la France, par l’intermédiaire de Jacques Foccart. On préparait les coups d’État au Sénégal que je considère comme le point stratégique n°1 de l’impérialisme international. Tout se préparait au Sénégal avec la complicité des chefs d’État africains. Voilà pourquoi le Sénégal a moins de difficultés que les autres pays africains. Le Sénégal est sous la tutelle de la France. Le Sénégal est un département français. Et la France ne songera jamais à perpétrer un coup d’État dans ce pays.

Nous sommes à moins de cinq mois de l’élection présidentielle. Qui pourrait être le principal challenger de Macky Sall, parmi les candidats déclarés ?

Le principal adversaire du président de la République, c’est Hadjibou Soumaré. Les gens ne comprennent pas. Mais c’est Hadjibou Soumaré qui peut lui créer de soucis lors de la prochaine présidentielle. Il est un cadre, ancien ministre du Budget, ancien Premier ministre et président de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Donc, il maîtrise toutes les relations internationales, pendant que Macky Sall commence à faire un faux-pas en se rendant chez les Chinois. Les Français n’apprécient pas ça. La candidature de Soumaré, c’est pour dire à Macky Sall : attention ! Tout le reste du groupe des candidats déclarés ne peut rien contre le président sortant. On parle de Sonko (Ousmane, président de Pastef Les patriotes). Il est plus patriote que les autres. C’est comme le juge Ibrahima Hamidou Dème. Mais ils ne pourront rien contre le chef de l’État.

Vous avez été témoin de la succession au pouvoir de quatre présidents de la République du Sénégal. Quel est celui qui vous a le plus marqué ?

Si je devais faire un choix, je donnerais la palme à Abdou Diouf. Il a hérité d’un pays complètement à terre. Il n’y avait presque rien dans les caisses de l’État. Par contre, il a su remettre tous les indicateurs au vert. Il reste le président qui a le plus travaillé avec la fameuse politique d’ajustement structurel. Par moments, il a été un dictateur parce qu’il avait décidé de revoir à la hausse le prix de certains produits de consommation. Mais c’était pour le bien-être des populations. C’est grâce à Abdou Diouf que le pays est toujours debout. Abdoulaye Wade aussi a travaillé. Il a fait ce qu’il a pu. Mais lui avait une vision panafricaniste. Son vœu le plus cher, c’était l’unification de l’Afrique. Malheureusement, le peuple ne l’a pas compris et c’était difficile pour lui de réaliser son rêve. Wade a été au Sénégal ce que Sékou Touré a été en Guinée. Quant à Macky Sall, je préfère ne pas en parler.

Demain (aujourd’hui) le Sénégal va rendre un dernier hommage à l’un de ses ‘’meilleurs fils’’, Bruno Diatta. Que retenez-vous de ce diplomate ?

Un homme qui a servi quatre présidents. Un homme qui a vécu 40 ans au palais de la République du Sénégal. Un homme qu’on n’a jamais entendu se plaindre. Un homme discret, humble. Bref, un homme qui est parti comme il a vécu. Je pense qu’il fallait lui rendre, de son vivant, un hommage appuyé et faire bénéficier aux générations futures de ses qualités. En attendant, je prie le bon Dieu pour qu’il lui rende la monnaie de son effort déployé tout au long de sa brillante carrière pour la bonne marche de la Nation sénégalaise. Que Dieu ait pitié de cet illustre ambassadeur !

PAR GAUSTIN DIATTA (THIÈS)

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