Publié le 26 Sep 2022 - 23:49
VINGTIÈME ANNIVERSAIRE DU NAUFRAGE DU BATEAU ‘’LE JOOLA’’

Entre doléances et mises en garde

 

Un 26 septembre 2002, le Sénégal venait d'être frappé par la catastrophe maritime la plus meurtrière de l'histoire. L'accident du bateau ‘’Le Joola’’ avait causé près de 2 000 morts ! Aujourd'hui, le sujet est toujours d'actualité. La commémoration de cette année est marquée par des revendications, des doléances et même des mises en garde.

 

Il y a vingt ans, les anges de la mort avaient jeté le mauvais sort sur ‘’Le Joola’’. Ce bateau qui assurait la liaison Ziguinchor – Dakar avait chaviré, faisant plus de 1 800 victimes. Et la suite des événements est loin d'être un long fleuve tranquille.

Depuis lors, les familles des victimes et les rescapés ne cessent de crier leur amertume. À l'occasion de chaque anniversaire, presque les mêmes revendications sont posées sur la table. C'est soit le renflouement du bateau, soit les indemnisations. Il faut ajouter à cela une toute nouvelle doléance qui consiste à décréter jour férié, le 26 septembre.

En effet, sous le régime du président Abdoulaye Wade, l'État du Sénégal avait décaissé 20 milliards destinés à indemniser les familles des victimes. Mais selon ces dernières, il reste six milliards qu'elles réclament. Cheikhna Keïta, Président de l'Association des victimes : "Toutes les familles de victimes de ce naufrage sont oubliées. Les gens m’appellent de partout pour me demander un soutien. Je lance ce cri du cœur au nom de toutes les familles qui me l’ont demandé.’’ Il est allé même plus loin pour dénoncer l’attitude des autorités qui, selon lui, ressemble à du mépris, à une volonté de les pousser à l’oubli.

Cependant, la marraine de ce vingtième anniversaire se veut rassurante. Dans sa déclaration, Aminata Assome Diatta a affiché un visage optimiste, même s'il y a encore des lenteurs. L'ancienne ministre explique : "L'État est en train de travailler dans ce sens. Maintenant, pour le décaissement des six milliards, il faut comprendre que l'État a toujours ses règles de fonctionnement qui font que les choses ne sont pas aussi simples. Mais il faut être optimiste.''

À la différence de l'Association des victimes qui réclame encore les indemnisations, le Comité d'initiative pour l'érection du mémorial-musée ‘’Le Joola’’ mise sur le ''combat idéologique'' où l'argent n'est pas forcément le motif. Joint par téléphone, Samesidine Aïdara, membre du comité, par ailleurs porte-parole, revient plus clairement sur ce point : "Nous comprenons la décision et la position de l'Association nationale des victimes qui a jugé utile de réclamer cet argent. Mais, à notre niveau, pour le combat que nous menons, l'argent n'en fait pas partie. C'est plus un combat idéologique où l'importance est de pousser l'État à assumer pleinement ses responsabilités à travers les différents points qu'on a déposés sur la table. Ce reliquat n'est pas notre problème. Ce qui nous importe, c'est que les causes des familles soient respectées d'une manière ou d'une autre.''

Jour férié pour le 26 septembre…

L'Association des familles des victimes et rescapés du ‘’Joola’’ ne s'en limite pas seulement aux vieilles doléances d'indemnisation et de renflouement du bateau. Elle est allée plus loin, en demandant que la date du 26 septembre soit décrétée jour férié. Pour elle, la commémoration doit être faite à la hauteur de la tragédie.

Toutefois, cette idée n'est pas bien partagée par la marraine de cette année. Et si on la comprend, ce n'est pas du tout évident. Ainsi, Mme Diatta donne les raisons de l'impossibilité à décréter ce fameux jour : "Au Sénégal, nous avons beaucoup de jours fériés. Par rapport à notre calendrier, ce n'est toujours pas un bon signal pour les investisseurs. Mais il faut en faire une journée du souvenir.''

Quant au comité, sa position est conforme aux explications de Mme Diatta. Selon M. Aïdara, au lieu d'un jour férié, ils souhaitent que le 26 septembre soit, comme l'a déclaré la marraine, une journée du souvenir. ''Le comité demande que ce soit officiellement une journée nationale du souvenir. Ce, à travers une loi. C'est juste ça. Pour le jour férié, ce n'est pas du tout facile. Cela a des implications économiques et autres. Et c'est encore plus compliqué à obtenir. Toutefois, si l'État est favorable à un jour férié, on ne dira pas non'', déclare-t-il.

Par contre, les chances de faire du 26 septembre journée du souvenir sont réelles. Même si, selon les explications de M. Aïdara, face à la question, l'État est resté indifférent. "L'État n'a jamais réagi à notre demande. Pourtant, c'est quelque chose de très simple qui ne nécessite aucun franc. À un moment donné, on a eu des discussions favorables avec des députés. Malheureusement, ce n'est pas passé au niveau de l'Assemblée nationale. C'est une doléance qui a duré vingt ans aujourd'hui''.

Problèmes des musées du ‘’Joola’’

Après la tragédie, l'État du Sénégal s'est engagé pour la construction de deux musées en souvenir des victimes. Un à Dakar et un autre à Ziguinchor. Mais la façon dont les travaux se déroulent déplaît le Comité d'initiative pour l'érection du mémorial-musée. D'après Samesidine Aïdara, ils sont complètement écartés et n'ont aucune connaissance sur le fonctionnement du mémorial de Ziguinchor. ''Nous déplorons le processus, la manière de faire. On nous a exclus totalement du contenu de ce mémorial-là. On ne comprend pas du tout, d'autant plus que nous sommes les principaux concernés, car nous l'avons demandé. Ils doivent revoir leurs démarches. S'ils ne nous consultent pas pour savoir le mémorial que nous demandons, ça ne servira à rien. Ce sera juste du ciment et des murs. On est là, on ne sait pas ce qui se passe, on ne nous dit rien. C'est dommage !".

À propos de ce mémorial de Ziguinchor, M. Aïdara précise que le coût initial pour son érection était estimé à 300 millions de francs CFA et les travaux devaient prendre fin cette année 2022 coïncidant avec le vingtième anniversaire. Mais selon lui, ce n'est pas encore le cas. Autre chose : le coût initial a été augmenté. C'est ce qu'il fait savoir en ces termes : ''À un moment donné, les 300 millions sont passés à trois milliards, à notre grande surprise. On ne sait pas les raisons.''

En ce qui concerne le musée de Dakar, rien n'est encore fait. Contrairement à celui de Ziguinchor où les travaux avancent tant bien que mal, celui de Dakar n'a pas encore pris forme. ''Pour Dakar, c'est le statu quo. Rien ne bouge. L'État fait comme s'il avait oublié ce projet, alors que c'est une promesse faite depuis le temps du président Abdoulaye Wade. Cette année, on a eu une proposition très intéressante de Pierre Goudiaby Atepa. On invite aussi les autres architectes et ingénieurs qui ont des projets, qu'ils puissent les soumettre et on va en discuter ensemble. Comme ça, on pourra faire des propositions au gouvernement qui ne réagit jusque-là pas, afin que l'érection de ce mémorial, qui doit être faite sur la corniche-Ouest de Dakar soit effective''.

''Risque d'une autre tragédie maritime''

Alors que les Sénégalais ont encore le douloureux souvenir du ‘’Joola’’ dans les mémoires, certains mettent en garde contre une autre possible tragédie maritime. Ils pensent que les autorités n'ont pas tiré les leçons de la catastrophe de 2002. C'est le cas de Cheikh Tidiane Dièye, leader de la plateforme Avenir Sénégal bi Gnou Beug qui pointe du doigt l'État. Selon lui, ce dernier n'a pas pris conscience des évènements. Autrement, il pense que le contrôle manque au niveau des autres bateaux qui transportent des personnes et biens.

''Aujourd'hui, vingt ans après, cette sorte de médiocrité ou de légèreté dans la gouvernance est à déplorer. La compagnie qui a été créée tout après, à savoir Cosama, exploite les bateaux que sont ‘Aline Sitoé Diatta’, ‘Aguène’ et ‘Diambogne’, et le ‘Djilor’. Il y a quelques mois, j'avais fait une sortie pour tirer la sonnette d'alarme. C'était pour alerter l'État sur la mauvaise gestion de la société Cosama''.

D'après M. Dièye, par ailleurs membre du Pastef, avec l'existence de problèmes dans la gouvernance de la société, cette dernière n'arrive plus à gérer ses charges et les coûts de sécurité et de maintenance des navires. Ce qui pose un problème de sécurité. Aussi, il révèle que le Cosama ne tourne presque qu'avec ‘’Aline Sitoé Diatta’’, parce que ‘’Diambogne’’ et ‘’Aguène’’ ont des problèmes. Dans les choix d'investissement qui ont été faits ces dernières années, pour le changement de business plan, le Cosama a acheté un bateau, le ‘’Djilor’’, pour transporter l'anacarde. Ce qui est, pour M Dièye, un investissement désastreux.  

''Dès que le bateau est arrivé, il a commencé à tomber en panne. Beaucoup d'avaries sur ce bateau-là. Énormément de réinvestissements, au moment où cet argent devait aller dans ‘Aguène’ et ‘Diambogne’ qui transportent ou des marchandises ou des passagers. Alors, ça pose problème et ça risque d'avoir des répercussions sur ces bateaux. À Dieu ne plaise, s'il se passait quelque chose avec ‘Aline Sitoé Diatta’, vous imaginez ce que ça serait encore, des années après ‘Le Joola’. Que par nos incapacités et irresponsabilités collectives, surtout celles de nos gouvernants, nous arrivions à vivre un drame maritime de la sorte, ça, ce serait carrément inacceptable pour notre pays !".

El hadji Fodé Sarr

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