Comptes et mécomptes !
On en sait un peu plus sur la publication accélérée du rapport de la Cour des Comptes sur la gestion du fonds Force-Covid-19, alors même que les rapports généraux de 2018, 2019, 2020 et maintenant 2021 dorment toujours sur la table du premier président de la Cour des Comptes. À trois mois seulement de la fin de son premier mandat qui n’est renouvelable qu’une fois, le premier président Mamadou Faye devra forcer la porte du président de la République pour respecter son engagement.
Il avait donné le ton, il y a de cela presque cinq ans, au moment même de son installation en tant que premier président de la Cour des Comptes, en mars 2018, en remplacement de Mamadou Hady Sarr. Depuis, le président Mamadou Faye n’a eu de cesse d’insister sur ses ambitions à la tête de la haute juridiction. Celles-ci se résument ainsi : augmenter le nombre de rapports, améliorer leur qualité, mais surtout veiller à leur production à date. À maintes reprises, M. Faye répétera à qui veut l’écouter : ‘’Il ne sert absolument à rien de sortir des rapports au-delà des délais requis, parce qu'il perdrait de leur pertinence… C'est vrai que nous avons des retards ; nous en sommes conscients et travaillons nuit et jour pour que ces retards soient un mauvais souvenir. Et ça le sera dans quelques mois…’’ C’était il y a quelques mois, à l’occasion d’une cérémonie marquant le jumelage entre la Cour des Comptes du Sénégal et celle de la France qu’il disait cela.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que depuis son avènement à la tête de la juridiction, des efforts importants ont été faits dans la voie de la normalisation. Dès sa prise de fonction en mars 2018, le président Mamadou Faye a mis le pied sur l’accélérateur et est parvenu, dès 2019, à publier trois rapports : 2015, 2016 et 2017.
Malgré les efforts, il faut noter que la haute juridiction peut être freinée dans sa volonté de publier les rapports à date par l’Exécutif. ‘’Par exemple, elle ne peut pas procéder à la publication des rapports tant que ceux-ci n’ont pas été transmis au président de la République. Il peut arriver que le président traine un peu dans la réception des rapports ; ce qui peut constituer une entrave à l’obligation de publication’’.
Mamadou Faye, premier président de la Cour des Comptes : ‘’Il ne sert à rien de sortir des rapports au-delà des délais requis’’
Depuis 2019 et la publication des trois rapports susvisés, la cour a replongé dans les retards de publication. D’ailleurs, la question de ces retards a souvent été posée au premier président. A chaque fois, sa réponse a été plus ou moins diplomatique. Sans accuser l’Exécutif, il a toujours semblé dire que ses services ont déjà fait une bonne partie du job. En 2021 déjà, il a affirmé : ‘’Le rapport 2018 est déjà prêt et imprimé ; c'est sur ma table. Celui de 2019 est en impression et pour le rapport de 2020, les chambres vont bientôt se réunir et adopter le rapport provisoire… Nous ferons tout pour qu’au plus tard au mois de mars, nous puissions remettre le rapport au président de la République. C'est un engagement que j'avais pris depuis mon installation.’’
Mais pourquoi donc les rapports terminés et imprimés n’ont jusque-là pas été publiés ? Est-ce le président de la République qui refuse de les recevoir ? On serait tenté de le croire, au vu de la doctrine maintes fois réitérée par le président Mamadou Faye, consistant à regretter les lenteurs dans la publication des rapports annuels. Quid alors du rapport sur la Covid-19 qui semble venir pile à l’heure, au moment où trois rapports attendent sur la table du premier président ? Un interlocuteur confie : ‘’En fait, ce rapport a été financé par les bailleurs. Et dans l’accord de financement, il y avait la condition de procéder à la publication. La cour avait donc plus de marge de manœuvre que dans le cadre de ses rapports traditionnels.’’
La publication du rapport Covid, une exigence des bailleurs
Il faut rappeler que le fonds Force-Covid-19 était alimenté à partir notamment des deniers de plusieurs partenaires publics et privés internationaux. Lesquels, ont confié des sources, ont pesé de tout leur poids pour que cette publication se fasse, sous réserve de suspendre d’autres financements. Depuis, l’Exécutif est sur le qui-vive. Des poursuites ont été réclamées contre d’éminentes personnalités du régime, dont l’influent ministre chargé de l’Industrie, Moustapha Diop.
Selon ce magistrat, la balle est dans le camp des autorités judiciaires, mais il faudra régler un préalable. ‘’En fait, le parquet n’a pas besoin de recevoir une instruction du ministre de la Justice pour s’autosaisir. Mais le problème, c’est comment il va s’autosaisir ? Il va de soi que le procureur ne saurait se baser sur les informations relayées par la presse pour déclencher une action. Il faudra d’abord se procurer l’original du rapport ; ce qui ne peut venir que de la cour ou de l’Exécutif. Je pense que c’est une insuffisance. On gagnerait à conférer à la cour les mêmes prérogatives qu’à l’Ofnac qui dispose d’un pouvoir de saisine directe du procureur’’.
Très déterminé dans la lutte contre la mal gouvernance, le président Mamadou Faye a toujours voulu aller au-delà de la publication du rapport général. ‘’Nous voulons, au-delà du rapport général public destiné au président de la République, des rapports particuliers destinés aux dirigeants des entités contrôlées, nous voulons aussi vous donner un rapport d'activité qui vous permettra de mesurer exactement le volume de travail abattu par la cour qui, reconnaissons-le, n’est pas inconnue, mais elle reste encore méconnue’’, disait-il.
AUTONOMIE DE LA COUR Les ‘’ponctions budgétaires’’, l'épée de Damoclès Si la Cour des Comptes dispose d’une grande marge de manœuvre par rapport à son fonctionnement et à son indépendance, elle n’est pas à l’abri, statutairement, de représailles au plan financier. Depuis la publication du rapport sur la gestion de la Covid-19, c’est presque un tir groupé contre les vérificateurs. Alors que certains responsables épinglés n’ont pas mis de gants pour s’en prendre aux hommes du président Mamadou Faye, le président de la République et son gouvernement se sont, eux, voulus plus mesurés dans leurs ripostes. Pour certains, c’est le moment de se demander s’il ne risque pas d’y avoir des représailles contre les magistrats enquêteurs. Selon ce magistrat, la Cour des Comptes jouit d’une certaine indépendance. ‘’En dehors de ce blocage relatif à la publication de ses rapports, je ne vois pas comment on pourrait entraver son fonctionnement’’, rétorque-t-il. À entendre le premier président, on serait tenté d’être moins tranché par rapport à cette affirmation. Dans une de ses sorties, Mamadou Faye plaidait pour un renforcement de son autonomie financière, en sortant la cour du périmètre de régulation budgétaire. Interpellé sur cette question à l’occasion de son installation, il disait : ‘’Vraiment, nous ne nous plaignons pas, à ce niveau. Seulement, ce que nous déplorons, c’est que la cour puisse faire l’objet d’une régulation budgétaire, ce que vous appelez des ponctions budgétaires. Cela pourrait affecter l’indépendance de la cour. Par exemple, si la cour n’est pas d’accord avec un ministre, il suffit que le ministre des Finances fasse une ponction pour ralentir les performances de la cour.’’ Le verrou sur les recrutements Par rapport aux recrutements des membres, il faut noter que l’accès à la cour se fait par voie de concours. Il résulte de la loi 2016-26 du 5 août 2016 portant statut des magistrats de la Cour des comptes, que le principe de ce recrutement reste le concours. ‘’Cependant, des nominations par décret, au tour extérieur, peuvent avoir lieu dans les grades de conseiller-maître et de conseiller-référendaire, dans les conditions fixées à l'article 11 de la présente loi organique’’, précise l’article 10 alinéa 2. Mais ce mode de recrutement prévu par l’article 11 est strictement encadré par le législateur. D’abord, il faut une proposition du premier président de la Cour des Comptes. Ensuite, pour le grade de conseiller-référendaire de deuxième classe, premier échelon, la personne proposée par le premier président doit être de hiérarchie au moins égale à Al ou assimilés, comptant au moins douze ans dans ladite hiérarchie. Pour le grade de conseiller-maître de deuxième classe, premier échelon, le premier président de la Cour des Comptes peut proposer des fonctionnaires ou agents non fonctionnaires de l'État (ou de ses démembrements) de hiérarchie au moins égale à Al ou assimilés et comptant au moins vingt ans dans ladite hiérarchie. Aussi, la loi précise que ‘’le recrutement au tour extérieur s'effectue dans la limite du tiers de l'effectif de chaque grade’’. Par ailleurs, il convient de noter que le premier président de la Cour des Comptes est nommé par décret du président de la République pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. En ce qui le concerne, le président Mamadou Faye a été installé dans sa fonction en mars 2018. Son mandat arrive à terme en mars 2023. |