Pourquoi les marchés publics sont vulnérables à la corruption
La passation des marchés publics est souvent considérée par le peuple comme un outil de détournement et de pillage des ressources publiques, blanchies et utilisées pour des paiements de pots-de-vin et la corruption. Les Etats membres de la CEDEAO restent encore vulnérables à ces pratiques. Les raisons sont multiples et variées.
La vulnérabilité des états membres du GIABA, bras armé de la CEDEAO contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, est un sujet qui intéresse les autorités de l’institution intergouvernementale. Dans ce sens, le GIABA a organisé un l'atelier sur la Lutte contre les risques de blanchiment de capitaux liés aux marchés publics en Afrique de l'Ouest, à Saly Portudal. Le Directeur des politiques et de la recherche du GIABA, venu représenter le Directeur Général, a profité de cette occasion pour faire une revue exhaustive des différentes raisons qui rendent vulnérables les Etats membres à ces fléaux.
Selon Muazu Umar, « le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme constituent de grave menaces pour nos économies, notre sécurité et le développement général de nos populations. Les produits de la criminalité et le financement du terrorisme transitent souvent par nos systèmes financiers, dissimulant leurs origines et destinations illicites. Les processus de passation des marchés peuvent être manipulés pour masquer ces activités illégales, sapant ainsi nos efforts collectifs visant à instaurer des systèmes de gouvernance transparents et responsables ».
Dans cette dynamique, il souligne que plusieurs raisons font que les marchés publics sont vulnérables à la corruption et au blanchiment de capitaux. D’abord, indique le Directeur des politiques et de la Recherche, « la complexité des processus de passation de marchés, en particulier lorsque des montants importants et de multiples parties prenantes sont impliqués, avec des accords contractuels et des transactions complexes, offre des opportunités qui peuvent être exploitées car il sera difficile de les surveiller et de les contrôler. » Ensuite, ajoute M. Mauzu Umar, les marchés publics impliquant des sommes d'argent assez colossales sont souvent attrayants et sont la cible d'activités de corruption, de flux financiers illicites et de blanchiment de capitaux. Pour lui, il y a également « la possibilité de prendre des décisions en toute discrétion en matière de passation de marchés, associée à la nature confidentielle de la plupart des processus, notamment la présence de clauses de confidentialité dans les contrats, facilite la dissimulation des activités de corruption ».
Par ailleurs, précise-t-il, « dans certains cas, les procédures de passation de marchés manquent de transparence et les mécanismes de redevabilité sont faibles, laissant ainsi les pratiques de corruption passer inaperçues. Des réglementations inadaptées, des dispositions législatives faibles et une mise en œuvre inefficace facilitent la corruption dans la passation des marchés publics ».
De surcroît, « les marchés publics impliquent des décideurs qui peuvent être susceptibles de recevoir des pots-de-vin, de se trouver en situation de conflit d'intérêts ou d'être victimes d'autres influences corruptrices. Nous l'avons constaté à maintes reprises dans plusieurs études de recherche », révèle le représentant du DG du GIABA. Il est convaincu que l’utilisation de l'argent liquide et des économies informelles en est une cause permanente.
"L'argent liquide est roi"
En effet, martèle Mauzu Umar, « en Afrique de l'Ouest, on dit souvent que "l'argent liquide est roi". La prévalence de l'argent liquide et des économies informelles a donné lieu à une utilisation abusive des marchés publics et des procédures de passation de marchés pour collecter, déplacer et dissimuler des fonds illicites ». Le Directeur des politiques et de la recherche du GIABA estime aussi que les chaînes d'approvisionnement mondiales, qui impliquent des transactions financières complexes passant par plusieurs institutions intermédiaires basées dans différents pays, « rendent plus difficiles le suivi et la surveillance des paiements et des transferts de fonds, offrant ainsi des possibilités de dissimuler la corruption et les transactions illicites ».
Il a même pointé du doigt les ressources humaines et leur expertise en matière de passation de marchés publics. « Les directions et fonctions chargées des marchés publics manquent souvent de ressources humaines et matérielles suffisantes, et plus particulièrement de l'expertise nécessaire pour gérer des processus de passation de marchés complexes. Ils ne disposent pas non plus des outils nécessaires pour contrôler et prévenir efficacement les activités de corruption », a remarqué M. Muazu. Avant de poursuivre : « la concurrence acharnée entre les différents fournisseurs et prestataires de services peut conduire à une culture du « gagner à tout prix », qui favorise les pratiques de corruption. Elle conduit également à un abus d'influence, lorsque des pressions indues sont exercées sur les responsables des marchés publics et les autorités politiques qui contrôlent les fonds ».
IDRISSA AMINATA NIANG (Mbour)