Le limogeage de Choguel Maïga, symbole des fractures au sein de la junte
La scène politique malienne vient de connaître un tournant majeur. Le limogeage de Choguel Kokalla Maïga, Premier ministre civil, a été brutal et symbolique : il révèle les fractures profondes au sein du pouvoir de transition dirigé par la junte militaire. La nomination dans la foulée du général Abdoulaye Maïga, figure montante de ce régime, souligne une volonté d'affirmation des militaires au détriment des compromis civils. Cette décision fait suite à des semaines de tensions exacerbées, marquées par des discours critiques du Premier ministre sortant et des réponses feutrées, mais déterminées, des autorités militaires.
Bamako traverse une période de turbulences politiques depuis le coup d'État militaire de 2020. La récente nomination du général Abdoulaye Maïga en tant que Premier ministre, en remplacement de Choguel Kokalla Maïga, a marqué un tournant significatif dans la dynamique du pouvoir au sein de la junte au pouvoir. Ce changement, survenu dans un contexte de tensions croissantes entre les autorités militaires et le gouvernement civil, soulève des questions sur l'avenir politique du pays et les implications de cette transition pour la gouvernance et la stabilité au Mali. La transition était censée prendre fin le 26 mars 2024, mais elle a été reportée sine die, unilatéralement, sans débat au sein du gouvernement", a déclaré le Premier ministre remercié.
Pour lui, "le Premier ministre d’un pays ne peut pas apprendre dans les médias que les élections ont été reportées. C’est à la télé que les ministres ont appris que les élections ont été reportées". Il enfonce le clou mettant en garde ses ex-alliés : "L’objectif de la conférence d’aujourd’hui, c’est de faire en sorte que tout le monde comprenne que là où il y a des erreurs, qu’on se ressaisisse. Les Maliens n’accepteront jamais que ce qu’ils ont combattu revienne."
Plus jeune que son prédécesseur qui est âgé de 66 ans, le général Maïga a 43 ans. Ce militaire de formation est dans le gouvernement depuis 2021, où il a servi comme ministre de l'Administration territoriale, avant de cumuler avec la fonction de porte-parole du gouvernement, donc, l'une des figures principales de la communication de la junte. En 2022, Abdoulaye Maïga avait déjà été nommé Premier ministre par intérim, au moment où Choguel Maïga était hospitalisé à la suite d’un accident vasculaire cérébral (AVC). Et lorsque celui-ci avait repris fonction, en décembre 2022, Choguel Maïga avait paru relégué à des fonctions de représentation, Abdoulaye Maïga passant alors pour être le Premier ministre de fait.
Sa nomination est perçue comme un renforcement du contrôle militaire sur le gouvernement. En tant que figure publique de la junte, il est chargé de communiquer les décisions gouvernementales et de défendre les actions des militaires. Sa nomination pourrait également signaler une volonté de la junte de consolider son pouvoir face à une opposition croissante et à des critiques internes.
Son limogeage est survenu après une crise ouverte entre lui et les autorités militaires. Lors d'un discours à l'occasion du premier anniversaire de la reprise de Kidal, Maïga a critiqué la gestion de la transition et a dénoncé le report unilatéral des élections. Ses déclarations ont été interprétées comme une remise en question de l'autorité de la junte, ce qui a conduit à sa destitution.
La réaction au limogeage du ci-devant Premier ministre a été mitigée. Certains l'ont vu comme une tentative de la junte de réduire les tensions internes, tandis que d'autres ont exprimé des inquiétudes quant à la consolidation du pouvoir militaire. Les partisans de Maïga ont dénoncé son limogeage comme une trahison et une atteinte à la démocratie, tandis que les soutiens de la junte ont salué la décision comme nécessaire pour maintenir l'ordre.
D'après plusieurs observateurs, Choguel Maïga a bénéficié d'un soutien populaire en raison de son discours nationaliste et de sa critique des puissances occidentales. Cependant, son limogeage pourrait le transformer en martyr politique, renforçant son image auprès de ses partisans. Abdoulaye Maïga, bien qu'ayant une base de soutien parmi les militaires, devra s’imposer dans un environnement politique complexe et potentiellement hostile.
Styles de leadership
Le chef du Mouvement patriotique pour le renouveau a adopté un style de leadership plus civil et inclusif, cherchant à établir un dialogue avec les différentes factions politiques. Cependant, son approche a été critiquée pour son manque de fermeté face aux défis sécuritaires et politiques.
En revanche, Abdoulaye Maïga est dépeint comme un leader plus autoritaire, aligné sur les intérêts militaires et moins enclin à la négociation.
La vision politique de Choguel Maïga était axée sur la restauration de la démocratie et la préparation des élections. Il a plaidé pour une transition transparente et inclusive, mais ses critiques à l'égard de la junte ont finalement conduit à son éviction. Abdoulaye Maïga, quant à lui, semble privilégier une approche plus militarisée, mettant l'accent sur la sécurité et la stabilité, au détriment des processus démocratiques.
La nomination d'Abdoulaye Maïga et le limogeage de Choguel Maïga ouvrent une période d'incertitude politique au Mali. Les tensions entre les militaires et les civils pourraient s'intensifier, et la question de la transition démocratique rester en suspens. Les experts s'accordent à dire que la cohabitation entre les deux camps est désormais compromise, ce qui pourrait entraîner une paralysie gouvernementale.
Choguel Maïga, en tant qu'ancien Premier ministre, pourrait faire face à des poursuites judiciaires ou à des mesures de répression de la part de la junte. Les militaires au pouvoir pourraient choisir de le faire taire pour éviter toute contestation, mais cela risquerait de renforcer son image de défenseur de la démocratie. Les observateurs craignent que la situation ne dégénère en violence, si les tensions persistent.
La nomination d'Abdoulaye Maïga et le limogeage de Choguel Maïga marquent un tournant décisif dans la politique malienne. Alors que le pays continue de faire face à des défis majeurs, la dynamique entre les militaires et les civils sera cruciale pour l'avenir de la transition. Les Maliens espèrent un retour à la stabilité et à la démocratie, mais les incertitudes politiques et les tensions internes pourraient compliquer cette quête. La situation au Mali reste à suivre de près, car elle pourrait avoir des répercussions sur l'ensemble de la région ouest-africaine.
AMADOU CAMARA GUEYE