Publié le 17 Mar 2023 - 22:32
ÉVÉNEMENTS SANGLANTS D’HIER

Dakar en flammes!

 

Des jeunes en furie. Des leaders politiques brutalisés ou empêchés de se réunir. Une économie presque à terre avec beaucoup de dégâts matériels.

 

Du feu, de grosses pierres, une avenue presque déserte. Seuls quelques éléments du GMI sont encore visibles aux alentours du rond-point RTS, en sus des deux gendarmes debout à la porte du siège de la Radiotélévision nationale. Plus loin, vers la place de la Nation, à hauteur de la caserne Samba Diery Diallo, près d’une vingtaine de limiers veillent au grain. Juste à côté, quelques gendarmes semblent plus préoccupés par l’intégrité de la caserne.

La position vient à peine d’être abandonnée par des groupes de manifestants déterminés. Ils ont voulu prendre le magasin Auchan, mais c’était sans compter sur l’organisation des policiers, confie cet agent de sécurité qui veille sur le commerce d’un Chinois. ‘’C’est surtout ce véhicule anti-émeute qui les a fatigués. S’il n’y avait pas ce blindé, ils auraient foncé sur le supermarché Auchan. C’était leur objectif. Mais ils n’ont même pas pu y accéder à cause de ce véhicule’’, témoigne-t-il, bonnet sur la tête, pointant du doigt un gros blindé noir estampillé ‘’Saloum’’. Un autre du même type est aussi positionné juste au niveau de l’échangeur Malick Sy.

Confrontés à ce mur presque infranchissable, ils se retranchent dans les rues de Fass et de Médina, emportant tout sur leur passage. Cette jeune fille n’a que ses yeux pour pleurer. Des manifestants, munis d’armes blanches, se sont emparés de son téléphone portable, confie son amie qui a pu se sauver à temps, en prenant ses jambes à son cou. Au loin, sur la rue 34, il y a de la fumée noirâtre un peu partout. Sur place, les jeunes dictent leur loi et semblent narguer les forces de l’ordre bloquées au niveau de l’avenue. Et pour les décourager à les traquer dans ces milieux étroits et hostiles, ils érigent pas mal d’obstacles sur la chaussée. En sus des pneus brulés, des kiosques Orange Money et distributeurs d’eau Kaay Naan jonchent la route.

Amadou Samb est le chargé de développement du projet Kaay Naan. Il dénonce un vol. ‘’Non seulement ils ont caillassé notre machine, mais ils ont pris tout l’argent qui était à l’intérieur. C’est vraiment dommage. Nous, nous ne sommes pas contre les manifestations, mais on est tenté de se demander quelles sont leurs motivations ? Je pense que l’objectif n’est pas de détruire les biens d’autrui. Nous, nous n’avons rien avec tout ça. Nous sommes des particuliers qui avons investi sur un projet à but d’utilité publique. Ils n’avaient vraiment pas à détruire notre matériel’’, regrette-t-il, non sans avertir : ‘’Ce que ces gens ne savent pas, c’est que ces machines sont équipées de vidéosurveillance. Ils ont tous été photographiés. Nous avons les images et allons voir ce qu’il faut faire avec nos services juridiques.’’

Quelques instants plus tôt, la fourgonnette de la police fonce sur la rue en repérage et les jeunes se dispersent dans les ruelles de Fass. Quelques minutes plus tard, la fourgonnette qui avait fait le tour revient sur les lieux avec un camion rempli de GMI. À coups de grenades lacrymogènes, ils finissent par chasser tous les contestataires qui peuvent aller semer la terreur dans d’autres endroits.

Le même décor a été noté dans plusieurs quartiers de Dakar : avenue Blaise Diagne ou trois bus de Dakar Dem Dikk ont été incendiés ou vandalisés, sur la VDN, à Sacré-Cœur de même que dans les Libertés. La banlieue n’a pas été en reste. Les manifestations ont éclaté, un peu partout. Dans la commune de Mbao, elles se sont poursuivies jusque tard dans la nuit. A Bargny, la circulation a été bloquée, pendant des heures, interdisant l’accès à la capitale.

Au total, selon la société de transport public DDD, quatre bus ont été caillassés et trois ont été totalement calcinés. À la cité Keur Gorgui, comme d’habitude, c’était un calme relatif, malgré quelques tensions en début de soirée. Partout, les gérants de commerces ont été obligés de fermer boutique. Une journée presque morte pour l’économie.

DEBUT DES ÉCHAUFFOURÉES 

L’itinéraire tumultueux du leader de Pastef

Une journée très mouvementée. Du matin au soir, le président de Pastef/Les patriotes n’a pas eu de répit. Tout a commencé à hauteur de la stèle Mermoz. Sur place, son convoi est bloqué par des agents de la BIP et du GIGN. Fort des foules qui ralliaient au fur et à mesure son cortège, l’opposant radical peste : ‘’Aujourd’hui, personne ne va m’imposer un itinéraire. Je passerai par l’avenue Cheikh Anta Diop. À moins qu’il ne prenne ma vie. Je vous remercie.’’ À l’en croire, il y a des nervis sur la Corniche, prêts à lui ôter la vie. Raison pour laquelle il veut prendre de gré ou de force l’avenue Cheikh Anta Diop.

Après plusieurs minutes de blocage, les forces de l’ordre dispersent la foule à coups de grenades lacrymogènes, avant d’encercler le véhicule dans lequel se trouve Ousmane Sonko. Dans un premier temps, Sonko descend de sa voiture pour s’expliquer, mais se heurte à des agents qui ne veulent même pas l’écouter. Il entre à nouveau dans son véhicule et fait demi-tour comme pour rentrer chez lui à la cité Keur Gorgui, mais se heurte aux forces spéciales de la police et de la gendarmerie déterminées à le faire comparaitre.

Malgré sa farouche lutte en compagnie de son avocat Me Ciré Clédor Ly et de son lieutenant Guy Marius Sagna, il finira par céder devant l’intransigeance des forces de l’ordre.

 Guy Marius Sagna revient sur les circonstances. ‘’Ils voulaient prendre de force Ousmane Sonko pour le mettre dans leur véhicule ; je me suis interposé en le ceinturant. Comme ils n’ont pas pu le tirer, ils nous ont aspergé une substance que je ne connais pas. Cela fait 30 minutes que je ne peux pas ouvrir mes yeux. Je me suis déplacé grâce à un guide pour regagner le tribunal. Cela montre jusqu’où le président Macky Sall peut aller pour arriver à ses fins’’.

Exfiltré, le leader politique a finalement été acheminé au tribunal. À la fin de l’audience renvoyée jusqu’au 30 mars prochain, rebelote. Face aux gendarmes qui ont voulu le retenir pour quelques formalités, le maire de Ziguinchor refuse et montre sa détermination à regagner son domicile.

Président du groupe parlementaire Yewwi Askan Wi, Birame Souleye Diop accuse : ‘’Après l’avoir gazé le matin, ils ont voulu empêcher le président Ousmane Sonko de rentrer chez lui. L’ambition de liquider le président Ousmane Sonko est manifeste. Nous tenons Macky Sall comme le seul responsable de tout ce qui pourrait lui arriver. Nous allons faire des prélèvements sur les substances qui lui ont été aspergés pour des analyses. Ce pays n’appartient pas à Macky Sall. Nous n’allons pas le laisser faire ce qu’il veut dans ce pays.’’

Le leader de Pastef et Me Ciré Ly hospitalisés

Rentré chez lui, Ousmane Sonko va encore se heurter au blocus érigé à la cité Keur Gorgui, depuis trois jours. Le soir, sur sa page Facebook, il publiera : ‘’Depuis que les FDS m’ont déposé chez moi, je suis sujet à de terribles vertiges. Je souffre de douleurs au bas-ventre et j'éprouve des difficultés respiratoires. Nous avons appelé la Suma Assistance. Mais depuis plus d’une heure, la police a bloqué leur ambulance au rond-point et leur refuse l’accès à mon domicile. Macky Sall se livre ouvertement à une énième tentative d’assassinat sur ma personne.’’

Un post qui a fini par décanter la situation, puisque l’ambulance a fini par arriver au domicile du leader de Yaw. Il a été évacué à l’hôpital dans la soirée.

Selon les informations fournies par Me Koureyssi Ba, Sonko a été hospitalisé. Son avocat Me Ciré Clédor Ly, lui aussi gazé un peu plus tôt dans la journée et évacué du tribunal sur une civière, a été admis dans une clinique, annonce la même source. 


YEWWI ASKAN WI

Les leaders empêchés de se réunir dans un lieu privé  

Pour leur part, les leaders de Yewwi Askan Wi se sont donné rendez-vous à 17 h au siège du PRP de Déthié Fall, sis sur la VDN. Sur place, ils ont eu droit à un accueil peu habituel. En sus de ‘’Kadiamor’’, ce petit véhicule blindé anti-émeute de la gendarmerie positionné à la devanture du siège, un autre du nom de ‘’Sinthiou Garba’’, positionné juste au niveau du rond-point, sous l’autopont, il y a environ une trentaine d’éléments déterminés à empêcher la réunion des leaders de la coalition de l’opposition.

Sur place, il y a notamment Khalifa Ababacar Sall, Déthié Fall, Cheikh Tidiane Youm, Moussa Tine, Aida Mbodj… Résignés, les leaders se contentent d’une déclaration de leur président Habib Sy dans la rue. ‘’Ils ont bafoué le droit le plus élémentaire d’un parti politique, celui de se réunir dans un lieu privé, sans aucun motif. C’est injuste et inacceptable. C’est un régime de terreur, une volonté manifeste de semer le chaos. Nous le dénonçons avec vigueur comme on dénonce le traitement inhumain dont a été victime Ousmane Sonko. Ce qui se passe est une honte. C’est inédit dans notre pays’’, s’indigne l’ancien ministre d’État de Wade.

Embouchant la même trompette, le président Déthié Fall fulmine : ‘’Ce qui se passe n’est ni plus ni moins qu’une provocation. Nous étions venus juste pour nous réunir et ils nous ont empêchés. Dans quel pays nous sommes ? C’est une provocation et nous allons répondre à cette provocation.’’

Avant leur départ, les leaders ont insisté pour que Déthié Fall, le maitre des lieux, fasse constater ce qui s’est passé par huissier. 

Mor AMAR

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