Ouaga a peur
L’attaque terroriste qui a frappé Ouagadougou a marqué les esprits, et peut-être durablement. La capitale, quadrillée par les forces de sécurité, est presque morte. Les commerçants ont déserté les marchés. Les habitants vivent la peur au ventre et se posent encore des questions.
Reportage.
‘’Qui va risquer sa vie en ouvrant sa boutique ?’’. Ces mots de William Dabiré traduisent l’état d’esprit général à Ouagadougou, 24 heures après l’attaque meurtrière qui a endeuillé le pays. Le commerçant vit toujours en plein cauchemar. Il ne comprend toujours pas ce qui s’est passé. ‘’Je ne pense pas au commerce. Vous voulez me pousser au suicide, ma sœur. Je ne pense pas que vous trouverez les pagnes aujourd’hui. Peut-être dans une semaine. Vous avez constaté qu’il n’y a personne ici’’, lance-t-il. Ce matin, il est venu chercher les bagages qu’il avait laissés dans sa boutique, le jour de l’attaque terroriste. ‘’Quand j’ai entendu les tirs, j’ai vite fermé la boutique pour me sauver. L’Etat-major général se trouve à quelques mètres d’ici. Il y avait de la fumée partout. Je me suis sauvé sans penser à ma marchandise’’, narre M. Dabiré.
Le calme total qui a envahi les lieux tranche avec l’animation habituelle de ce grand marché. Des caisses, des sachets, des chaises cassées, des poubelles sont le seul décor visible. C’est tellement calme que cela fait peur. Ailleurs, ce n’est pas le grand bouillonnement des jours ordinaires, dans la capitale. La vie reprend petit à petit son cours au sein d’une population groggy. Dans la rue, partout, les forces de sécurité et de défense veillent au grain. Quand on marche, on est obligé de regarder droit devant. Surtout éviter de se retourner, par peur d’être interpellé par les hommes de tenue. Armés jusqu’aux dents, ils font d’incessants va-et-vient. Ils sont à cran. Même lorsqu’on fait mine de flâner, à la recherche d’une boutique ouverte, ils vous lancent d’incessants ‘’Circulez !’’ d’une voix peu amène. On a envie de courir. Mais, ça aussi, c’est interdit. Il faut marcher vite, en gardant sa sérénité. Le seul mot d’ordre : ne pas attirer l’attention. Sinon, vous risquez de vous faire arrêter.
‘’J’espère que vous avez votre pièce d’identité. Il le faut, sinon vous serez obligé de prendre une autre moto. Parce que je ne veux pas de problème’’, dit un conducteur de mototaxi à un client. ‘’Bien sûr que j’ai mes papiers. Qui ose sortir aujourd’hui sans précaution ? Faites vite’’, répond le client. Le conducteur se dépêche avant que les feux de signalisation ne passent au rouge.
‘’Je ne travaille pas pour les renseignements’’
A l’avenue Kouamé Nkrumah, c’est un silence de cimetière. Les mouvements à la station d’essence sont au ralenti. On a l’impression que l’attaque terroriste a eu lieu dans ce lieu. La présence des forces de défense est impressionnante. Même la station est sous surveillance. Les pompistes sont obligés de s’asseoir, en attendant l’arrivée, au compte-gouttes, des clients. D’habitude très électrique, l’ambiance dans cette avenue est morne. C’est d’ailleurs le cas dans toutes les rues de Ouagadougou. Venue chercher de l’essence, Annette Ouattara, comme beaucoup de citoyens, veut avoir plus d’informations sur l’attaque. ‘’Je ne pense pas que c’est une attaque terroriste.
Le gouvernement doit communiquer vrai. Il ne faut pas qu’il continue à nous mentir’’, dit-elle à voix basse, en jetant un regard à gauche et à droite. Mais elle se heurte au silence du pompiste qui ne veut piper mot. Elle le relance : ‘’Il parait qu’ils avaient porté les tenues de nos forces de défense. C’est sûrement des gens de chez nous. S’ils étaient des terroristes, ils n’allaient pas se diriger directement à l’Etat-major sans tirer sur les passants. C’est bizarre.’’ Là, le pompiste, qui a certainement peur, lui demande de partir. ‘’Je ne travaille pas au service des renseignements. Vous aimez trop les potins. Tu crois que je vais rester là à papoter avec toi. Quitte ici’’, lui crie-t-il dessus. Mais avant qu’il n’ait terminé, elle monte sur son engin et s’en va. Elle a oublié sa monnaie. ‘’Annette ! Annette ! Annette Ouattara ! Viens prendre ta monnaie’’, lui lance le pompiste. Elle fait demi-tour et arrache l’argent des mains du pompiste et lui lance un sonore ‘’Chiiiipp !’’ qui attire l’attention de tous, dans le silence ambiant.
Tous les hôtels sont quadrillés
Sur le chemin du retour, on ne voit presque personne avec qui discuter. Avec la forte chaleur qu’il fait au Burkina, il est préférable, pour beaucoup, de se réfugier chez eux. Tous les hôtels sont quadrillés. Dès que vous sortez, vous êtes fouillé. On vous palpe sans ménagement. A certains, on demande même d’enlever les chaussures et d’ouvrir la bouche. ‘’Mais c’est quel genre de sécurité ça ? C’est gênant d’ouvrir la bouche comme si on était chez le dentiste’’, se plaint Lazare Soro, un Ivoirien venu au ‘’pays des hommes intègres’’ pour un séminaire. ‘’Je suis d’accord qu’ils surveillent les lieux, mais ils ne doivent pas exagérer sur certaines choses. L’attaque ne s’est pas passée dans l’hôtel. Il y a un vieux à qui on a demandé d’enlever ses chaussures. Il avait des problèmes pour le faire, vu son âge. Il fallait qu’il s’adosse quelque part pour y arriver. C’est inélégant’’, déplore M. Soro.
Clarisse, réceptionniste d’un hôtel, déplore le fait que les terroristes aient réussi leur coup. ‘’Ils veulent nous anéantir, détruire notre pays, déstabiliser notre commerce et affaiblir notre économie. Ils ont réussi. Parce que tout Ouaga est inerte. Quand les étrangers arrivent, si c’est pour une première fois, ils ont une mauvaise image sur le pays. Alors que nous avons beaucoup de richesses, de belles choses qui, aujourd’hui, ne peuvent pas se voir. Ce sont des enfants de p…’’, fulmine-t-elle.
Depuis l’attaque, plusieurs responsables politiques burkinabè se sont prononcés sur l’attentat. Certains se sont rendus au chevet des victimes. C’est le cas de Léandre Bassole, le président du Haut conseil pour la réconciliation et l’unité nationale. Interrogé par des journalistes au sortir d'une visite aux militaires blessés et hospitalisés au Chu de Yalgado Ouédraogo, il a dénoncé une violence aveugle. Il se veut néanmoins confiant, soutenant que le peuple burkinabé est un peuple qui est mûr, qui a toujours su se mettre debout, quand il est placé face à des défis. ‘’Celui-là, comme les autres, sera relevé avec tout ce que nous avons de force morale, de courage et d’abnégation’’, déclare-t-il.
Le ministre de la Santé s’est également rendu au chevet des blessés. Nicolas Meda souligne qu’il y a un processus de prise en charge complète des blessés, des familles, et tous les soins sont prodigués gratuitement aux blessés. Après la panique, le bilan de cet attentat est encore incertain : au moins huit assaillants et huit membres des forces de l’ordre ont été tués et plus de 80 personnes ont été blessées.
VIVIANE DIATTA (Envoyée spéciale Ouagadougou)