Publié le 19 Dec 2017 - 22:31
AEROPORT INTERNATIONAL BLAISE DIAGNE

Aïe Bd, décollage manqué !

 

Il aura battu plusieurs records. Et ce n’est pas encore le bout du tunnel. Après plus de dix ans de construction, l’Aibd n’est toujours pas prêt à 100 %. ‘’EnQuête’’ passe au crible les raisons d’un décollage manqué.

 

Généralement, la naissance d’un bébé est un moment d’allégresse, de joie et d’enchantement. L’inauguration d’un bijou, une belle occasion pour les autorités politiques de vanter leurs mérites, de se mettre en évidence devant l’opinion. Celle de l’aéroport Blaise Diagne de Diass n’a pas fait exception. Mais l’euphorie qui a accompagné son ouverture a vite cédé la place à la déception. Le désenchantement enflant de jour en jour. La grève des aiguilleurs du ciel aura sans doute été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Vingt-quatre heures durant, Dakar, qui aspire à devenir un hub aérien, était sous black-out total. Aucun avion n’a décollé, aucun n’a atterri.

Du rarement vu dans l’aviation, pour ne pas dire ‘’jamais’’, comme ce spécialiste de l’aéronautique. ‘’Sauf peut-être en cas de coup d’Etat ou d’intempérie dans certains pays ou de situations similaires’’, renchérit-il, non sans revenir sur la gestion de cette crise par le ministère de tutelle. ‘’La ministre a été ‘’négligente’’. Elle devait prendre les devants. Faire appel à l’armée, s’il le faut, pour éviter cette situation qui nuit gravement à l’image de la destination Sénégal’’.

Finalement, c’est le Premier ministre qui s’est impliqué en personne pour résoudre la grande équation posée par les aiguilleurs du ciel. Mahammad Boun Abdallah Dionne, selon les contrôleurs aériens, s’est, en effet, engagé à prendre les choses en main. Supplantant ainsi la ministre de tutelle qui semblait dépassée par les évènements.

Bien avant cet épisode, fâcheux pour les voyageurs, la chronique avait fait état de sérieux manquements au niveau du nouvel aéroport. Pendant que certains fustigeaient les lenteurs dans la construction du cargo village de l’Aibd, d’autres dénonçaient surtout l’impossibilité, pour les compagnies, d’y acheminer des dépouilles. Jusqu’à hier, certaines familles n’arrivaient toujours pas à avoir les corps de leurs proches décédés à l’étranger. Nos confrères du journal ‘’l’Observateur’’, dans un article paru vendredi dernier, expliquaient cette situation par le déficit de tracteurs. Des ‘’dépouilles, écrivait le journal, venues à bord du vol Air France, arrivé à 20 h 25, n’ont été remises à leurs familles qu’à 1 h 55 mn, soit presque après 5 heures d’attente. Des sources contactées à l’Aibd révèlent que les 2As (assistance aide-services) ne disposent que d’un seul tracteur pour enlever le fret de tous les avions qui atterrissent’’, continuait le journal.

Du côté de 2As, en charge du Handling dans le nouvel aéroport, l’on s’excusait en ces termes : ‘’Nous sommes une nouvelle société et petit à petit, le personnel va maîtriser la zone et tout ce problème sera réglé dans les jours à venir.  Nous avons acheté de nouveaux matériels qui sont dans un navire en direction de Dakar. Nous espérons les réceptionner d’ici à la fin du mois de décembre.’’

Un aéroport entre des mains de novices

En attendant, c’est le calvaire qui perdure. Pourtant, nous informe un agent en service à l’aéroport, ceci est incompréhensible, dans la mesure où un personnel de qualité et en quantité suffisante a été laissé en rade à Dakar. Il regrette : ‘’L’aéroport Blaise Diagne est beaucoup plus grand que l’aéroport Léopold Sédar Senghor. Nous devrions donc avoir plus de personnel. Mais, en vérité, ici, nous sommes en sous-effectif et le personnel qui est là n’a souvent pas l’expertise requise.’’ Ce qui, du reste, semble corroboré par le témoignage du responsable de 2As qui, dans l’interview précitée, reconnait en quelque sorte leur manque d’expérience.

Mais les 2As ne sont pas les seuls novices dans la nouvelle plateforme aéroportuaire du Sénégal. Teyliom Group, également, fait sa grande entrée dans le domaine aéroportuaire. Notre interlocuteur salue la préférence nationale, tout en émettant des réserves sur le choix de l’entreprise de Yérim Sow. ‘’Il y a au Sénégal des hommes et des femmes très compétents qui auraient pu gérer ce volet sans aucun souci’’, déclare-t-il.

Djibril Ba, ancien chef du Contentieux et des Affaires juridiques à l’Asecna, embouche la même trompette. Il dénonce, narquois : ‘’Ce n’est que le Sénégal qui est aussi généreux. Tous les secteurs porteurs de richesse sont entre les mains de personnes privées et surtout des étrangers. Dans tous les pays du monde, le Handling au moins est géré par l’Etat. Mais ici, l’Etat n’a presque rien gardé pour lui et je le trouve regrettable. Pour le Handling, on aurait pu le donner en location. Je ne comprends vraiment pas certains choix qui ont été faits.’’

Par ailleurs, pour assurer convenablement sa mission, Teyliom Group s’est attaché les services du ‘’leader mondial’’ de l’assistance aéroportuaire et du traitement du fret aérien. Ce qui, expliquait-elle dans un communiqué, devait contribuer à garder ‘’l’attractivité économique du Sénégal, en offrant aux clients locaux et internationaux des services cargo de grande qualité et en faisant de l’aéroport de Dakar un carrefour incontournable de l’économie ouest-africaine’’.

Pour le moment, force est de constater que cet objectif est loin d’être atteint. De grandes compagnies aériennes comme Lufthansa et Dhl préférant même Praia ou Banjul au nouvel aéroport sénégalais. Ce qui, selon M. Ba, risque de générer des pertes énormes en termes de recette.

Un déficit de personnel qualifié

Autre aspect qui a soulevé la polémique, c’est le problème du ravitaillement des avions en kérosène. L’image insolite, montrant des camions-citernes en train d’approvisionner les avions, a fait marrer plus d’un. ‘’C’est la preuve éloquente que les autorités se sont empressées d’ouvrir un aéroport qui n’était pas encore prêt’’, regrette l’ancien agent de l’Asecna.

Mais, au-delà de ces couacs notés depuis le démarrage des activités, certains ne manquent pas de remettre en cause l’expertise turque. M. Ba précise : ‘’Allez vérifier le classement des meilleurs aéroports du monde, vous n’y trouverez aucun turc. Je pense que nous avons manqué le décollage depuis le choix de Summa-Limak pour remplacer Saudi Bin Laden Group. Et pourtant, la rupture du contrat avec Sbd était saluée par tout le monde. C’était une bonne occasion, pour le nouveau régime, de corriger les errements de l’ancien. Mais, malheureusement, on a reproduit les mêmes erreurs. Ce qui risque de déteindre sur les performances du nouvel aéroport.’’

Autant d’éléments qui font avancer à certains spécialistes que le ‘’bébé Aibd a bien été livré dans la précipitation. Beaucoup de choses restent encore à faire’’. Les experts s’interrogent également sur la compétitivité de Dakar. Djibril Ba : ‘’Avec le coût énorme dépensé pour le financement de l’aéroport, on a mis en place des tarifs exorbitants qui risquent de rendre l’aéroport moins compétitif. Les entreprises ne sont pas des enfants de chœur. Si elles peuvent disposer des mêmes services à des prix moindres, qu’est-ce qu’elles vont faire à Dakar ?’’

Dans nos éditions précédentes, des agents insistaient sur les ‘’difficultés’’ et le ‘’manque d’organisation’’ qui ont accompagné le transfert de Lss vers la nouvelle infrastructure. Ils s’interrogeaient sur les raisons de la précipitation des autorités, en précisant que l’Etat devait attendre au moins deux à trois mois avant d’ouvrir l’infrastructure.

L’équation du remboursement

Pour les agents, cette situation actuelle n’est que l’aboutissement d’un long processus marqué par un amateurisme et un pilotage à vue qui n’ont cessé d’être décriés. Avec l’avènement du nouveau régime, beaucoup espéraient la rupture dans la conduite du projet. Hélas, le renversement tant espéré n’a jamais eu lieu. Comme sous le régime du président Wade, sous le règne du président Sall également, les retards se sont accumulés. D’abord, décembre 2014 a été annoncé, ensuite juillet 2015, puis décembre 2015 et juillet 2016. Finalement, c’est le 7 décembre dernier que l’infrastructure a été livrée.

Malgré toutes ces lenteurs, ça ne décolle toujours pas comme le souhaiteraient bon nombre de spécialistes.

MOR AMAR

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