Publié le 3 Feb 2025 - 09:31
PROFESSEUR ALY TANDIAN, ENSEIGNANT-CHERCHEUR À L’UGB

“La migration circulaire est une réponse, mais...”

 

Le professeur Aly Tandian est enseignant-chercheur au Département de sociologie de l’université Gaston Berger de Saint-Louis. Il est le directeur du Laboratoire d’études et de recherches sur les migrations et président de l’Observatoire sénégalais des migrations.

 

Ces derniers jours, la migration circulaire fait l’actualité, au Sénégal. L’actuel gouvernement a annoncé l’envoi de Sénégalais en Espagne et au Qatar. Quelle lecture faites-vous de cette information ?

 

Effectivement, le gouvernement sénégalais a récemment annoncé son souhait d’envoyer des personnes au Qatar et en Espagne, dans le cadre de la migration circulaire. Je pense que ce qui a le plus attiré l’attention des Sénégalais, c’est, d’une part, la destination espagnole et, d’autre part, la ruée importante de jeunes au niveau des Baos pour y déposer leur dossier de candidature. Dans le subconscient sénégalais, on assimile la migration à la réussite. À côté, ce qui interpelle, c’est le besoin d’envoyer des jeunes à l’étranger pour y travailler dans un contexte marqué par un discours souverainiste depuis un certain temps, théorisé et surtout entretenu par les politiques actuels qui sont au pouvoir. Je n’ai pas d’appréciation sur la qualité et la pertinence de ce choix politique, mais n’empêche, je ne peux pas me passer des doutes qui animent à la fois certains politiques, de l’opposition en majorité, des candidats à la migration circulaire et de quelques observateurs.

Il faut rappeler que le Sénégal, à travers les régimes socialiste du président Diouf et libéral du président Wade, a mis en place des politiques de migration circulaire qui, à l’époque, étaient très médiatisées.

L'État du Sénégal a envoyé des travailleurs en Arabie saoudite, en majorité spécialisés en maçonnerie, en électricité et autres secteurs du BTP. Cette même situation s'est présentée en 1992, pour la reconstruction du Koweït après l’invasion irakienne.

Ainsi, plusieurs contingents de travailleurs sénégalais, constitués de maçons, d'électriciens, etc., ont été sélectionnés et envoyés au Koweït.

Plus de quinze ans après, le Royaume d'Espagne a conclu des accords bilatéraux avec le Sénégal donnant la possibilité à des centaines de Sénégalais de travailler en Espagne temporairement. Jose Luis Zapatero, le Premier ministre espagnol, avait déclaré que les accords signés avec le Sénégal permettaient l'immigration de se faire dans un cadre légal, sous la conduite du ministère espagnol du Travail et selon l'état du marché du travail en Espagne.

L'Espagne a donné 13 milliards F CFA (20 millions d'euros) au Sénégal pour financer la formation et l'emploi, et créer des opportunités économiques pour les jeunes. Le Syndicat du patronat des agriculteurs espagnols avait fixé un quota de 1 000 travailleurs, mais c’est finalement le quota de 744 qui a été retenu.

Selon les termes de ces contrats, le coût du voyage du Sénégal vers Espagne devait être pris en charge par l’agriculteur et ce coût avoisinait les 600 euros ou plus. Mais cette somme devrait être déduite du salaire payé au travailleur. L'accord stipulait aussi que le Sénégal s’occuperait de la sélection.

En résumé, la migration circulaire n’est pas une chose nouvelle au Sénégal.

Est-ce qu’il existe des risques d’envoyer des Sénégalais en Espagne et au Qatar ? Quels sont ces risques, selon vous ?

Vous savez, les principaux risques associés à la migration circulaire sont la fuite des talents. Des migrants qualifiés pourraient revenir avec des attentes professionnelles que le Sénégal ne peut pas satisfaire. Autre chose, les départs successifs de travailleurs qualifiés peuvent déséquilibrer certains secteurs clés. Il peut également arriver que certains Sénégalais envoyés puissent refuser de revenir dans leur pays d'origine, transformant la migration circulaire en migration permanente avec des chances de se retrouver dans la clandestinité. Des risques, on peut également rajouter celui d’échec politique comme le manque de coordination. Je pense qu’une mauvaise collaboration entre les pays concernés, le Sénégal et le Royaume d’Espagne ou encore le Sénégal et le Qatar peut limiter l’efficacité de la politique de migration circulaire.

En plus des risques, il semble que des difficultés pourraient s’ajouter au quotidien des migrants envoyés dans le cadre de la migration circulaire. Comment expliquez-vous cette situation ?

Les travailleurs, hommes et femmes, dans le cadre de la migration circulaire, risquent de rencontrer des difficultés communes, mais aussi d’être confrontés à des défis spécifiques liés à leur genre. Les femmes sont souvent plus vulnérables à certaines formes d’exploitation et de discrimination, tandis que les hommes sont exposés à des conditions de travail physiques éprouvantes et des attentes sociales particulières. Il y a des difficultés communes aux hommes et aux femmes comme le statut juridique précaire, les salaires bas et des conditions de travail précaires, l’accès limité aux soins et aux droits sociaux, la discrimination, la séparation familiale et l’isolement, etc. Il peut arriver que les travailleurs soient contrôlés et être victimes de restriction des libertés. Dans certains pays d’Asie, les hommes migrants peuvent être surveillés et limités dans leurs déplacements.

Selon vous, quelles sont les mesures à encourager pour réduire les risques ?

Je pense qu’au Sénégal, une gestion proactive et inclusive des risques peut permettre à la politique de migration circulaire de bénéficier à toutes les parties impliquées. De plus, le Sénégal doit renforcer les cadres juridiques pour protéger les droits des compatriotes à envoyer à l’étranger. Il doit assurer une coopération équitable avec le pays d'accueil. Il y a un élément fondamental qu’est la sensibilisation et la communication. Le Sénégal doit informer les candidats potentiels en diffusant des informations claires sur les opportunités, les procédures et les exigences de la migration circulaire.

Peut-on dire que la migration est une réponse efficace en termes d’offre de politique d’emploi ?

On peut dire que la migration circulaire est une réponse efficace, mais surtout éphémère. Je pense qu’elle est loin d’être la réponse attendue par la grande masse des Sénégalais. L’alternative, c’est de stimuler l’entrepreneuriat en créant des fonds ou des incitations pour les jeunes qui souhaitent investir et lancer des projets au Sénégal et surtout de promouvoir le développement local et soutenir des initiatives communautaires. Je pense qu’il faut repenser les décisions politiques en matière de migration avec des initiatives qui pourraient venir du Sénégal. Il faut proposer des solutions concrètes et durables, et surtout éviter des réponses sectorielles.

 

AMADOU FALL

 

 

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