Pourquoi ça a dégénéré
La terre, encore la terre, toujours la terre ! Ou pour être plus précis, l’expropriation de terres. Société minière et populations des localités aurifères de Kédougou rejouent ce classique avec les mêmes acteurs, le même fond de problème, les mêmes solutions de circonstances, et l’absence quasi-révoltante de l’Etat central. Du mardi 16 au jeudi 18 février dernier, une manifestation, ‘‘pacifique au départ’’, a tourné au vinaigre à Faloumbou et à Sabodala où les stigmates de la confrontation restent visibles.
L’heure est à la décompresssion dans les ruelles dédaléennes du village de Madinah-Sabodala. Les occupants d’un véhicule trooper de la Sabodala Gold Operation (SGO), la société exploratrice d’or dans la localité éponyme, se font chahuter près de la place du marché, par un marchand taquin, devant la concession du chef de village. ‘‘Aujourd’hui vous circulez tranquilles hein !’’ La réponse tombe tout aussi décontractée. ‘‘Non tey lépp jamm ! (Tout est ok aujourd’hui)’’, lance un agent en tenue sombre et pantalon kaki. Un peu plus tôt dans la semaine, la voiture aurait certainement été caillassée et incendiée. Comme celle qui se trouve derrière le village complètement affalée sur son châssis. Où le gros pneu au croisement de Faloumbou, servant de signalisation, continuait d’enfumer l’air d’une odeur piquante, trois jours après la fin des affrontements.
Ou l’énorme Caterpillar excavateur dont la cabine du conducteur a été ravagée par les flammes. Ou encore, plus sidérant, la sous-préfecture de cet arrondissement d’environ 6 000 âmes, dont la cour abrite aussi un véhicule qui n’est plus que carcasse et cendres. ‘‘Beaucoup de ces engins brûlés appartenaient malheureusement à une société de sous-traitance, Dièye Transport, et non à la Sgo’’, se désole un proche du sous-préfet Mbaye Sy. A la porte d’une sous-préfecture qui ne paie pas de mine, les éléments de la Compagnie de gendarmerie de Kédougou montent la garde en jouant aux cartes. Pas la permission d’entrer puisque le représentant n’en a pas reçu l’ordre hiérarchique. Seul un de ses proches tient à nous faire voir, par l’embrasure de la porte, une voiture complètement calcinée par la violence des flammes. ‘‘L’auvent qui protégeait la porte a aussi brûlé. la foule était vraiment déchaînée à cet instant’’, confirme-t-elle.
A l’origine...
De loin, l’idéal du petit village tranquille de l’arrière-pays charme le regard. De près, l’image d’Épinal de cette localité aurifère s’estompe. A l’entrée de Mamakhono, à quelque 10 kilomètres de Sabodala, les éléments de la Compagnie de Kédougou, en ordre de bataille, semblent avoir baissé la garde, devisant à l’arrière de deux pick-up. Au rond-point Faloumbou, menant à Sabodala, la vigilance semble être de mise avec des gendarmes armés et cuirassés qui donnent l’ordre de circuler aux motos et voitures étrangères à Sgo. A l’origine de cette manifestation, une marche pacifique, prévue le lundi 15 février 2016, qui a dégénéré.
Les populations de huit villages de la commune de Sabodala se sont insurgées contre le remblayage de leur couloir d’orpaillage à Bangouraya. Sur son divan en bois, Kourou Keita, chef de village de Faloumbou, bout de colère contre la société. ‘‘C’était un espace compensatoire. C’était à nous. Ils n’auraient pas dû remblayer les puits sans autorisation et en notre absence’’, lance-t-il. Dans sa cour, une petite assemblée s’est improvisée en ce samedi soir, (ndlr avant-hier) composée de jeunes et de femmes tout aussi remontés. ‘‘La société (Sgo) est laissée à son bon vouloir ici. Elle fait tout ce qu’elle veut et l’Etat regarde impuissant’’, s’emporte le jeune Diahité qui, par moments, corrige le français approximatif du chef.
De tous les conflits liés à la terre, celui de la semaine dernière est l’un des plus violents. Sgo a fermé le dioura (site d’orpaillage) dans la zone Bangouraya lundi dernier. Un espace cédé aux populations de Faloumbou en remplacement d’autres terres. Sgo avait amenagé un barrage minier dans la zone de Dokhorokondi, d’une superficie de 223 hectares, qui polarisait les villages de Brassan, Faloumbou et Sabodala qui y possédaient élevages et cultures. Les populations ont été sollicitées pour cession de ces terres.
L’autorité de l’époque avait mis en place un forum de négociations composé de l’administration, de la société minière, le cabinet Ripplen, la Collectivité locale et les populations concernées. Toutes les parties s’y sont retrouvées : les populations ont cédé et les sociétés minières ont fait des compensations. Pour remplacer ces terres de Dokhorokondi, chaque village a reçu de larges assiettes foncières en compensation. Sabodala a eu des terres à Tonokho, Brassan en a eu à Fousseyni, et Faloumbou a eu des espaces à Bangouraya. Ces trois zones étaient par contre destinées à l’agriculture et à l’élevage puisque les populations sont interdites d’orpaillage dans les sites où la compagnie avait des gisements potentiels dont Sabodala, Massato et Golouma.
95% des terres fertiles occupées par l’orpaillage
Moussa Cissokho, fils du chef de village de Sabodala, Sara Cissokho, estime que c’est l’orpaillage clandestin qui est à l’origine de ces affrontements. L’nterprète du forum de négociations et du cadre de concertation pense toutefois que les populations n’avaient pas le choix puisque ‘‘les 95% des terres fertiles pour l’agriculture dans cette zone sont occupées par les sociétés minières. Les gens n’ont pas de quoi payer le quotidien.
Les populations de Faloumbou ont trouvé un petit site à Bangouraya. Elles s’y sont adonnées, de manière clandestine, à l’orpaillage puisqu’elles n’ont pas d’autres activités’’, analyse-t-il. Le lundi 15 février 2016, (Ndlr : les orpailleurs ne travaillent pas les lundis et vendredis par superstition), la société a procédé au remblai du dioura. Ce qui a mis le feu aux poudres. Au départ, il était question d’une marche pacifique, confirment les habitants, le maire Mamadou Cissokho et l’interprète Moussa Cissokho. Les populations se sont rencontrées pour fixer les modalités de la manifestation mais n’ont pas trouvé un accord.
Le mardi (16 février), une autre réunion a été prévue pour finaliser les autorisations adressées aux autorités concernées. ‘‘Mais il y a eu empressement puisque certains manifestants ont envahi la route’’, selon un témoin. Malgré cette première salve, le commandant de brigade du poste de Sabodala a pu maîtriser la situation. C’est à l’arrivée du sous-préfet, Mbaye Sy, que les choses ont dégénéré, selon les témoins. ‘‘Il a giflé une femme et a demandé aux forces de l’ordre pourquoi ces gens n’étaient pas arrêtés. C’est là que les choses se sont gatées puisque les femmes ont voulu en découdre avec lui’’, témoigne Moussa Cissokho.
Le représentant de l’Etat balaie ces accusations d’un revers de main. ‘‘Je suis un représentant de l’Etat. Je ne ferai jamais cela à une population que je suis censé protéger’’, rétorque-t-il. Les seuls propos qu’il tiendra au téléphone avant de prétexter d’une permission de la hiérarchie pour s’avancer un peu plus sur le sujet. Toujours est-il que les populations déplorent elles-mêmes que la situation soit arrivée à de tels extrêmes. ‘‘Malheureusement il y a eu des personnes malintentionnées qui ont mis le feu à l’engin de la Sgo, ce qui nous a tous meurtris. Nous avons des frères et amis qui travaillent dans la mine. Quoi qu’on dise la société sert les populations’’, estime le fils du chef de village de Sabodala.
Entre la Sgo et les populations se pose le problème épineux et récurrrent de l’expropriation des terres. Pourtant en 2013, de concert avec les autorités, deux couloirs d’orpaillage, Tinkoto et Makhana, ont été tracés justement pour que chaque partie de l’extraction d’or, industrielle et traditionnelle, trouve le bon filon sans se marcher dessus. ‘‘Ils ne veulent pas aller à Tinkoto car ils disent que c’est loin, une trentaine de kilomètres. Ils ne veulent pas non plus aller à Makhana car il n’y a pas d’or, selon eux’’, poursuit cet agent proche de la sous-préfecture. ‘‘L’Etat ne peut pas s’être engagé en prenant l’argent des sociétés et ne pas protéger leurs investissements.
Quant l’Etat donne son autorisation, il faut s’assurer qu’aucune autre personne ne vienne. Un permis ne peut être exploité par deux parties’’, poursuit-il, dénonçant le fait que parmi ceux qui portent la revendication, beaucoup ne sont pas sénégalais. L’État n’est malheureusement pas très présent dans la zone. Et ses démembrements dans la localité sont confrontés à des problèmes qui semblent les dépasser. D’ailleurs, les résidents regrettent les cadres officialisés par le sous-préfet sortant Itiar Bindia. ‘‘Chaque mois, il y avait une réunion mensuelle. Il était trop neutre, il n’était ni pour la population ni contre la société’’, estime Cissokho. ‘‘Faux !’’ rétorque ce proche du sous-préfet qui déclare que ce qui existe en la matière à Sabodala n’a pas son pareil dans tout le territoire sénégalais.
Kédougou reçoit les détenus.
S’il y a une réputation dont le chef-lieu de région n’arrive pas à se départir, à tort, c’est celle de la circonscription la mieux indiquée pour subir une sanction. Dans la fameuse prison de Kédougou, à 120 km du théâtre des opérations, pas moins de huit personnes ayant pris part aux manifestations sont détenues. Khalifa Keita, Niama Keita, Issa Keita et Fodé Cissokho, tous originaires de Faloumbou, y purgent une garde à vue en plus de trois autres jeunes de Sabodala et un Malien. ‘‘Quand les gendarmes ont demandé après les responsables des incendies des engins, des locaux et des véhicules, les responsabilités n’ont pas été situées et des gens ont été arrêtés comme ça’’, fait savoir Moussa Cissokho. ‘’Ça a dégénéré car nous avons été infiltrés. Il faut libérer ces jeunes’’, regrette pour sa part le maire Mamadou Cissokho.
Ne publiez pas ce que vous payez
‘‘Les sociétés paient, c’est indéniable. Mais le problème, c’est l’État qui ne fait rien pour que ces paiements soient publiés. Les compagnies ne se font pas prier pour garder le secret. Les décideurs peuvent les y obliger. A condition d’en avoir la volonté politique’’, peste Diahité de Faloumbou. La Sgo détient une licence d’exploitation depuis 2009 qui englobe Faloumbou et Sabodala. Le maire de cette dernière, bourgade de 6 000 âmes, Mamadou Cissokho, qui n’arrive pas à faire la différence entre les deux, dit également ignorer la réelle superficie cédée à la société pour l’exploration. ‘‘Je n’ai aucune idée de la limite de la concession’’, regrette-t-il et fustige son exclusion des décisions qui concernent sa communauté. En tout cas, les travailleurs de la Société, confinés dans leur ‘forteresse’, ont reçu ce samedi un code ‘green’ pour leur notifier que la situation est revenue au calme. En attendant que les autorités daignent apporter une solution qui ne soit pas de circonstance, ambitions et esprits s’apaisent jusqu’au prochain filon découvert.
MOUSSA CISSOKHO (FILS DU CHEF DE VILLAGE DE SABODALA) ‘’Je ne sais pas pourquoi j’ai été arrêté...’’ ‘’Mon arrestation est louche. Le chef de village de Faloumbou a appelé ses compères le mardi (16 février) pour les accompagner chez le commandant de brigade afin de négocier la libération des jeunes détenus. Le sous-préfet les a maltraités en les faisant asseoir par terre, sous le chaud soleil. Même le fils du chef de village de Bambaraya a pleuré. On m’a appelé pour me dire de venir interpréter les propos des chefs de village. J’ai décliné puisque je sentais un piège. Le sous-préfet a insisté en me disant qu’il avait besoin de moi à la sous-préfecteure. Quand je suis venu, ils nous tous embarqués pour Kédougou. Le sous-préfet m’a appelé par le téléphone du chef de village. Nous avons été détenus à 1h17 du matin le mardi et libérés à 18h 32 le jour suivant (mercredi 17 février). On ne nous a notifié aucun motif pour cette garde. Par contre, nous n’avons pas été maltraités.’’ --------------------------------------------------------------- MAMADOU CISSOKHO (MAIRE DE SABODALA) ‘‘ Sgo aurait pu contacter les autorités pour la fermeture ’’. ‘’Les populations ont voulu exprimer leur désarroi par une manifestation pacifique, mais ça a vraiment mal tourné. Elles n’ont pas de terres à cultiver, ne peuvent plus exercer d’activtés rémunératrices de revenus, et ne sont pas employées par la société. Ce sont des terres de remplacement à Bangouraya. Les populations sont parties croyant qu’elles pouvaient s’adonner à l’orpaillage d’autant plus que c’est Sgo qui leur a octroyé ces terres. De toute façon, avant de fermer, Sgo aurait pu contacter les autorités. Elle a pris cette décison seule. La première chose a été de ramener le calme, puis de renégocier les termes du ‘contrat’ car les populations ne peuvent pas rester à se tourner les pouces. Bien que Sgo soit concessionaire, elle a trouvé les populations ici. Elle doit pouvoir être en mesure de se livrer à des activités sur son sol. La cohabitation doit être possible. Nous allons négocier, mais je ne saurais présager de l’issue. Les règles de la décentralisation sont violées ici. La société va directement voir les autorités administratives en cas de problème. Tous les problèmes se discutent ailleurs et ils nous mettent devant le fait accompli. Nous sommes inutiles ici, on ne décide de rien, on ne nous parle de rien. Depuis que je suis maire (2014) la Sgo n’a mis aucun sou dans nos comptes. Elle intervient quand on fait notre plan annuel d’investissement et prend certains micro-projets qu’elle honore quand même’’. |
OUSMANE LAYE DIOP (ENVOYE SPECIAL A KEDOUGOU)