Publié le 2 Mar 2016 - 17:56
AMBITION POLITIQUE

Les réseaux d’Abdoul Mbaye  

 

Premier Premier ministre de Macky Sall (avril 2012– septembre 2013), Abdoul Mbaye a pris position contre le pouvoir actuel sur le référendum. Un coin du voile se lève dans la stratégie et les réseaux de celui à  qui des amis proches prêtent les plus hautes ambitions politiques.

 

Quand Abdoul Mbaye a été nommé Premier ministre, il a sur le champ appelé son petit frère, Cheikh Tidiane. Ce dernier, qui a été également informé par Macky Sall, l’encourage alors et le rassure sur sa capacité  à occuper la Primature et faire de très bons résultats. Seulement, il lui conseille de “faire très attention aux politiciens”. L’ancien patron de la Sonatel lui dit en substance : ‘‘Vas-y, tu peux. On en a assez des politiciens professionnels.” L’anecdote est significative de l’état d’esprit des frères Mbaye. Les héritiers de Kéba Mbaye, le juge qui, sa vie durant,  a prôné l’éthique, sont convaincus d’être des dépositaires de valeurs morales qui font défaut dans le landerneau politique sénégalais. Et que dans ce pays, il leur revient d’occuper naturellement des postes de décision.

En nommant Abdoul Mbaye, comme son premier Premier ministre, il y a une certaine loi de la symétrie qui a été respectée. On connaît toute l’admiration que Macky Sall voue à l’ancien président Abdou Diouf qui, à son tour, a placé en haute estime l’ancien président du Conseil constitutionnel. Abdoul Mbaye était le personnage synthétique, à la croisée des aspirations d’un nouveau pouvoir qui revendiquait à la fois les valeurs éthiques incarnées par le père Mbaye, et le leadership pondéré de Diouf.

En plus, Macky Sall voulait un Premier ministre politiquement neutre, et sans ambition concurrentielle avec la sienne propre. Abdoul était alors un jeune retraité de la banque. La nomination à la Primature est tombée comme une aubaine pour lui qui passait son temps à réunir un cercle d’amis, sorte de think tank, pour réfléchir sur l’avenir économique.

Novice, Abdoul Mbaye ne s’est jamais retrouvé dans le milieu politique. Il n’a jamais rien compris au jeu du pouvoir. Un témoin raconte comment, lors du Conseil des ministres décentralisé à Ziguinchor, il s’est   complètement perdu dans le protocole. Alors qu’il devait accueillir le président, il est resté complètement figé, pris au piège entre la  ferveur des militants de l’Apr et le zèle des gardes du corps présidentiels.

Nommé le 3 avril 2012, Abdou Mbaye a bénéficié d’un état de grâce jusqu’au premier anniversaire de l’accession au pouvoir de Macky Sall (le 25 mars). Quand Idrissa Seck a  vilipendé la gestion de l’économie sénégalaise par  les banquiers (avec  Amadou Kane ancien patron de la Bicis au ministère des Finances), cela a été une gifle sur les joues minces de Mbaye. “Il a compris qu’il était trop exposé ; les militants de l’Apr ne le défendaient pas ; il lui fallait un bouclier politique”, raconte un ancien collaborateur.

Ses conseillers lui suggèrent alors d’initier une opération de séduction envers certaines plumes influentes de la presse dakaroise. Profitant d’une fête de tabaski, au nom de la tradition de solidarité, Abdoul Mbaye envoie des enveloppes de 150 mille F CFA à certains journalistes. Dont une au patron du journal ‘Le Quotidien’, Madiambal Diagne. Jugeant cette somme dérisoire, Madiambal Diagne a vu dans le geste du Premier ministre une tentative d’humiliation. C’est “une incompréhension parce que pour Abdoul Mbaye, c’était juste un geste symbolique”, raconte un ami de ce dernier. L’opération de charme s’est révélée désastreuse pour l’image du donateur. Il y a une animosité flagrante entre l’ancien Premier ministre et le patron du Quotidien, qui ne le ménage jamais dans ses chroniques du lundi.

Madiambal Diagne, qui prétend jouir de l’attention particulière du chef de l’Etat, aurait joué de toute son influence pour que Macky Sall se débarrasse de son Premier ministre. Lui faisant comprendre l’incongruité politique à vouloir juger Habré au Sénégal et avoir comme premier ministre le banquier qui a “blanchi” l’argent du dictateur tchadien.   

Mais en réalité, les relations entre Macky Sall et son premier ministre avaient commencé à se dégrader depuis belle lurette. L’Affaire Habré n’a été que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Entre les deux hommes, c’est une lune de miel qui a tourné en lune de fiel.

Au départ, Macky Sall a été fasciné par son Premier ministre.  Une admiration qui frisait  presque le complexe. Abdoul Mbaye ne se privait pas de raconter à Macky Sall des morceaux de souvenir de sa jeunesse dorée, ses vacances avec son père, etc. Ce qui avait le don de renvoyer le Président Sall à ses origines modestes. En public, il arrivait très souvent que Macky Sall lui fasse des compliments sur ses costumes sur mesure, toujours bien coupés, ou sur la marque de ses chaussures.  Il est de notoriété publique qu’Abdoul Mbaye est très soucieux de sa mise, et il lui arrive  de dépenser des sommes faramineuses pour des chaussures.

Sur le ton de la plaisanterie, Macky Sall demandait souvent à son PM comment il faisait pour garder sa ligne de jeune homme de 25 ans. Ce dernier ne manquait pas de lui donner des conseils pour perdre un peu de poids. Son goût raffiné poussé à l’extrême s’est retourné contre lui. Car dans l’entourage du Président, il a été dépeint en ‘‘homme hautain, animé par un complexe de supériorité’’. ‘‘C’est un homme qui a été marqué par ses origines, il y a chez lui comme un déterminisme familial ; il est froid en apparence, mais il est  très chaleureux et rigolard une fois que la glace est brisé”, confie un de ses proches.

Aujourd’hui, le lien est brisé entre Abdoul Mbaye et Macky Sall. L’ancien Premier ministre a pris publiquement position pour le “Non” au référendum du 20 mars. “Cette révision-ci (la réduction du mandat à 5 ans) était le cœur de la réforme constitutionnelle envisagée, parce que la seule chargée de symbole politique fort ; le symbole d’un retour à une pratique politique vertueuse ; le symbole d’un Chef d’État faisant preuve de suffisamment de désintéressement pour réduire la durée de son mandat, de son seul gré ; le symbole d’un président de la République immunisé contre la drogue du pouvoir”, dénonce-t-il dans sa une tribune reprise par tous les journaux.

Le goût du pouvoir, justement. La plupart des personnes contactées et qui fréquentent Abdoul Mbaye depuis son départ de la Primature, assurent que ça lui est resté sur la langue. “Il a un sentiment d’inachevé, il sentait qu’il pouvait aller plus loin”, affirme une source.  “Même si cela s’est mal terminé, ses 17 mois passés à la Primature, loin de le dégoûter de la politique, lui ont mis l’eau à la bouche. Je pense qu’il va se lancer en politique“, assure un ancien collaborateur. Abdoul Mbaye  garde le mutisme sur sa stratégie.

 Aujourd’hui, on le dit “mi-amusé et mi-agacé” par les supputations des journalistes sur ses intentions. ”Il s’est imposé une certaine diète médiatique. Il se sent épié et sait que la seule chose qui intéresse les médias, c’est de savoir s’il sera candidat ou pas à la prochaine  présidentielle”, ajoute un de ses amis.

Son carnet d’adresses est à faire pâlir les politiciens de métier. “Il est extrêmement prudent, mais il est en train de constituer son entourage. Et pour ça, il peut compter sur le soutien de son influent frère, Cheikh Tidiane, de son réseau d’anciens camarades HEC à Paris aujourd’hui bien placés dans l’appareil d’État français et dont le plus illustre est sans doute, le président François Hollande. Il est aussi très proche de Ouattara qui l’a eu sous ses ordres à la Bceao au milieu des années 70”, informe un proche de la famille Mbaye.

Dans son manifeste pour le “Non” au référendum, l’ancien Pm prend le soin de signaler son positionnement politique axé sur les valeurs éthiques qui, pour certains observateurs, annonce déjà un thème de campagne.

ABDOU RAHMANE MBENGUE

 

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