Publié le 27 Nov 2018 - 14:57
APPLICATION DES CONVENTIONS INTERNATIONALES PAR LA JUSTICE SENEGALAISE

Le bâtonnier et le premier président de la Cour suprême ne tiennent pas le même langage

 

La Cour suprême organise, depuis hier, des journées d’études autour du thème ‘’Le juge et la protection des libertés : regards croisés des juges administratifs et des juges judiciaires’’. Au cours de la cérémonie d’ouverture présidée par le Garde des Sceaux, le premier président de la Cour suprême, Mamadou Badio Camara, s’est félicité de l’application des conventions et pactes internationaux par ses collègues magistrats. Un avis que ne partage pas le bâtonnier de l’Ordre des avocats. Me Mbaye Guèye estime que ce n’est pas dans l’habitude des juges sénégalais, tout en plaidant pour la formation continue des acteurs de la justice.

 

‘’Le juge et la protection des libertés : regards croisés des juges administratifs et des juges judiciaires’’. C’est le thème des deux journées d’études organisées par la Cour suprême du Sénégal. Lors de la cérémonie d’ouverture, hier, le premier président de ladite juridiction, Mamadou Badio, s’est réjoui du fait que ses collègues ne se limitent pas au droit national, mais se référent également aux conventions et pactes internationaux. ‘’Au-delà des dispositions internes, le juge national peut également être appelé à se référer aux instruments internationaux de protection des droits et libertés ratifiés par le Sénégal. On peut citer, entre autres, le Pacte international relatif aux droits civiques et politiques, la Charte africaine des Droits de l’homme et des peuples, et divers protocoles communautaires’’, s’est félicité M. Camara.

Mais le bâtonnier de l’Ordre des avocats n’est pas du même avis. Il estime que l’application des dispositions internationales fait défaut. ‘’Monsieur le Premier Président, vous avez parlé de toutes ces conventions et pactes internationaux que le Sénégal a signés, mais cela fait partie de notre ordonnancement juridique. Le juge est obligé de les examiner et de les appliquer’’, recadre Me Mbaye Guèye. Avant de marteler : ‘’Pour le moment, ce n’est pas le cas dans la pratique. Je suis au regret de le dire, pour le moment, l’application des conventions internationales n’est pas une habitude du juge sénégalais.’’ Ce faisant, le conseil considère que les magistrats doivent de plus en plus se référer à ces instruments car, argue-t-il, ‘’ils sont intégrés dans notre législation’’. Pour y arriver, l’avocat préconise la formation continue pour les acteurs de la justice.

En fait, Me Guèye se désole que cette question ne soit jamais abordée dans un contexte où le droit évolue et devient communautaire. ‘’Cette justice, nous l’examinons souvent sous plusieurs de ses aspects, de ses coutures, sauf une qui est très essentielle, fondamentale, à savoir l’angle de la formation continue’’, s’est-il désolé. Et de poursuivre : ‘’Dès que nous sortons des facultés, c’est comme si nous vivons une carrière judiciaire sur la base de ce que nous avons appris dans les écoles de formation et les facultés. Le reste, ce sont nos recherches personnelles. La formation continue n’est pas privilégiée, alors que le droit évolue.’’

Avocats et magistrats exhortés à la formation continue

Pour le bâtonnier, avocats et magistrats ont tous intérêt à se remettre en cause, à réfléchir sur les nouveautés et à s’adapter. Selon son argumentaire, ces derniers n’ont certes pas l’obligation de résultat, mais ils ont l’obligation de compétence. ‘’Si jamais un juge et un avocat sont catégorisés incompétents, ce sont des dangers ambulants parce que, simplement, ils interviennent dans ce qu’il y a de plus important dans la vie de la personne : sa vie, sa liberté, son patrimoine et sa famille. Lorsqu’on intervient dans ces choses-là, on doit être compétent’’, lance la robe noire, non sans préciser qu’il ne se fait pas de souci par rapport à la compétence du magistrat sénégalais. Mais, a-t-il insisté, ‘’il doit faire l’effort de renouveler sa compétence par une formation continue’’.

Sur cette lancée, Me Mbaye Guèye compte beaucoup sur l’apport du ministre de la Justice qui, estime-t-il, ‘’est un produit de la formation’’. Poursuivant à l’endroit du professeur Ismaïla Madior Fall, il déclare : ‘’Je vous rappelle ce qu’on s’est dit une fois : le tribunal ne doit pas être seulement un lieu de poursuites, d’instructions, de jugements, mais il doit être également un milieu de propositions, de réflexions pour faire avancer la cause de la justice.’’  Et  c’est ce à quoi semble s’atteler la Cour suprême en initiant ces journées d’études. Selon Mamadou Badio Camara, l’évocation du sujet, ‘’Le juge et la protection des libertés’’, renvoie à la problématique centrale de la préservation des libertés des citoyens et apparait ainsi comme une invite à revisiter les conditions d’exercice de la protection judiciaire des droits. Ce qui constitue, selon le haut magistrat, l’essence même de la mission du juge dans une société organisée.

Se prononçant sur le thème, le Garde des Sceaux a relevé que le système juridictionnel sénégalais comporte un seul ordre de juridiction qui connaît de tous les litiges, quelle que soit leur nature. ‘’La compétence n’étant pas affiliée au droit applicable, les mêmes juges appliquent le droit privé aux particuliers et connaissent en même temps des litiges impliquant l’Administration publique. Nous avons opté pour l’unité de juridiction dans la dualité du contentieux’’, a ajouté M. Fall.

Ainsi, pour lui, les magistrats ont besoin, pour un meilleur exercice de leur office, d’être instruits par les regards croisés des juges suprêmes.

FATOU SY

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