POUR OU CONTRE L’AVORTEMENT MEDICALISE ?
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Cette question difficile et délicate revient à l’ordre du jour et il faut éviter de proposer une solution trop rapide, qui risque d’être trop simpliste. Je comprends très bien, et j’apprécie, que certaines personnes aient le souci des avortements clandestins, car c’est vrai que ces avortements entraînent trop de morts, de maladies et de stérilité. Il faut donc à tout prix, faire quelque chose pour ces femmes et ces jeunes filles qui avortent clandestinement. Mais que faut-il faire ?
Des gens affirment que les jeunes filles ou les femmes enceintes à la suite d’un viol ou d’un inceste, il faut les aider à se débarrasser de leur grossesse. Mais est-ce que la grossesse ce n’est pas une vie humaine qui commence ? Est-ce qu’on peut s’en débarrasser comme d’un habit déchiré ou de la nourriture avariée. C’est vrai qu’il faut lutter de toutes nos forces contre les viols et les incestes, mais le fœtus c’est un enfant qui commence à vivre, c’’est une vie humaine déjà commencée. Dès le premier mois de la grossesse, c’est-à-dire quand la jeune fille ou la femme se demande si’elle n’est pas enceinte, les différents organes du futur enfant sont déjà en voie de constitution.
On dit aussi que ces innocents sont victimes de relations incestueuses. C’est vrai, ce sont vraiment des innocents. Mais alors, a-t-on le droit de les condamner et même de les supprimer ? Ne doit-on pas plutôt punir celui qui a violé sa mère ? On ne peut pas accepter que des jeunes filles ou des femmes mariées soient violées, même si elles ne se retrouvent pas enceintes d’ailleurs. Mais celui qu’on doit punir, ce n’est pas le bébé dans le ventre de sa mère, qui est absolument innocent et qui n’a rien fait de mal, c’est le violeur, surtout s’il est responsable d’un inceste. Il faut attaquer la cause (les viols et les incestes), et non pas la conséquence (la grossesse). Il ne faut pas légaliser l’avortement, mais lutter contre le viol et l’inceste. Sinon c’est se cacher la face.
On pense avec raison à la souffrance de la jeune fille violée. Mais pense-t-on à la souffrance du fœtus ? Car il souffre de l’avortement, et il va en souffrir jusqu’à la mort.
Je suis absolument scandalisé et révolté par les viols et les incestes qui se multiplient et dont certains se terminent même par des meurtres Mais la solution est-elle de supprimer cet enfant qui arrive ? Ne vaut-il pas mieux apporter le soutien nécessaire à sa mère pour qu’elle puisse garder son enfant, quelles qu’en soit la difficulté et sa souffrance ? Faisons-nous vraiment le maximum pour entourer ces filles de notre amitié, les soutenir et leur donner les moyens de garder leur grossesse : pas seulement de l’argent ou de la nourriture, mais d’abord un soutien moral et un accueil qui leur permet de retrouver l’espoir et la confiance.
Moïse est l’un de nos prophètes communs. Dans la Bible, au cours de l’Alliance que Dieu conclut avec Moïse, Il dit : » je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que toi et tes enfants vous viviez, en aimant Dieu et en écoutant sa voix. Et en t’attachant à Dieu, car là est ta vie et un long séjour sur la terre, que Dieu a promis à Abraham (Ibrahima), Isaac (Shaka) et Jacob (Yakhuba) : Deutéronome 30, 15-20.
Dans le judaïsme, le christianisme et l’islam, Moïse a enseigné au nom de Dieu dans les 10 commandements : « Tu ne tueras pas ». Il ne s’agit pas là seulement d’un interdit, mais bien plus d’un appel à défendre la vie, à la protéger et à aider tous les gens, et surtout les bébés qui ont commencé à vivre dans le ventre de leurs mères, à vivre le mieux possible et dans les meilleures conditions.
C’est vrai que ces enfants sont conçus dans des circonstances absolument dramatiques et qu’il faut trouver des solutions. Mais est-ce vrai, comme on le dit souvent, que ces enfants « ne trouvent pas de place dans la société, traversant toute leur vie un désert affectif, condamnés à payer la faute morale de leur parents ». N’est-il pas possible de trouver et d’ouvrir un autre chemin ? Educateur depuis de longues années dans des centres de formation des jeunes filles, je connais des jeunes filles violées qui ont tenu à garder leur enfant, soutenus par des amies convaincues et engagées, dans la discrétion et sans faire de publicité. Ces jeunes filles ont porté leur grossesse dans la douleur, la souffrance et la tristesse, mais avec courage et elles ont trouvé la joie au moment de la naissance de leur bébé, ainsi que toute leur famille. Un enfant, c’est beau. Et la vie, c’est une merveille Ces jeunes filles’ont accueilli et éduqué leur bébé, parce qu’elles l’ont aimé. Et bien sûr parce qu’elles ont été soutenues et aidées par des personnes compétentes et amicales qui les ont encouragées et aidées à garder patience, confiance et espérance.
Et je connais des jeunes et des adultes, conçus à la suite d’un viol ou par inceste et qui ont non seulement réussi dans la vie mais vivent un mariage heureux avec des enfants épanouis.
Est-ce qu’autoriser l’avortement médicalisé en cas de viol ne sera pas la porte ouverte à de nombreux autres avortements : des femmes et des jeunes filles enceintes n’ayant pas su vivre leur sexualité d’une manière responsable auront la tentation d’affirmer qu’elles ont été violées pour pouvoir avorter, alors qu’il n’en est rien. Les fausses accusations de viol ne manquent pas. De toutes façons, un avortement même médicalisé reste un avortement.
C’est vrai que l’avortement médicalisé permet de le faire dans de meilleures conditions d’hygiène et de sécurité. Mais il ne supprime pas les conséquences psychologiques de l’avortement. Une femme qui a avorté, même si c’est à l’hôpital et d’une façon médicalisée, elle ne peut pas oublier ce qu’elle a vécu. Elle aura des regrets, la honte et des problèmes psychologiques, conscients ou inconscients ce qui est encore pire. Légaliser l’avortement ne va que multiplier ces problèmes. Car si l’avortement médicalisé enlève la grossesse, il n’enlève absolument pas le traumatisme vécu par les femmes et jeunes filles qui avortent, surtout si elles ont été violées ou victimes d’inceste. Il n’apporte pas de solution à ce niveau. Il faut chercher d’autres solutions plus valables.
Alors que faut-il faire ? Pour toutes les femmes dont la grossesse pose problème, c’est de les aider, de les soutenir et de leur donner les moyens de garder leur grossesse. Et cela, c’est notre responsabilité à nous tous. Cela ne demande pas de grands moyens financiers mais simplement de l’amitié, des conseils, de la tendresse, de la compassion et de la miséricorde. C’est cela dont nous manquons le plus dans notre société sénégalaise moderne. Et justement, ce sont ces valeurs que l’on va encore attaquer par l’avortement médicalisé : le respect de la vie et la dignité des personnes. Un proverbe dit : si tu craches en l’air, cela te retombe dessus. L’avortement médicalisé aura obligatoirement des conséquences, comme le dit ce proverbe ouolof : Li waay rendi, ci sa loxo lay nacc !
Ce n’est pas seulement une question de religion, il s’agit de revenir à nos valeurs traditionnelles sénégalaises, le mougn, kërsa et fayda, le diom et le ngoor, yaar ak teggin…Au lieu de nous laisser coloniser par des organisations internationales ou des pays occidentaux, qui eux-mêmes commencent à réfléchir sérieusement aux conséquences de ce qu’ils ont décidé et voté, en particulier au sujet de l’avortement : L’individualisme et l’égoïsme, la perte du sens communautaire et de la famille ; le respect de la vie et la diminution dramatique des naissances.
Et lorsqu’on aura aidé ces femmes et jeunes filles à accoucher, si vraiment elles ne veulent pas ou elles ne peuvent pas garder leur enfant, un certain nombre d’associations, d’orphelinats, de pouponnières et de maisons pour l’enfant, sont prêtes à prendre en charge ces bébés, et ensuite à leur trouver une famille. Ces associations ne manquent pas au Sénégal, heureusement.
En plus, autoriser l’avortement médicalisé pour supprimer les avortements clandestins n’est qu’une illusion. En effet, on s’est aperçu que dans les pays occidentaux qui ont légalisé et médicalisé l’avortement, cela n’a pas diminué le nombre des avortements clandestins. Pourquoi cela ? Parce qu’il y a toujours des femmes et des jeunes filles qui sont enceintes, mais qui veulent cacher leur grossesse, pour des tas de raisons, même en cas de viol. En particulier à cause du kërsa et du sutura, pour garder l’honneur de leur famille. Ou simplement pour elles-mêmes : pour ne pas être critiquées et rejetées par la société. Elles n’iront donc pas avorter dans un hôpital aux yeux de tous, elles continueront à le faire clandestinement, avec toutes les conséquences que cela peut avoir. Légaliser l’avortement n’est pas une solution pour diminuer les avortements clandestins. Encore une fois, la seule solution c’est de soutenir les femmes et les jeunes filles dont la grossesse pose problème.
Une autre chose qu’il faut bien voir, c’est que l’avortement médicalisé est une déformation très grave de la médecine, et qui aura des conséquences sur toute la société. La médecine n’est pas faite pour tuer et supprimer la vie, elle est faite pour soigner, guérir et protéger la vie. Et c’est bien pour cela que les médecins n’ont pas le droit, jusqu’à maintenant, de faire des avortements, sauf dans des cas très précis, contrôlés par la justice et avec de nombreuses conditions. Il faut « que la vie de la mère soit vraiment menacée, qu’elle ne puisse être sauvée que par cette intervention, que l’autorisation soit attestée par trois médecins experts aux tribunaux, etc. » C’est bien pour cela qu’un certain nombre de médecins refusent absolument, par objection de conscience, de faire ces avortements médicalisés, même lorsqu’ils sont autorisés par la loi.
On nous dit aussi que le Protocole de Maputo doit s’applique que lorsque la santé mentale ou physique de la femme ou de la fille enceinte est en danger. Mais justement avorter va entraîner encore plus de problèmes de santé mentale, comme je l’ai expliqué plus haut. On continue en disant que le Protocole de Maputo autorise l’avortement lorsqu’il y a des risques pour la vie de la femme, de la fille enceinte ou du fœtus. Mais en fait, la vie d’une mère enceinte suite à un viol n’est pas menacée, sauf dans des cas très rares. Et on ne fait pas une loi qui s’applique à tous, pour des exceptions.
De plus, avec les progrès de la médecine, il n’y a pratiquement plus de dangers au moment de la grossesse. Et s’il y a un danger, il y a toujours la solution de la césarienne, pour sauver la mère et l’enfant, au lieu de supprimer une vie par un avortement. De toutes façons, les croyants devront choisir entre l’appel de leur foi et de leurs écrits saints et le protocole de Mapouto.
Ce que le pays soutient c’est la régulation des naissances. Mais l ’avortement ce n’est pas mettre des enfants au monde dans des bonnes conditions, c’est les supprimer. Ce n’est pas la santé, c’est la mort. Il faut réfléchir à ce que l’on dit, et fait. C’est une loi qui va enfoncer les femmes enceintes qui ont des problèmes, dans des difficultés encore plus grandes. C’est une loi qui va tuer la société au lieu de la sauver. On mettra en place une société de mort, et non pas une société qui défend la vie. Excusez-moi si ces termes semblent trop forts, mais c’est parce que le problème est vraiment très grave. Il faut qu’on y réfléchisse sérieusement, en conscience, à partir de nos valeurs et de nos religions. Dans les sociétés traditionnelle, l’inceste et le viol considérés comme un crime. C ‘est vrai. Mais l’avortement aussi.
Devant un problème aussi grave, la solution n’est certainement pas d’opposer les hommes aux femmes, mais d’être unis pour travailler ensemble à construire une société où la dignité de tous sera respectée et non pas violée. En accueillent nos différences entre hommes et femmes comme une richesse et une complémentarité. » Benn loxo mënul taacu. » « Nit, nit, ay garabam ! »
Cela pose tout le problème de l’éducation, à tous les niveaux. Tant que l’on laissera les garçons se croire supérieurs et commander leurs sœurs, ils chercheront à mettre les jeunes filles et les femmes à leur service, y compris pour leur plaisir sexuel. Tant qu’on ne changera pas notre société trop patriarcale, cela ira jusqu’au viol et l’inceste, car les jeunes garçons et les hommes imposeront leurs désirs, les désirs sexuels comme les autres. Comment éduquons-nous nos garçons ? Cherchons-nous à changer notre société pour la rendre meilleure et plus respectueuse pour le bien de tous ? Quelle éducation donnons-nous dans nos familles et nos écoles ? Comment luttons-nous contre les viols et les incestes ?
P. Armel Duteil, éducateur