Le temps du renouveau

Les pertes de pouvoir sont souvent des moments difficiles pour les partis politiques. En sus du divorce brutal et radical avec les masses, c’est aussi le moment des trahisons, reniements et autres petits meurtres perpétrés par les plus proches, ceux qui ont le plus bénéficié des privilèges. Chose rare, alors que les barons fuient le navire, l’APR attire de nouveaux visages dont l’écrivain Hamidou Anne est un des symboles.
L’Alliance pour la République est-elle en train de faire sa mue ? De plus en plus, de nouveaux visages émergent, tandis que les caciques qui ont eu tous les privilèges sous le régime du président Macky Sall s’éclipsent, comme pour éviter d’être dans le viseur des tenants actuels du pouvoir. Parmi ces dinosaures que l’on ne voit presque plus, il y a Abdoulaye Daouda Diallo (ancien ministre de l’Intérieur ; de l’Économie et des Finances ; ancien directeur de cabinet du président Macky Sall et dernier président du Conseil économique, social et environnemental) ; Abdoulaye Diouf Sarr (ancien ministre de la Santé et DG de plusieurs structures), les ministres Mbaye Ndiaye et Mahmoud Saleh…
Dans les derniers gouvernements de Macky Sall, on note des responsables comme Samba Ndiobène Ka, Doudou Ka, Moussa Baldé, Mariama Sarr, Cheikh Omar Hann, Antoine Mbengue, Papa Sagna Mbaye, Abdoulaye Saydou Sow, Abdou Karim Fofana, Victorine Ndèye, Mame Mbaye Niang, Gallo Ba, Birame Faye, Annette Seck Ndiaye, Pape Amadou Ndiaye, Mamadou Saliou Sow, Issakha Diop… La liste est loin d’être exhaustive.
Certains sont devenus des opposants silencieux, d’autres dans l’ambiguïté avec des mouvements plus proches de la majorité que du pouvoir, sans compter des dizaines d’élus qui avaient déjà assumé leur transhumance vers le nouveau pouvoir.
Chez les alliés, le même constat a été fait. Ils sont encore rares à s’engager dans la défense du bilan du régime auquel ils ont appartenu de 2012 à 2024. À l’exception de quelques anciens ministres comme le secrétaire général du Parti de l’indépendance et du travail (PIT) Samba Sy et Alioune Ndoye de Dakar-Plateau qui se positionnent aussi comme opposants, la plupart font profil bas. Idem pour les indépendants qui ont eu à jouer les premiers rôles comme Marie Khémesse Ngom, Félix Antoine Diome, Fatou Diané… aujourd’hui incapables de défendre leur bilan dans l’espace public.
Les barons rasent les murs, tandis que de nouveaux leaders émergent
Parmi les anciens ministres et responsables de premier plan, seuls les plus jeunes comme Pape Malick Ndour, Abdou Mbow, Djimo Souaré se battent encore comme ils peuvent pour défendre le legs de leur mentor. D’autres, un peu plus âgés, ont soit été envoyés en prison soit font l’objet de poursuites judiciaires. On peut en citer les anciens ministres Mansour Faye, Lat Diop, Moustapha Diakhaté, Ismaila Madior Fall…
À telle enseigne qu’ils sont nombreux à penser que ceux qui essaient de faire profil bas veulent juste éviter de s’attirer la colère du régime Pastef. D’autant plus que certains hauts responsables comme Waly Diouf Bodian n’ont pas caché leur volonté de traquer ceux qui seraient tentés de s’opposer. “Avec des opposants riches, il sera difficile de conserver le pouvoir jusqu’en 2050”, revendiquait-il, insinuant qu’il faut tous les poursuivre pour les mettre hors d’état de nuire.
C’est dans ce contexte que l’Alliance pour la République entame sa cure de jouvence en promouvant des voix plus jeunes, plus engagées, plus déterminées. Dans son dernier communiqué, le Secrétariat exécutif national avait d’ailleurs pris une série de mesures dans ce sens.
“Abordant la réorganisation du parti pour faire face aux défis à venir et dans l’attente de l’installation du nouveau Sen élargi, le président Macky Sall a procédé aux nominations suivantes” : Pape Malick Ndour a ainsi été promu coordonnateur national de la Convergence des cadres républicains (CCR), Aminata Guèye coordinatrice des élus républicains.
Le Secrétariat exécutif a aussi nommé comme porte-paroles adjoints Papa Mahawa Diouf, Mame Marième Thiam Babou, Mame Guèye Diop et Saourou Sène.
Hamidou Anne : le symbole du nouveau visage de l’APR engage la “bataille culturelle” contre Pastef
Mais la surprise du chef a été la nomination de l’écrivain Hamidou Anne comme coordinateur national de la Cellule analyse et prospective (CAP). Une toute nouvelle création qui vise à replacer le parti sur l’échiquier politique national, à éviter les syndromes PS et PDS qui ont perdu en influence depuis leur perte du pouvoir. Sa trajectoire un peu atypique force le respect de nombreux analystes.
Alors que traditionnellement, les intellectuels choisissent l’opposition vierge ou les partis au pouvoir, lui a choisi un parti qui vient juste d’être sanctionné par le peuple sénégalais, poursuivi par la clameur populaire.
Invité hier de l’émission “En vérité” sur Radio-Sénégal, l’écrivain est revenu sur les raisons de son choix. “... C’est vrai que les Sénégalais m’ont connu comme écrivain et analyste politique. Mais à un moment donné de notre histoire, j’ai constaté des menaces graves contre la République et la démocratie chez certains opposants de l’époque. Voilà pourquoi je me suis opposé à ces pratiques en tant qu’intellectuel, en tant que républicain”, a-t-il souligné.
Jusque-là, Hamidou avait choisi de ne pas adhérer à un parti. Il aura fallu attendre la chute du régime de Macky Sall, au moment où les anciens barons fuient le navire, pour le voir s’engager. Un choix qu’il assume pleinement et avec beaucoup de courage : “Quand ils (Pastef) ont pris le pouvoir, j’ai été convaincu qu’il faut poursuivre la lutte avec le même engagement, sinon plus pour la défense de cette démocratie qui nous est si chère. J’ai pensé que le meilleur moyen, c’est de m’engager en politique. Nous avons choisi d’être dans une opposition radicale, mais démocratique et républicaine, tournée vers la paix et le débat d’idées.”
Macky Sall face aux syndromes PS-PDS
À la question de savoir pourquoi l’APR, il a expliqué que c’est parce que la plupart des partis de l’opposition ont eu à cheminer avec le Pastef, mais surtout à le soutenir dans son œuvre de sabotage des principes démocratiques. Il ajoute : “J’aurais bien pu rejoindre l’APR pendant qu’ils étaient encore au pouvoir, parce que j’avais déjà pas mal d’amis dans le régime. Mais notre engagement n’a jamais été motivé par la quête de privilèges ou autres sinécures ; ce n’est pas notre conception de l’État et de l’engagement au service de la nation.”
Il revient sur la mission qui lui a été confiée par l’ancien président Sall. Il s’agira, selon lui, de renverser “l’hégémonie culturelle” de Pastef qui dicte le tempo dans le débat politico-médiatique depuis quelque temps. Cette bataille culturelle, à son avis, est essentielle. “Dans l’espace politique, le parti qui arrive à dominer cette bataille des idées, à imposer ses thématiques, ses sujets, ses concepts, a forcément un ascendant sur les autres. Il faut reconnaitre qu’à un moment, Pastef a pu avoir cette victoire culturelle”, analyse l’auteur de “Amadou Makhtar Mbow, une vie, des combats”.
Il convient de noter que la tâche risque d’être fastidieuse. Par le passé, tous les partis qui ont été confrontés à cette situation ont connu un déclin continu. Depuis sa chute en 2000, le Parti socialiste peine à jouer les premiers rôles dans l’espace politique, avec des scores peu honorables aux différentes élections. Idem pour le Parti démocratique sénégalais qui n’arrive pas à avoir un candidat à une présidentielle depuis 2019 et qui a eu moins de cinq députés à la suite des dernières élections.
Par Mor Amar