Des éleveurs prescrivent la recette

À moins de deux semaines de la Tabaski, des Sénégalais tirent le… mouton par la queue. Une situation due à la dépendance du Sénégal aux pays comme le Mali et la Mauritanie pour alimenter le marché du bétail. Une tendance qu’il est possible de renverser, selon des acteurs du secteur de l’élevage qui posent des préalables comme la réduction du prix de l’aliment de bétail, des produits vétérinaires et le développement de la culture fourragère.
Au Sénégal, la fête de Tabaski est l’une des fêtes religieuses les plus populaires célébrées par les musulmans. Ce rendez-vous, qui commémore le dévouement du Prophète Ibrahim envers son Seigneur à travers le sacrifice de son fils Ismaël, est vécu par les Sénégalais avec un grand engouement. Bien que facultatif, déroger à "la règle d’immoler un mouton", faute de moyens, est perçu comme une honte pour toute une famille. C’est pour cela que rares sont ceux qui optent pour une brebis ou un bouc. C’est sans doute cette perception qui fait que le Sénégal soit le réceptacle des milliers de bêtes venant de la Mauritanie, du Mali et probablement d’autres horizons, qui célèbrent aussi la Tabaski. Les moutons sont vendus à des prix peu accessibles aux bourses des populations, du fait de la rareté ou du coût de l’aliment de bétail et de leur transport. Et si les importations de ces bêtes pouvaient cesser, puisque le Sénégalais n’est toujours pas prêt à se passer du mouton ?
Sur cette question, des acteurs du secteur de l’élevage affirment qu'il est bien possible d’être autosuffisant en moutons au point d'en exporter. Mais ils évoquent des préalables. Leurs recettes sont, à leurs yeux, indispensables pour un élevage prospère capable de renverser la dépendance aux pays voisins.
Au foirail de Kahone, Ngagne Diallo, est un éleveur habitué des lieux. Il rassure que le marché du mouton est bien approvisionné, même s’il admet que les prix restent élevés.
Cherté du bétail du fait de la dépendance aux pays frontaliers
D’après lui, pour assurer aux Sénégalais une autosuffisance en moutons, il faut l’implication des autorités. Les Sénégalais sont prêts à relever le défi, mais avec la cherté de l'aliment de bétail, ils hésitent à se lancer, car, dit-il, le coût de l'élevage de moutons est très élevé et les éleveurs vendent à perte, sans compter les voleurs. Il faut donc l'implication des autorités pour une meilleure sécurisation des bêtes sinon, le mouton sera toujours difficile à avoir du fait de son importation.
Monsieur Diallo précise que sur le marché, rares sont les têtes qui sont élevées au Sénégal. Les éleveurs sénégalais achètent à quelques semaines de la Tabaski des moutons au Mali, en Mauritanie où les éleveurs ne subissent pas le même calvaire que ceux du Sénégal, ensuite elles sont convoyées dans les foirails du pays et, avec le coût du transport, la cherté des aliments de bétail, les dépenses parallèles pour surveiller les bêtes, les moutons reviennent hors de prix.
Pour ce qui est des nomades, c'est la même pratique, faute d’aliment de bétail accessible, les éleveurs vont s'approvisionner dans le marché de la sous-région puis, à deux mois de la Tabaski, ils commencent à les engraisser, ce qui leur permet de supporter les grosses dépenses liées à l’achat de l’aliment de bétail.
Tout de même, il soutient que le marché sénégalais est également approvisionné par des bergers locaux, mais il s’agit de cas rares. Ces moutons sont reconnaissables grâce à leur maigreur. Il rejette ainsi la faute sur les autorités sénégalaises qui se sont succédé au pouvoir depuis le régime de Me Abdoulaye Wade qui ‘’a déclenché le phénomène de la cherté des aliments de bétail et celui de l’augmentation du coût du transport avec la montée du prix du carburant’’.
Cultures fourragères et accès facile aux aliments de bétail
Ali Kobar est le secrétaire général de la Fédération nationale pour le développement de l'élevage et la protection du bétail. Sa conviction est que les gouvernants devraient commencer par appuyer les organisations d’éleveurs, afin de corriger les ratages notés dans le secteur. "Il suffit de les accompagner pour que le mouton soit de nouveau à la portée des Sénégalais", a-t-il plaidé.
Dans ce dessein, il faut subventionner l’aliment de bétail dont le sac, d’après Ali Kobar, coûte 12 000 F CFA, un prix coûteux pour un éleveur qui possède des centaines de têtes.
Pour lui, à travers cette politique, même les particuliers pourront élever autant de moutons. Ce qui va casser le prix du mouton. "J’ai été obligé, récemment, de bazarder les moutons et les chèvres que je possédais du fait de la cherté de l'aliment", a regretté Ali Kobar également SG de Karangué Sunu Gokh, organisation d'éleveurs basée à Linguère.
Par ailleurs, il préconise la culture fourragère qui va permettre aux éleveurs de nourrir gratuitement leurs troupeaux et de se passer des aliments de bétail. " J’ai un frère qui vit en Italie. Il m à dit que ce pays dispose de semences fourragères qui poussent rapidement et en abondance, ce qui fait que les éleveurs ne se plaignent pas. Le bétail est en bonne santé. C’est ce type de culture que l’on devrait développer au Sénégal", a dit M. Kobar. Considérant que l'herbe est rare et sa teneur ayant baissé, il pense que la culture fourragère est une alternative qui va aider à lutter contre les tensions entre éleveurs et agriculteurs, liées au manque de pâturage.
Un avis partagé par Galo Dia, président de la Maison des éleveurs du département de Mbour. ‘’Certains pays occidentaux ont développé une semence destinée à la culture fourragère très efficace’’. Et si nos autorités adoptent cette culture sur chaque étendue de 40 ou 80 km² de forêts, fini la galère des éleveurs qui n’auront plus besoin d’aliments de bétail coûteux.
De plus, d’après M. Dia, cette espèce fourragère comporte beaucoup de nutriments et est très fournie pour permettre aux bêtes de brouter sans parcourir des kilomètres.
De l’eau en abondance, des produits vétérinaires accessibles
La conséquence sera que le lait sera produit en abondance, le bétail bien engraissé et en nombre. Dans sa recette pour atteindre une autosuffisance en moutons le président de la Maison des éleveurs de Mbour interpelle les autorités sur la nécessité d’implanter beaucoup de forages dans les pâturages, pour éviter les longues distances pour trouver de l'eau pour les troupeaux. Une doléance importante à ses yeux, car le parcours du bétail sur des kilomètres contribue à sa perte de poids et à sa capacité de reproduction.
Au-delà se pose la question de la cherté des produits vétérinaires. En effet, Galo Dia explique qu’"un produit vendu à 1 000 F CFA en Gambie ou en Mauritanie s’achète à 1 500 F CFA au Sénégal. Certains produits qui coûtent 700 F CFA dans les pays limitrophes reviennent à 5 000 F CFA chez nous". C’ est pourquoi les éleveurs demandent aux autorités de revoir les prix pour la prise en charge sanitaire des animaux et la survie du secteur de l’élevage qui peuvent atteindre un niveau de développement tel que le Sénégal pourrait, à l’avenir, exporter du bétail plutôt que d'en importer.
Alioune Badara Diallo Kane