Le service minimum de la Cedeao
Si la victoire du Tchadien Moussa Faki Mahamat est consommée, et que la portée diplomatique du Sénégal a été assez limitée, la Cedeao a contribué à scier la branche sur laquelle s’était assis son candidat, le professeur Abdoulaye Bathily.
‘‘Il ne m’appartient pas de dévoiler le choix des chefs d’État. Ce que je peux dire, c’est que le Sénégal et son Président Macky Sall me soutiennent. La Cedeao aussi soutient ma candidature. Le reste, nous le saurons le 31 janvier’’. Ainsi parlait Bathily en conférence de presse sur sa campagne pour la tête de la Commission de l’Union africaine (UA), quelques jours avant le 31 janvier 2017, date du scrutin. Simple précaution électorale ou confiance douteuse pour les membres de la Cedeao, l’historien a bien fait de ne pas s’aventurer davantage dans ses pronostics puisqu’une décevante troisième place a ponctué son parcours. Une lucidité d’un réalisme prémonitoire puisque la défaite du candidat Abdoulaye Bathily, issu de la sous-région, suscite cette interrogation sur les actions qui ont cours à la Communauté. ‘‘Il y a plus de 15 états dans la CEDEAO et au premier tour, nous avons obtenu 10 voix. Où sont les autres voix ? Où sont aussi les voix du reste de l’Afrique du Nord, centrale, de l’Est… ?’’, s’est étonné hier le leader du Bloc des centristes Gaindé, Jean Paul Dias, dans les colonnes du quotidien L’Observateur.
La candidature du représentant spécial de l’ONU pour l’Afrique centrale a souffert prioritairement d’un désengagement de la Communauté économique ouest-africaine. A part le Togo qui a annoncé initialement son intention de ne pas voter pour la Cedeao, Professeur Bathily aurait dû se retrouver logiquement avec 14 voix de l’organisme au moins au premier tour de vote. Les dix suffrages obtenus montrent, qu’au pire des cas, quatre pays ouest-africains se sont désolidarisés, puisqu’il n’est pas dit que ces dix points soient exclusivement des voix de la Cedeao. Au troisième tour, avec trois voix seulement (incluant celle du Sénégal), il ne faisait plus de doutes que la Cedeao avait lâché son candidat.
Le premier mal d’une organisation qui s’inocule dangereusement les germes de sa propre dépréciation : le non-respect de résolutions qu’elle passe elle-même. Juste avant cette élection très disputée, 7 tours pour sortir un vainqueur du pot, l’instance sous régionale avait pourtant bien affirmé son soutien à l’universitaire sénégalais dimanche, juste avant le vote par la voix du président de la commission, Marcel Alain Da Souza. ‘‘La Cedeao a retenu de soutenir la candidature du professeur Abdoulaye Bathily’’, avait-il déclaré allant même jusqu’à invoquer l’unité de la sous-région qui avait réussi à faire reporter cette élection d’abord prévue en juillet 2016 à Kigali où s’est tenu le 27e sommet de l’UA. A l’initiative de la Cedeao, une trentaine de pays s’étaient abstenus de voter pour désigner un successeur à la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, trouvant les candidatures assez légères.
Ces vacillements dans les positions de la Cedeao se sont aussi fait sentir dans le règlement de l’impasse postélectorale gambienne. Si pour le cas gambien, les quinze de la Cedeao ont réussi la prouesse d’installer Adama Barrow sans effusion de sang, leur valse-hésitation dans le départ de Yahya Jammeh, qu’elle avait promis de déloger au forceps, démontre des tergiversations aux plus hautes sphères de décisions de l’organisme.
La montagne de résolutions fermes d’installer Barrow en leur présence le 19 janvier 2017 à Banjul a accouché d’une modeste prestation de serment à l’ambassade gambienne de Dakar. Des ultimatums reportés à chaque échéance ont fini de convaincre les plus sceptiques que l’intervention militaire n’a jamais été l’option de la Cedeao. Plus grave encore, les interventions parallèles, d’un non-membre de la Cedeao (Mauritanie) et d’un membre (Guinée) ont contribué à affaiblir les résolutions en apparence fermes de la force communautaire.
Même pour sa plus grande réussite, le Tarif extérieur commun (TEC), l’instance supranationale souffre des desiderata des chefs d’Etat qui interdisent l’accès aux ressortissants, créent des taxes-fantômes sur les entrées ou adoptent une posture protectionniste alors que l’ouverture de ce marché de plus de 300 millions d’habitants est chantée par leurs autorités. A l’exemple du dernier blocus de la frontière entre la Gambie et le Sénégal en mars dernier. La non-observance des décisions de justice de la Cedeao dans l’affaire de l’opposant Karim Wade est aussi un retour de bâton pour les tenants du pouvoir sénégalais qui en leur temps avaient défendu la préséance nationale sur la Cedeao.
Limites sénégalaises
Malgré les 44 missions envoyées partout dans le continent, le Sénégal a diplomatiquement échoué toutefois en ne réussissant pas à sécuriser le vote dans son ‘pré-carré’ zonal de la Cedeao. Ceci à cause d’un lourd passif qu’il traîne avec ses voisins immédiats. Un désamour latent qui n’est pas étranger à cette déconvenue. Les contrecoups diplomatiques d’une épidémie d’Ebola mal négociée avec la République de Guinée, d’une mésentente cordiale héréditaire avec la Mauritanie, et d’une rancœur du Niger coiffé au poteau par le Sénégal à la présidence de la Commission de l’Uemoa, sont autant de motifs pour ces pays de tourner le dos au candidat Bathily, explique un journaliste du quotidien national Le Soleil sur sa page Facebook.
Outre la nomination d’un chef d’Etat issu de la Cedeao comme président en exercice de l’UA pour le prochain semestre, Alpha Condé, c’est l’incapacité du Sénégal à se projeter au-delà de l’espace communautaire sous régional qui aura été aussi un handicap lourd de conséquences pour une commission que se disputaient en dehors de Bathily, l’Équato-Guinéen Agapito Mba Mokuy, la Botswanaise Pelonomi Venson-Moitoi, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, et la Kényane Amina Mohamed Jibril.
Le vote étant secret, il est peu probable que le Sénégal ait réussi à glaner des voix parmi les cinq pays dans l’Union du Maghreb Arabe (UMA) puisque son allié sûr, le Maroc, vient de réintégrer l’Union africaine ; ou les dix pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) d’où est sorti le vainqueur tchadien ; des cinq pays de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) dont la candidate kenyane est tombée les armes à la main ; des quinze membres de la Communauté pour le développement de l’Afrique australe (SADC) sous la houlette de la puissante Afrique du Sud ; ainsi que des cinq de la Communauté de l’Océan indien (COI). Mais quoi qu’il en soit, les trois voix de Bathily au troisième tour du vote sont une douche froide pour une diplomatie sénégalaise qui commençait à déployer ses ailes.
MAME TALLA DIAW