‘’Seul Dieu peut arrêter Yaya Jammeh !’’
En exil au Sénégal depuis 2006, Boubacar Baldé reste perplexe quant au sort des condamnés à mort en Gambie. Sans illusion, cet ancien ministre sous Diawara estime que le président Yaya Jammeh n’est pas du genre à céder à la pression.
Quelle appréciation faites-vous de l’exécution des deux Sénégalais condamnés à mort en Gambie ?
A chaque fois que l’on tue une personne, c’est comme si on disséminait l’humanité entière. Même si la loi donne les prérogatives à un chef d’Etat de tuer des gens, il est judicieux de renoncer à cette extrême sentence en tant qu’être humain. Surtout qu’un Chef d’Etat a la possibilité de gracier des prisonniers. Le président Jammeh avait bien la possibilité de saisir l’occasion de l’Aïd El Fitr, un jour de pardon entre les musulmans, pour gracier ou bien même réduire les peines au lieu de prendre la décision d’appliquer la peine de mort à des prisonniers. J’ai été surpris d’apprendre la nouvelle de ces exécutions alors que plusieurs personnes jouaient à la médiation. L’union africaine a même envoyé un émissaire en Gambie pour dissuader le président Jammeh, lui, qui se targue toujours d’être un grand panafricaniste. Même l’Union européenne a fait une intervention pour lui demander de ne pas appliquer la peine de mort aux prisonniers concernés. Autant d’actes qui justifient ma surprise quand j’ai appris que Yaya Jammeh a mis en branle sa menace d’exécuter les condamnés à mort. Je pensais que l’Afrique avait dépassé l’air de dictateurs comme Bokassa, Idi Amin Dada, Mobutu et autres. Les urgences du continent doivent être ailleurs que sur des actes aussi criminels.
Pensez-vous que Jammeh soit capable d’exécuter le restant des condamnés à mort ?
Je pense qu’avec la forte réaction de la communauté internationale, il reviendra à de meilleurs sentiments en tant que bon croyant. Mais ce n'est que mon avis, parce qu’un jour où l’autre, il aura peut-être besoin de louer les services de ceux qui le sollicitent présentement.
Qu’est-ce qui peut le pousser à s'arrêter ?
Sur cette terre et sous les cieux, Seul Dieu peut empêcher Yaya Jammeh de mettre en exécution sa décision. Dieu est le Seul à pouvoir l’en empêcher parce qu’il n’est pas du genre à céder à la pression. Si l’homme avait une considération envers ses semblables, il allait céder face aux interventions de la France, de la Grande Bretagne, de l’Union européenne mais surtout de l’Union africaine parce qu’il aime se dire panafricaniste. Cela est révélateur de la personnalité de l’individu. Pire, il a choisi un jour de prière et de pardon chez les musulmans pour annoncer cette mauvaise nouvelle. Tous ces facteurs auraient pu le convaincre de céder parce que personne ne sait de quoi demain sera fait. Seul Dieu est éternel et il est bon de le savoir.
C'est un choc de vous entendre dire que Seul Dieu peut empêcher Yaya Jammeh de mettre à exécution ses menaces.
Je ne veux pas revenir sur le fond de l'histoire. Mais je vous dis une chose, Yaya Jammeh met toujours à exécution ses paroles. A moins qu'une intervention lui vienne des Cieux. Dans le passé, il a mis à exécution presque toutes ses décisions. Personne ne peut le dissuader de mettre en application ses menaces. En exécutant les 9 condamnés, il a eu la pression du monde entier. Peut-être que cela le poussera à mieux réfléchir. Vraiment, je prie le Bon Dieu de lui donner la grandeur d'esprit de pardonner aux 38 condamnés qui restent.
Croyez-vous vraiment qu'il n’y a plus rien à faire pour les mises en cause ?
Je crois qu'avec la pression qu'il y a eu ces derniers jours et avec l'aide de Dieu surtout, il renoncera à sa décision. Il est musulman. Et le musulman est un homme de paix, de pardon donc je crois que tout cela doit suffire pour qu'il leur pardonne. Cependant, personne ne sait s'il va le faire ou pas, mais prions pour que cela se réalise.
Qu’est-ce qui motive le président Jammeh à poser un tel acte selon vous ?
Franchement, je ne sais pas et je n’y comprends vraiment rien. Peut-être que si vous vous rendez à Kanilai, son village natal en Gambie, il vous le dira lui-même. Heureusement qu’il a parlé avant d’agir, cela a permis aujourd’hui aux régimes de faire pression sur lui. Dans son adresse à la nation gambienne à l’occasion de la fête de l’Aïd El Fitr, il avançait la montée de l’insécurité dans le pays et avait soutenu qu’il fallait fermement mettre fin à cela. Personnellement, je suis contre cet avis et cet argument ne me convainc pas.
Il est constaté que beaucoup de Gambiens sont en exil. Comment appréciez-vous le phénomène ?
Je dois d'abord commencer par parler de moi-même. Si je suis au Sénégal, c'est parce que le destin en a ainsi décidé. Il y a un problème de sécurité en Gambie. Je n'ai commis aucun délit mais quand on vit avec un président qui n'est pas démocrate, à la moindre erreur, il vous met en prison. La meilleure des choses, c'est de quitter le pays pour être plus en sécurité.
Avez-vous goûté à la prison ?
J'ai été emprisonné plusieurs fois et je n'étais pas le seul. Les prisons de la Gambie sont remplies de monde.
Qu’aviez-vous fait ?
Je ne vais pas entrer dans les détails. En tout cas je n’avais rien fait d’anormal et de condamnable. En Gambie, c'est le président qui détient la loi. S'il veut vous emprisonner, personne n'y peut rien. Même si la Cour de justice vous libère, le lendemain on vient vous cueillir chez vous. C'est lui qui prend toutes les décisions. Il contrôle la justice. Le système judiciaire n'a pas le droit de prendre ses propres décisions et n’a aucune chance de fonctionner indépendamment en Gambie.
Le siège de la Commission africaine des droits de l'Homme se trouve en Gambie. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Je crois que c'est une décision politique à revoir et les chefs d’État africains doivent discuter sur ce point. J'ai même entendu la présidente de la commission parler de ça. Mais je ne sais pas encore la décision qui sera adoptée parce que cette commission a été installée en Gambie sous le régime de l’ex-président Daouda Diawara. A l’époque, tous les pays avaient reconnu que la Gambie était un pays démocratique et un pays de paix. Si aujourd'hui le pays a changé de visage avec la violation des droits des personnes, les Africains ont le droit de changer le siège de la commission.
Et comment jugez-vous la réaction du président Macky Sall ?
Macky Sall en tant président de l’État du Sénégal a fait ce que son pays attendait de lui. Et on a entendu ce qu'il a dit. Il a parlé aussi du bon voisinage entre les deux pays. Et il a parfaitement raison. Parce que le Sénégal et la Gambie sont des pays frères qui sont condamnés à cohabiter ensemble. Et quand on parle du bon voisinage, ça veut tout dire. Entre les deux pays, il ne doit y avoir qu’une paix durable.
Propos recueillis par
Amadou NDIAYE