Publié le 19 Dec 2018 - 21:54
CHANTIERS DU TER A RUFISQUE

Le chemin de croix 

 

Une véritable pagaille. C’est ce qu’est devenue la ville de Rufisque, à cause des travaux du Train express régional.

 

En attendant le Ter, le calvaire. A Rufisque, c’est comme dans un capharnaüm. Des citoyens exaspérés. Des automobilistes désemparés, la poussière, les embouteillages... Le décor est simplement très cahoteux dans la vieille ville transformée en un grand bazar, perdu au cœur des chantiers du Train express régional (Ter).

Au passage à niveau, juste avant la gare ferroviaire, la colère et l’incertitude sont les sentiments les mieux partagés. ‘’Moi, je me demande où allons-nous passer, quand tout sera achevé. Quand ils finiront d’ériger leurs murs et que le train commence à circuler’’, se lamente cette jeune dame vêtue d’un grand boubou voile multicolore. Doucement, elle avance, enjambant les rails qui lui arrivent presque aux genoux, avec son amie. Baye Badou Diop, témoin de la conversation, ne se fait pas prier pour intervenir. ‘’Peut-être, grogne-t-il, on va mettre ici des agents pour faire du ’tingom’ (soulever quelqu’un à l’aide de ses épaules) aux passagers’’. Riant aux éclats à cette vanne, l’une d’elles rétorque : ‘’Je plains alors les lourds qui pourraient difficilement être soulevés.’’

Bien qu’ayant provoqué ce fou rire des ravissantes dames, Badou, le longiligne, est aux antipodes de leur bonne humeur. Très courroucé par la situation infernale que traverse la ville, il crie son ras-le-bol : ‘’C'est du grand n'importe quoi, cette manière de travailler. Ils ne respectent même pas les populations. Nous n’avons rien contre le Ter. Bien au contraire, on salue cette réalisation. Mais moi qui vous parle, je suis maçon et j’ai travaillé dans de grandes entreprises comme Cde. Ils devaient ériger des ponts avant de poser les rails. On ne peut priver toute une ville de sortir et de vaquer tranquillement à ses occupations. Ce n’est vraiment pas sérieux, ce qu’ils ont fait’’.

Hier, sur cet axe qui mène vers l’hôpital Youssou Mbargane Diop, le seul de ce district, les nerfs étaient hyper tendus. Ce camionneur en fait les frais. Arrêté par l’agent de police en tenue bleu sombre, chargé de réguler la circulation, il a voulu forcer le passage, mettant le policier dans tous ses états. ‘’Damay niaf sa…’’, fulmine l’homme de loi avant de monter sur le véhicule, le sommant de lui rendre ses papiers. Ce dernier s’exécute avant de se garer à quelques 20 mètres pour ne pas entraver la voie très étroite qui sert de déviation. Malgré la présence des éléments des forces de l’ordre, il règne un grand désordre sur les lieux.

12 h passées de quelques minutes. Sous un climat chaud et sec, certains continuent de vaquer à leurs occupations, nonobstant le supplice. Un monde fou se croisant et s’entrecroisant au milieu des machines et des ouvriers. Comme dans les faubourgs d’Asie. Babacar, distributeur de cartes de crédits, à bord de son scooter, ne dit pas le contraire. Il est contraint de prendre le contournement sur plus de trois kilomètres pour regagner un quartier qui, pourtant, se trouve juste en face de lui. ‘’Je dois aller à Santhia Ba. C’est douloureux, mais que peut-on y faire ? De toute façon, je peux m’estimer heureux, puisque j’ai un scooter. Je peux donc me faufiler à travers les embouteillages. Ce qui n’est pas le cas pour les voitures qui perdent beaucoup plus de temps’’, philosophe-t-il, avant de confier : ‘’Le seul hic, c’est que je perds du carburant, mais aussi un peu de mon temps.’’

D’autres motocyclistes, plus téméraires, n’ont guère été découragés par l’obstacle. Contrairement à Babacar, ils décident de braver la difficulté. Avec l’appui de certains passants, ils parviennent à soulever les motos pour ne pas vivre le même calvaire. Ainsi, Rufisque étant traversée de bout en bout par les rails, il faut obligatoirement passer au niveau de Diouty Ba pour regagner le nord de la vieille ville et une partie de l’ouest. Pour ceux qui vont à l’est, il faut aller jusque vers la sortie, au niveau du poste de courant de Mérina. Une situation qui a fini de renforcer les éternels embouteillages dans la ville de Mame Coumba Lamb. Piétons, charretiers, conducteurs de ‘’pousse-pousse’’, automobilistes… Tout le monde en souffre.

L’émergence des Jarkarta

Face à cette montagne de difficultés, il y a de nouveaux acteurs qui émergent dans la ville. Ce sont les jakartamen. Moussa Ndiaye, rencontré au rond-point Sonadis, habite Arrêt Chérif. Ça fait longtemps qu’il ne prend plus les ‘’clandos’’, encore moins les bus. Il déclare : ‘’Avec les embouteillages, il est beaucoup plus facile avec les motos-Jakarta.’’ En plus, on ne paie que 300 F la course. Là où nous payons 1 000 F avec les ‘clandos’. Encore qu’avec les travaux, il faut marcher plusieurs mètres avant de trouver un ‘clando’.’’ Un ‘’jakartaman’’ de se féliciter de l’engouement des populations pour leurs motos. Toutefois, il déplore l’ostracisme des autorités policières et des chauffeurs de ‘’clandos’’ qui tentent de les traquer. ‘’Nous ne faisons qu’essayer de gagner notre vie à la sueur de notre front. Et puis, nous arrangeons beaucoup les Rufisquois. Depuis que nous sommes là, les spéculations des taximen ont cessé’’, informe-t-il, préférant garder l’anonymat.

Lamine, lui, vient de Fass, vers le stade Ngalandou Diouf. D’habitude, il prenait le bus. Maintenant, c’est à pied qu’il assure le trajet jusqu’à son lieu de travail en centre-ville. Il est du même avis que Badou. Enragé, il fulmine : ‘’On ne peut pas ne pas en parler. Les Rufisquois souffrent et on ne voit personne pour alléger nos souffrances. Moi, je me dis que ces gens nous prennent pour des animaux.’’ Pendant qu’il rumine sa colère, un homme blanc, perché du haut de son Poquelin, brandit son téléphone portable pour filmer le ‘’spectacle’’.  Lamine n’en a cure. Il continue son plaidoyer rageur : ‘’Avant de détruire la ville, il fallait mettre en place une voie alternative. On ne peut pas couper le chemin sans en créer un autre. Maintenant, tous les vieux et les handicapés sont prisonniers chez eux. Il est également impossible de se déplacer en véhicule. Pour une distance que l’on parcourait en moins de 20 minutes, il faut maintenant faire 2 à 3 heures au minimum.’’

Comme s’ils n’attendaient que d’être interpellés, nombre de passagers se mêlent à la discussion. Sans même y être invités. Cette passante, la quarantaine, livre son opinion : ‘’Rufisque est complètement morte maintenant. Nous sommes vraiment fatigués. Il faut que le président nous vienne en aide. Cette situation, les autorités doivent en parler.’’

Pour le moment, les nerfs, bien que tendus, restent pour l’essentiel sous contrôle. Mais certains discours commencent à se radicaliser. Mbaye Gningue est totalement désappointé par ce qui se passe. Pour lui, la faute incombe aux Rufisquois, très passifs à son goût. ‘’Certaines choses, tu ne les verras qu’ici, parce que les gens acceptent tout ce qu’on met sur leur dos. Depuis plusieurs semaines, nous vivons l’enfer, mais personne ne dit rien. Ce sont les populations qui devaient se mobiliser pour dire stop à ce manque de respect, pour exiger qu’on nous érige des passerelles.
Ce que nous vivons est très difficile. On ne peut plus aller au marché, on ne peut aller nulle part. Des vieilles personnes et des femmes tombent ici en permanence et cela ne choque personne’’.

De ces désagréments, aucune couche n’est à l’abri : élèves, commerçants, fonctionnaires et bonnes dames qui, chaque matin de bonne heure, sont tenus de regagner le centre-ville pour une raison ou une autre.

Un peu plus loin, sur une petite ruelle, derrière la gare, Mohamed Diop, élève, témoigne : ‘’Je suis du lycée privé Sembène Ousmane (vers l’hippodrome Tanor Anta Mbakhar). Le préjudice est énorme. Beaucoup de mes camarades arrivent en retard à cause des chantiers. Il en est de même pour ceux qui doivent aller en ville. C’est au niveau de Arrêt Ngogn qu’ils sont débarqués et doivent faire le reste du chemin à pied. Il faut donc se lever plus tôt pour ne pas être en retard. On a hâte que ça cesse.’’ Au même endroit, un adolescent, environ 15 ans, se pointe avec son sac à dos. D’un air innocent, il demande : ‘’Grand, quelle heure est-il ?’’ ‘’11 h moins 5 mn’’, lui lance-t-on avant d’enchainer : ‘’Qu’est-ce qu’il y a ? Tu es en retard ?’’ Il répond par l’affirmative, sans attendre la suite, craignant visiblement un ‘’enleveur d’enfants’’.

Chauffeurs, Aliou Ly et ses amis se sont vus contraints de déplacer leur garage sur à peu près 500 mètres. Les clients devront désormais parcourir cette distance à pied pour les rejoindre. Monsieur Ly déplore : ‘’Comme vous le voyez, nous sommes obligés d’être ici sous le chaud soleil. En plus, il est difficile pour les clients de marcher jusque-là. D’autant plus que certains ont des bagages. En plus, il y a beaucoup de poussière.’’ Ousmane Sène, lui, pense au pire : ‘’Imaginez s’il y a incendie dans les parages, il est impossible pour les pompiers de regagner certains endroits.’’

Ainsi, chez la plupart de nos interlocuteurs, ce sont, à quelques exceptions près, les mêmes récriminations qui viennent. ‘’Pourquoi couper la ville avec les rails sans installer au préalable les passerelles ?’’. Telle est la réclamation des chauffeurs comme des piétons.

Le silence des autorités

Pendant que les populations souffrent, les autorités sont aux abonnés absents. Aussi bien les politiques que les administratifs brillent par leur silence. Au niveau de la mairie, on ne semble informé de rien. De proches collaborateurs du maire que nous avons interpellés ont reconnu être dans l’impossibilité d’éclairer la lanterne de leurs administrés.

‘’Pour dire vrai, je ne connais pas grand-chose dans ces travaux. La mairie n’est pas directement impliquée’’, témoigne modestement notre interlocuteur. Pendant ce temps, le maire, comme d’habitude, s’emmure dans un silence incompréhensible. Est-ce à cause de son appartenance à l’opposition, particulièrement le Parti démocratique sénégalais ?

 A la maison Ter, il est aussi impossible de trouver un interlocuteur. Le journaliste est systématiquement renvoyé vers la Direction générale de l’Apix. Même chose chez les autorités déconcentrées. Par sms, le préfet déclare : ‘’Pour tout ce qui est communication sur le Ter, il faut au préalable demander l’onction de l’Apix. Merci.’’ Une amabilité que l’on ne saurait reconnaitre tout de même au maire Daouda Niang qui a fait le mort.

Pendant ce temps, les populations demeurent dans de profondes inquiétudes, par rapport à leur avenir. Surtout en ce qui concerne les points où seront érigées les passerelles. Et à partir de quel moment ? Selon les autorités, le Ter sera inauguré, le 14 janvier prochain.

MOR AMAR

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