Publié le 13 Jun 2022 - 23:50
DISCOURS ‘’REBELLES’’ CONTRE LE MAIRE DE ZIGUINCHOR

Les dangereuses dérives d’une communication politique

 

Des années d’accalmie du conflit casamançais sont le fruit d’une stratégie mise en place par le président de la République Macky Sall, depuis son accession à l’indépendance. Tous ces efforts pourraient être mis à mal par un discours politique tendant à stigmatiser une partie intégrante du territoire national.

 

Les allusions sont claires. Officielles de surcroît, lorsqu’elles sont faites par le porte-parole du gouvernement. La semaine dernière, le ministre des Collectivités locales a confirmé qu’"effectivement, lors des dernières manifestations, il y a eu des rebelles qui ont été arrêtés’’. Ceux qui cherchent à déstabiliser notre pays vont déchanter", a-t-il ajouté. Omar Guèye s’exprimait après la grande mobilisation faite deux jours plus tôt par deux plus grandes coalitions de l’opposition politique au Sénégal, avec comme principal instigateur le maire de Ziguinchor Ousmane Sonko. Cette région, capitale d’une région Sud en proie à une rébellion depuis une quarantaine d’années, s’est liée à la personnalité phare de l’opposition qu’elle a élue à sa tête en début d’année.

Malgré le poids d’une histoire encore présente, les discours politiques tendant à le présenter comme un rebelle sont de plus en plus remarqués dans le giron du pouvoir. Des faits qui mettent en danger les efforts faits dans la recherche d’une paix définitive en Casamance.     

Dans le discours de certains responsables de la coalition au pouvoir, les mots ont leur sens. Très souvent, les liens faits entre la personne du maire de Ziguinchor et les concepts de violence et de scission ne sont pas gratuits. Après les appels à la manifestation lancés par l’opposant et ses partisans, c’est le ministre de l’Économie numérique et des Télécommunications qui a apporté une réplique avec certains termes qui interpellent. ‘’Il faut que cette rébellion agissante qu’il incarne cesse. Cette rébellion doit être éduquée. Les Sénégalais connaissent des débats d’idées, mais pas de verser le pays dans le sang et de la violence. Il faut que Sonko respecte ses patrons en politique. Il est trop petit pour réduire ce pays en cendre. Il est trop petit pour apporter la guerre civile dans ce pays. Il est trop petit pour prendre la jeunesse et attaquer les gens qui incarnent la République’’, déclare Yankhoba Diattara.

‘’Une stratégie de communication pour détourner le regard des Sénégalais’’

Cette tendance est loin de se limiter à ces deux  membres de la coalition Benno Bokk Yaakaar. Avec cette formation politique, il est monnaie courante de traiter de rebelle toute voix discordante issue du sud du pays. Tout comme le leader du Pastef, l’activiste Guy Marius Sagna est souvent pointé du même doigt accusateur.

Pour Bacary Domingo Mané, il s’agit d’une stratégie de communication pour détourner le regard des Sénégalais. ‘’Tout comme l’affaire Adji Sarr, ce discours permet aux membres de la coalition au pouvoir de traverser les zones de turbulence. Cela est tenu à chaque fois qu’ils sont en difficulté dans la bataille politique, comme cela a été le cas après la mobilisation de Yewwi-Wallu. L’on a vu la sortie d’Adji Sarr combinée à celle de Madiambal Diagne disant que des rebelles étaient présents à Dakar, comme il l’avait dit lors des événements de mars 2021’’, observe l’analyste politique.

Une communication à laquelle participe le journaliste ? Pour le spécialiste de la communication, ce n’est nullement le rôle d’un professionnel de l’information. ‘’Il ne doit pas travailler à créer les conditions d’un chaos dans un pays. Si le parquet se soucie réellement de la sécurité du Sénégal, il devrait le convoquer. Malheureusement, il semble plus le protéger que de se soucier de l’arrêter’’, se désole-t-il.

Quant aux différends politiques rapportés sur des questions de défense nationale, Bacary Domingo Mané se veut clair, à l’endroit des hommes politiques : ‘’Cela dépasse les bornes, car on joue avec quelque chose de très sensible qui est la rébellion. Le simple fait de le dire contribue à stigmatiser une région du Sénégal. C’est extrêmement dangereux et gravissime. Tous les ressortissants de la Casamance ont mal, lorsqu’on agite cette question et qu’on les traite de rebelles. On est en train de jouer avec le feu et on ne sait jamais d’où l’étincelle va survenir.’’

A son accession à la magistrature suprême, le président Macky Sall a suscité un grand espoir dans la recherche d’une paix durable en Casamance. Lui qui, alors Premier ministre sous l’ancien président de la République Abdoulaye Wade, avait mené les négociations de paix entre le gouvernement et le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) à Foundiougne en 2005.

En dix ans à la tête du Sénégal, son bilan sur cette crise parle pour lui. À l’exception du massacre, le 6 janvier 2018, de 14 coupeurs de bois dans une clairière de la forêt de Boffa Bayottes par un groupe d’hommes armés, il n’y a pas eu de crise majeure en Casamance.

‘’Il est temps qu’il siffle la fin de la récréation’’

S’étant montré ferme sur l’impossibilité d’une accession à l’indépendance de la Casamance, le président de la République a pourtant entamé un dialogue avec le MFDC. Il a également mis en place un certain nombre de programmes tendant à corriger les iniquités régionales et territoriales. Lors de son premier mandat, aucun accrochage majeur entre l’armée et le MFDC n’a eu lieu, en sept ans. Ainsi, que pourrait-il gagner dans un regain de tensions ? Une question que se pose Bacary Domingo Mané pour qui, le jeu des discours de scission n’en vaut pas la chandelle.

De ce fait, il estime que ‘’Macky Sall a eu la chance d’arriver au pouvoir à un moment où l'on vivait une lassitude dans la longévité du conflit casamançais. On peut le féliciter pour ce qu’il a fait, afin d’installer une paix durable. Raison pour laquelle il ne doit pas accepter que ses partisans jouent avec ce sujet sensible pour défendre son régime. Rien ne vaut l’unité de ce pays. Le président ne doit encourager aucune initiative allant dans le sens de diviser les Sénégalais. Il est temps qu’il siffle la fin de la récréation. Si seulement, il n’est pas derrière tout cela, bien sûr’’.

Depuis mars dernier, la donne a changé en Casamance. L’armée sénégalaise mène une offensive contre les bases rebelles, contre les trafics illicites. Est-ce une coïncidence qu’au même moment, les discours politiques au sein de la majorité au pouvoir indexent un opposant politique auquel la région naturelle s’identifie ? Si une chose est sûre pour l’analyste politique, c’est que le débat politique doit porter sur la faisabilité ou non des propositions des différents acteurs.

Lamine Diouf

 

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