Publié le 24 Jul 2019 - 05:47
DR SERIGNE FALILOU SAMB, MEMBRE DU CONSEIL DE L’ORDRE DES MEDECINS

‘’Notre médecine date des âges farouches’’

 

Depuis plusieurs jours, les gens se demandent pourquoi les citoyens sénégalais préfèrent se traiter à l’extérieur. Dans cet entretien, le gynécologue docteur Serigne Fallou Samb, par ailleurs membre du Conseil national de l’Ordre des médecins, explique cette situation par un système de santé défaillant, à cause de la médiocrité institutionnalisée.

 

Est-ce que le Sénégal a un bon système de santé ?

Le système de santé sénégalais est défaillant.  Par système de santé, on entend le regroupement de l’ensemble des organisations, des institutions, des ressources financières, matérielles et humaines dont l’objectif principal est d’améliorer la situation de la santé.

Au Sénégal, en dehors de tout risque de se tromper, aucun des éléments de l’ensemble ne fonctionne bien. Les institutions et organisations, eu égard à leur mission, se révèlent inefficientes ou n’existent pas tout simplement. Les ressources mises à la disposition des institutions publiques œuvrant dans le domaine, par exemple, sont largement insuffisantes et mal gérées. Le personnel est, dans la plupart des cas, irresponsable, mal formé ou n'a pas accès à des formations pointues. On assiste à une alphabétisation supérieure de masse médicale dans nos facultés, une médecine dépassée, stérile. On est resté dans une médecine affirmative, de bricolage. La médecine moderne est une médecine des évidences, argumentée par des investigations cliniques, biologiques et radiologiques. La médecine moderne est une médecine de l'intelligence artificielle, elle n'est plus hospitalière, mais une médecine ambulatoire où le malade est au centre du dispositif. On parle de souveraineté médicale. Le système est défaillant, à cause de la médiocrité institutionnalisée.

Pourtant, il y a beaucoup de gradés dans le système. Qu’est-ce qui ne marche pas ?

L'essentiel de cette médecine n'est pas les titres, les grades des soignants. Son objectif est la satisfaction des malades. Elle n'est plus une médecine de spécialisation, mais un pôle de santé, parce que, l'essentiel des maladies modernes sont transversales et donc nécessitent l'intervention de plusieurs spécialistes. Cette médecine des ‘’patrons’’ que nous subissons dans ce pays est désuète et doit être remise en cause. Le patron, c'est le patient. Une patientèle satisfaite est le seul baromètre de la performance d'un système sanitaire efficace. Cette défaillance est volontaire et bien organisée par la caste des chefs qui déréglemente et organise tout à son image.

Ainsi, ils ont créé un système de larbinisme, d'asservissement où les jeunes médecins les plus compétents, le plus souvent, sont écartés. Ils vampirisent ainsi le système à leur seul profit et au détriment de la médecine. Ils n’enseignent plus, ne font plus de recherches fondamentales. La seule recherche qui vaille est la quête de l'argent dans les cliniques privées où ils établissent leur Qg, en violation totale de la déontologie médicale et des lois qui régissent la médecine.  Aujourd’hui, plus de 40 % de la population n’a pas accès aux services sanitaires de base. Les professionnels de santé sont en nombre insuffisant et la grande majorité dépassée par la science. Selon l’Oms, il faudrait au moins 25 professionnels de santé pour 10 000 habitants. Dans le cas du Sénégal, on est très loin de ce ratio. En dépit de tout, des conditions ne sont pas créées pour absorber les jeunes professionnels (médecins, infirmières et autres) formés dans le pays et ailleurs avec le support du contribuable.

Selon vous, qu’est-ce qui explique le fait que les gens préfèrent se traiter à l’extérieur ?

Nos équipements sont d'une autre époque et souvent plus âgés que les jeunes médecins qui les utilisent. Le parc est vieux. On préfère une politique de bricolage et très ostentatoire, une médecine des gyrophares très incertaine. Les évacuations n'ont jamais été une alternative, juste une fausse solution à un sérieux problème. L'évacuation sanitaire, c'est trois définitions : incompétence (humaine ou matérielle) du médecin évacuateur ; danger et risque non calculés pour le malade évacué ; il y a également l’incertitude et le risque de défaut de prise en charge du médecin receveur.

Les évacuations médicales (intra ou extra muros) n'ont jamais été une solution, la logistique déployée est plus coûteuse que les soins. L’aberration de ce système, c'est de garer une ambulance de plusieurs dizaines de millions devant une unité de santé qui est dans un marasme très inquiétant, aussi bien au plan matériel qu'humain. Notre médecine date des âges farouches de ‘’Boubacar’’ et de ‘’33’’. Il est impératif de définir une politique d'équipement de nos structures, de redéfinir la cartographie sanitaire en travaillant sur de grands pôles, des axes médicaux régionaux pour mieux optimiser nos maigres ressources. Ces pôles et axes auront pour objectif de sédentariser les malades dans leur région naturelle, quelle que soit la nature de leur maladie. La médecine est une obligation de moyens. La défaillance du système de santé est structurelle. La récurrence des évènements malheureux qui caractérisent ce secteur pourtant important et sensible s’explique justement pas le caractère structurel du problème.

Mais depuis plusieurs années, la situation de la santé publique défraie la chronique. Pratiquement, tous les personnels de santé prêtant leurs services dans des hôpitaux publics du pays sont en grève. Sous le regard des médecins, des femmes enceintes et enfants sont morts, parce que leur prise en charge a été refusée ou négligée. Sans doute, en silence, les grèves continuent de compter des victimes. À cette situation inacceptable, aucune issue n’est encore trouvée. Et la crise perdure. Le pays continue de faire l’économie de la santé. Les conséquences d’un système de santé défaillant sont énormes et doivent être inestimables. En plus des conséquences sociales et humaines qui, sans doute, sont les plus importantes, la défaillance du système sanitaire d’un pays doit aussi influer sur l’économie du pays. Il est inconcevable qu’un pays comme le Sénégal, étant dans un besoin urgent de croissance et de développement économiques, n’accorde pas d’importance au secteur sanitaire.

Donc, vous pensez que c’est un problème de confiance qui se pose ?

Vous s’avez, parmi les activités économiques les plus susceptibles de subir les conséquences de la situation critique du système de santé, il y a le tourisme qu’il faut tout d’abord noter. Il est démontré, à travers le monde, que le tourisme est d’une importance capitale pour des économies. Un touriste est certes à la recherche d’aventure, mais pas d’aventure risquée. Un pays où les hôpitaux publics sont à l'agonie envoie sans doute un mauvais signal aux touristes. Dans la mesure où le système de santé est l’un des éléments infrastructurels importants au développement du tourisme. Il va sans dire que la situation qui prévaut dans les hôpitaux publics devrait affecter, d’une façon ou d’une autre, l’arrivée des touristes dans le pays. Il en résultera donc de sérieux manque à gagner pour ce pays en panne de ressources.

En plus de cela, les investissements directs étrangers (Ide) jouent un rôle majeur dans le développement des pays. Le Sénégal a intérêt à articuler des politiques visant leur interaction. C’est d’ailleurs en ce sens que le pays est déclaré ‘’open for business’’. Investir dans un pays étranger, c’est prendre des risques importants ; ce qui est normal pour un entrepreneur, sa vie est ponctuée de risques économiques majeurs en général. Mais dans un contexte où la santé n’est pas garantie, le risque est devenu plus grand. Il ne se rapporte pas seulement aux investissements cette fois, mais à la vie même des entrepreneurs et des cadres étrangers.

S’agissant des cadres étrangers, normalement, leurs primes de risque doivent être assez importantes. Ce qui pourrait constituer des coûts additionnels susceptibles de décourager les potentiels investisseurs, si cette crise perdure. D’un autre côté, le secteur sanitaire n’inspire pas confiance aux Sénégalais eux-mêmes. Par exemple, aujourd’hui, les éléments de la classe moyenne ne se font pas soigner dans le pays. Les femmes enceintes de cette classe enfantent à l’étranger, notamment en France, aux Usa, au Maroc.  Les autorités politiques se font aussi soigner ailleurs. Alors que les revenus proviennent du pays, les dépenses relatives à la santé se font ailleurs. Ce qui favorise des fuites de capitaux importantes.

Le déficit de spécialistes est souvent décrié. Qu’est-ce qui bloque réellement ?

Les jeunes n'ont plus accès facilement à la spécialisation. La faute à un système de mandarinat entretenu par cette caste de professeurs agrégés qui refuse presque systématiquement la spécialisation aux jeunes médecins, sans aucun argument et donne les places à des médecins étrangers (pour des raisons bien connues). Aujourd’hui, la spécialisation est devenue une grande nébuleuse. Le président de la République, le ministre de la Santé, les recteurs et les doyens des facultés sont directement interpellés. Sur quelles bases les recrutements des étudiants en spécialisation se font ? Pourquoi et de quel droit certains disent ouvertement qu'ils ne veulent pas de Sénégalais dans leurs spécialités ? Ces professeurs, tous issus pour la plupart de familles très modestes, ont vite oublié qu'ils n'ont pas plus de mérite que ces braves jeunes médecins ; leur seule chance est de tomber sur un système pédagogique responsable et équitable devant l'effort et surtout d'avoir cette chance d’apprendre avec le franc symbolique. Si on leur demandait 500 000F Cfa pour leur inscription, chaque année, beaucoup d'entre eux auraient sûrement abandonné.

Aujourd'hui, nos hôpitaux sont tenus la nuit et les week-ends par des étrangers, sans empathie, ni respect pour nos concitoyens. Si vous parlez juste nos langues nationales, allez-y avec un interprète. J’interpelle les autorités à se pencher sur ce gros problème des, sinon, dans quelques années, c'est nous qui allons apprendre la médecine chez nos voisins. Cette caste de mandarins est en train de poser des actes de sabotage, d’égoïsme très graves qui sont en train de remettre en cause tous nos acquis. L'Etat doit prendre toutes ses responsabilités par rapport à cette situation préoccupante. Les politiques de santé reviennent à l'Etat qui doit les définir et les assumer. Il est très urgent, aujourd'hui, qu’une commission des spécialisations médicales soit créée et cogérée par les recteurs et le ministère de la Santé.

Quelle est la part de responsabilité des autorités qui ont en charge la politique publique de santé ?

Elles sont responsables de tout. Parce que, pour résoudre structurellement le problème, il faut commencer par articuler de sérieuses politiques publiques de santé. Ce qui n’est pas le cas. Elles n’investissent pas dans le système de santé. Ce qui fait que les gens partent ailleurs. Parce que, quand on est malade, on veut être en sécurité et celle-ci n’est pas garantie par nos autorités. Il est aussi important de signaler que le fonctionnement du système de santé donne lieu à un marché. Parmi les acteurs opérant sur ce marché, il y a notamment le secteur public lui-même. Les contrats passés par l’État, dépenses publiques sont les plus importants dans l’économie. L’État est le plus grand acheteur. Quand les hôpitaux publics ne fonctionnent pas, les commandes de l’État auprès de l’industrie pharmaceutique et d'autres consommables  doivent nécessairement être affectées. Autrement dit, l’industrie pharmaceutique, dans une certaine mesure, doit subir les conséquences de la crise. Tout le personnel de cette industrie potentiellement.

De plus, l’espérance de vie à la naissance est un indicateur de développement. Elle est d’ailleurs une composante de l’indice de développement humain (Idh). Elle est, sans conteste, liée à la situation du système de santé. Un système de santé structurellement défaillant, à long terme, devrait sans doute limiter davantage l’espérance de vie à la naissance. Le niveau déjà bas du développement humain, dans le cas d’une persistance de la crise de santé publique, devrait baisser. Somme toute, les conséquences humaines et sociales mises à part, un système de santé solide, efficace et efficient est fondamental pour la bonne santé économique d’un pays. De plus, aux Nations Unies, 193 pays ont, à travers l’Objectif de développement durable 3 (Odd 3) pris l’engagement de garantir la bonne santé et promouvoir le bien-être de tous, à tous les âges, d’ici à 2030. Il est clair que le pays n’est pas sur la bonne voie.

VIVIANE DIATTA

 

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