Publié le 16 Nov 2021 - 03:03
DR SOYIBOU NDAO (DIRECTEUR DES RISQUES ET DE L’INTERMEDIATION ADEPME)

‘’Bon nombre de nos entreprises tiennent une comptabilité basique’’

 

Afin de mieux accompagner les petites et moyennes entreprises (PME) et de leur permettre d’accéder facilement au financement et d’être suivies après avoir bénéficié de crédit, l’Agence de développement et d’encadrement des petites et moyennes entreprises (Adepme) a développé un certain nombre d’outils parmi lesquels l’Unité de scoring et de labellisation. Dans une interview accordée à ‘’EnQuête’’, le directeur des Risques et de l’Intermédiation, responsable du Système management intégré, qualité et sécurité de l’information de l’Agence, Dr Soyibou Ndao, revient sur le rôle de cet outil, mais aussi sur les défis d’accès au crédit des PME d’une manière générale.

 

C’est quoi, concrètement, l’Unité de scoring et de labellisation et quel est son rôle dans l’accompagnement des PME ?

Le rôle de l’Unité de scoring et de labellisation, c’est d’aider l’agence de manière générale à faire le profilage des petites et moyennes entreprises (PME). Dans la nouvelle stratégie d’intervention de l’Agence de développement et d’encadrement des PME (Adepme) l’enjeu, c’est d’apporter à chaque PME un accompagnement qui soit adapté à son profil et à son besoin. Si on veut que l’accompagnement soit adapté au profil, il faut être capable de profiler. Par la même occasion, quand on voit la plupart des acteurs qui interviennent dans le monde de la Pme, ils ont une difficulté majeure, c’est celle de savoir quel est le réel profil des PME. Si on a une banque, elle dit qu’elle a envie de financer, mais elle ne sait pas qui financer. Il y a une vraie question de l’asymétrie de l’information. Ce qui fait que la banque n’a pas l’information qui lui permet de décider. C’est pareil aussi dans les marchés. N’importe quel donneur d’ordre, qu’il soit public ou privé, sa difficulté fondamentale c’est à qui il peut faire confiance pour l’exécution de son marché. Le rôle de l’Unité de scoring et de labellisation, c’est d’offrir à tous ces acteurs l’information sur le bon profil de la PME. Nous avons développé des outils qui sont très performants.

Nous avons, aujourd’hui, la première plateforme de notation financière dans la sous-région qui est dédiée aux PME et c’est cette plateforme que nous utilisons pour profiler la PME et donner à tous ces acteurs un bon indicateur sur le profilage de la PME et sur ce qu’on peut lui offrir pour l’accompagnement, s’il s’agit de l’Adepme. Mais s’il s’agit des autres acteurs, est-ce que cette entreprise est capable de faire face à ses engagements ? C’est cela le rôle de l’unité. Il s’agit de travailler de manière globale à ce profilage des PME et d’offrir à ces acteurs un système de suivi post-contrat ou post-financement.

Dans les institutions financières, le défi, ce n’est pas seulement de financer ou de savoir qui financer. Le défi, c’est aussi comment s’assurer que l’entreprise qu’on a financée soit capable de faire face à ses engagements. Dans la théorie, on dit qu’il y a un problème de sélection. Le rating permet de prendre en charge cette problématique de la sélection. Il y a aussi une autre problématique de l’aléa moral. C’est-à-dire est-ce que l’entreprise va respecter ses engagements ?

Donc, le principe de l’Unité de scoring et de labellisation, c’est d’offrir de l’information pour faciliter la sélection des entreprises, mais aussi d’offrir un accompagnement pour faciliter le suivi et s’assurer que les engagements pris par les entreprises soient respectés au mieux.

Comment se fait ce travail de profilage des entreprises ?

Nous avons battu une plateforme de notation appelée e-rating qui est une plateforme de notation qui va s’appuyer sur des démarches totalement intégrées qui vont associer de l’analyse qualitative, qualitative. Nous faisons sur la plateforme et de façon quasi automatisée, de l’analyse financière suivant les meilleurs standards d’analyse scoring qu’ils soient. Dans l’e-rating, il est intégré l’outil de scoring des PME et aussi de l’analyse quantitative. Nous considérons que quand on parle de la PME, on peut difficilement l’appréhender seulement sous l’angle financier. Quand on prend les états financiers de deux PME, même si les chiffres d’affaires sont les mêmes, le résultat est le même, on a deux réalités qui sont totalement différentes. Donc, le défi de l’information qualitative de la PME, c’est extrêmement important. C’est pour cela que dans l’e-rating, nous avons intégré un instrument d’analyse qualitative qui va regarder la qualité de l’organisation et le risque qui est associé à l’organisation de l’entreprise, mais qui va également regarder la qualité du management et le risque qui est associé au manager de l’entreprise. C’est tout cela qui est mis ensemble, entre l’analyse financière scoring et l’analyse qualitative pour donner une vue qui soit la plus objective possible sur le profil de la PME.

Qu’en est-il des PME qui sont dans l’informel ?

Les PME, c’est 99,8 % des unités économiques localisées. C’est ce qui ressort du recensement général des entreprises qui a été réalisé par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD). Dans ce lot, il y a 97 % qui sont qualifiées d’informel. C’est un élément fondamental. Quand on a 97 % de sa population qui ne produit pas l’information dont on a besoin, c’est problématique. L’Adepme s’est engagée dans une démarche de formalisation massive des entreprises, en relation avec les autres acteurs, en relation avec le ministère de l’Artisanat et du secteur informel. L’Adepme a développé aujourd’hui des outils qu’elle va déployer dans un horizon très proche, pour aider les entreprises à digitaliser leur comptabilité. Quand on parle d’informel, les gens parlent beaucoup de questions fiscales. Mais l’autre défi, c’est celui de l’accès au service de comptabilité.

Nous avons bon nombre de nos entreprises qui tiennent une comptabilité, mais qui est basique, avec un cahier de recettes-dépenses qui correspond, en réalité, à un format qui est accepté. Mais juste que ce format tel qu’il sort ou qu’il est utilisé, ne permet pas à ces entreprises de produire, à la fin, des états financiers conformes au système. Ce que nous voulons faire, c’est, en ne perturbant pas les habitudes de nos entreprises qui sont dans l’informel, de les aider à standardiser l’information, à faire exactement la même chose, mais que cela leur permette, in fine, de produire l’information.  Et donc, de cette manière, on les accompagne de manière progressive à la formalisation. Nous mettons le défi de la formalisation sous l’angle du défi de la production de l’information. La question fiscale est certes importante, mais l’Administration fiscale est en train de faire un travail pour sensibiliser les entreprises, les enrôler et vraiment les assurer par rapport à sa démarche.

Mais notre rôle à nous, c’est de faire en sorte qu’une entreprise qui a envie de se formaliser puisse le faire dans les meilleures conditions avec le coût le plus faible, sinon qui soit quasi inexistant. Nous avons mis en place des outils et l’enjeu, c’est ce que le déploiement de ces outils permet déjà aux chefs d’entreprise d’être formels pour eux-mêmes. Ils sauront piloter leur entreprise. Ils sauront quels sont les points de performance, les points de charge, qu’est-ce qu’il faut améliorer, etc. C’est cela le défi que nous nous sommes lancé pour la période 2022.

Est-ce que les entreprises du monde rural sont bien prises en compte dans ce processus, parce qu’en général, elles se sentent laissées à elles-mêmes ?

C’est vrai. Nous ne sommes pas dans toutes les localités. Mais, aujourd’hui, nous venons de boucler notre deuxième concours de business plan qui a consacré 145 chefs d’entreprise. Toutes les régions sans exception y sont représentées. C’est la première chose. La deuxième, qui est importante, c’est que le premier du concours c’est une entreprise qui est de Sédhiou. Le concours a été fait de manière complètement digitale. Tout le processus a été digitalisé. C’était déjà pour garantir à tout le monde qu’il n’y avait pas de parti-pris. Mieux, à la fin du processus, nous avons conduit des entretiens en ligne et quand nous avons fait ces entretiens, il n’y a eu absolument aucune difficulté pour les entreprises, quelle que soit leur localité, à se connecter. Nous nous sommes appuyés sur les chambres de commerce. Nous avons fait de l’accessibilité de nos services un crédo, mais en considérant qu’il y avait deux leviers qui étaient mobilisables immédiatement et sur lesquels il fallait qu’on travaille. Il s’agissait d’associer les chambres de commerce dans nos actions. Elles sont aujourd’hui un relais de l’Adepme. Nous avons conclu des conventions avec les 14 chambres de commerce du pays.

L’autre levier, c’est le digital. Quand on digitalise, on facilite l’accès à ses services et c’est un élément sur lequel nous avons énormément travaillé. Le concours nous prouve aujourd’hui que le digital est un élément qui est utilisable. Parce que quand on voit l’utilisation de tous les services de mobile banking, à travers les applications, on voit que quelle que soit la localisation de l’entreprise, elle peut utiliser ces services, si elles sont disponibles sur le digital. Ce sont deux axes majeurs sur lesquels nous travaillons et nous pensons que cela nous permet d’atteindre cette cible.

Donc, le partenariat est un élément fondamental et le digital nous permet d’atteindre les cibles, quelle que soit leur localisation.

Aujourd’hui, quel est l’enjeu, pour les différentes structures d’encadrement et d’accompagnement des entreprises, de travailler en synergie ?

L’urgence, c’est l’optimisation des dépenses publiques. Pour ce qui nous concerne, ce qu’on maitrise au niveau de l’Adepme, c’est le fait de pouvoir inviter toutes les structures à collaborer pour mettre en synergie nos actions. Nous avons tous une parcelle de mission qui couvre une parcelle de besoins des entreprises. L’enjeu, c’est de faire en sorte que mises côte à côte, ces activités que nous déroulons tous ensemble puissent atteindre le même objectif. Qu’il n’y ait pas de doublons. Un des instruments clés pour y parvenir reste le digital. En 2017, nous avions invité l’ensemble du dispositif à nous retrouver pour discuter, pour mettre en place le Réseau Sénégal PME, qui regroupe tous les acteurs qui interviennent au niveau de la PME. Ensembles, nous avions réfléchi et nous avions dit qu’il y avait un programme sur lequel nous pouvions travailler et l’appeler le ‘’Programme impact’’.

Dans ce programme, il y a une ligne qui est extrêmement importante et c’est la digitalisation de nos services qui pourra plus rapidement nous faciliter l’intégration de nos services, activités et surtout de renforcer les synergies. Ce projet de digitalisation porte le nom de Système intégré de gestion de l’information sur la PME (Sygi-PME). C’est un système qui est articulé autour de la PME. L’ensemble des acteurs peuvent y interagir et cela permet à tous d’avoir plus de visibilité sur ce que fait la PME, ce qu’on fait pour elle et, in fine, de faciliter à tous une action qui soit la plus pertinente pour la PME sans qu’il n’y ait de déperdition de ressources. Nous sommes dans ce processus. L’étude de faisabilité est en cours et certaines idées par anticipation ont commencé à être développées. L’enjeu, c’est qu’en 2022, que nous pussions commencer à opérationnaliser cette plateforme qui permettra d’intégrer les systèmes d’information de l’ensemble du dispositif et tout cela, au service exclusif de la PME.

Quels sont les défis à relever pour l’Adepme, après les deux certifications qui ont été décernées à l’agence vendredi dernier ?

Le premier défi, c’est celui du maintien. Parce que quand on engage un processus, on se donne les moyens de mettre tout le processus en ordre et de s’assurer qu’il puisse être maintenu. Nous sommes obligés de le faire parce que, déjà, chaque année, les auditeurs doivent passer. Nous sommes obligés de maintenir les acquis. Mais, deuxième aspect, c’est le défi de l’élargissement aux autres activités de l’agence. Nous avons un dispositif de facilitation de l’accès aux PME aux services non-financiers. Le défi, c’est aussi que ces activités de même que les autres que nous avons en interne puissent suivre le même processus pour qu’au final, l’agence soit totalement couverte du point de vue de ces référentiels.

Quand on met en place ce type de processus, on ne peut se cloisonner. On touche forcément aux autres activités. Mais l’enjeu, c’est de fonctionner de manière beaucoup plus officielle en faisant certifier ces autres départements de l’agence. Le dernier, c’est de nous assurer que ces outils qui ont fait l’objet de certification puissent passer à l’échelle. Toutes les PME du Sénégal doivent être scorées, profilées. Si on y arrive, on se donne les moyens d’avoir un meilleur pilotage.

MARIAMA DIEME

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