Entre le bâton et la carotte
Président de la coalition Benno Bokk Yaakaar, Macky Sall sait bien manier le bâton et la carotte, quand il s’agit de doper ses troupes pour aller à des élections. Menaçant les rebelles qui prennent le risque de constituer des listes parallèles, le chef de l’Etat, en disciple de Wade, a tendance à gracier tout dissident qui parvient à démontrer sa force sur le plan électoral. Les défaites, par contre, se payent cash, quelles que soient les compétences du vaincu.
Rien n’est figé en politique. Disciple de Maitre Abdoulaye Wade, Macky Sall est réputé être un fin tacticien. A chaque élection, il a une doctrine propre pour mettre tous les atouts du côté de son camp. Pour les élections locales à venir, il a révélé, à Kaffrine, un pan de sa nouvelle stratégie. A ses militants du Ndoukoumane, il ordonne : ‘’Il ne faut pas vous quereller pour des postes, si vous croyez en moi. Ce qui est important, ce n’est pas qui sera maire ou président du Conseil départemental. Ce n’est pas important pour le Sénégal. L’essentiel est de m’écouter, le moment venu, pour que je vous indique le chemin à prendre…’’.
Se faisant on ne peut plus clair, le président de la République a lancé dans une allusion assez édifiante : ‘’Si nous sommes unis, je suis sûr que nous allons gagner à 100% les communes dans cette région. N’écoutez pas les visiteurs du soir qui vont essayer de vous monter contre votre parti ou votre coalition, en vous faisant croire qu’on ne vous respecte pas. Ce sont des gens qui sont persuadés qu’ils ne peuvent rien gagner et qui veulent juste vous utiliser pour espérer compter. Il faut leur dire de garder leurs récépissés. Nous, on ira sous la bannière de Benno Bokk Yaakaar. Aucun militant ne prendra une autre liste. Je tenais à le dire….’’
‘’Aucun militant ne prendra une autre liste’’
Telle est la nouvelle doctrine du président de la Conférence des leaders de Benno Bokk Yaakaar. Une doctrine qui ne date pas d’aujourd’hui et qui a évolué dans le temps. En effet, déjà lors des élections législatives de 2017, Macky Sall s’était fait très clair à ce sujet. Très vite, il avait clamé, afin que nul n’en ignore, qu’il ne tolérerait aucune liste dissidente et que l’Alliance pour la République s’engageait sous la bannière de Benno Bokk Yaakaar. C’était une légère évolution par rapport à la posture, lors des locales de 2014. A cette époque, la jeune formation avait surtout privilégié le pari audacieux de faire confiance à ses hommes.
Interpellé par RFI sur le foisonnement des listes y compris dans son propre parti, Macky Sall disait ceci : ‘’Je n’y vois pas de problème. Pour une fois, les citoyens se sont appropriés ces élections locales. Moi, j’ai laissé faire au sein de mon parti et ça a été un choix. Nous avons un jeune parti qui n’a que cinq ans, qui n’a jamais été structuré. C’est le moment, à travers ces élections locales, d’avoir des vraies primaires partout’’. Aussi, analysait-il, c’est ce qui a fait qu’il est arrivé que l’APR ait quatre listes dans une même localité, mais cela ne pourrait leur coûter grand-chose. ‘’Quel que soit le maire, il viendra de mon parti. Dans certaines localités, ça peut nous coûter de perdre une collectivité, mais cela n’est pas grave par rapport à ce qui me concerne, c’est-à-dire pour les futures élections présidentielles. Mais les élections locales, c’est avant tout une affaire locale et je ne m’en mêle pas. C’est une affaire des citoyens dans leur localité’’.
A l’arrivée, les listes parallèles ont été pour beaucoup dans la débâcle de la majorité, dans plusieurs localités du Sénégal. Le coaching n’a pas été gagnant pour la coalition présidentielle, victime du système majoritaire qui prévaut aux Locales. Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Le Président de Benno Bokk Yaakaar semble en avoir tiré toutes les conséquences. En 2017, il ne s’est pas limité à maudire les listes parallèles. Il avait promis de ne pardonner aucune défiance. Ceux qui ont passé outre cette directive l’avaient appris à leurs dépens. Il en était ainsi de certains responsables comme Ibrahima Abou Nguette de Podor, Maguette Ngom et de Ansoumana Danfa, respectivement directeur de la Construction, conseiller spécial et chargé de mission. Tout ce beau monde avait fait l’objet de sanctions directes. Sans possibilité de recours.
Les jurisprudences Aminata Touré, Ibrahima Abou Nguette, Moustapha Diop…
Toutefois, cette politique du bâton n’a jamais prévalu pour tout le monde. D’autres ont pu bénéficier de plus de souplesse. Le président de la République a dû, en effet, déployer l’artillerie lourde pour réconcilier ses lieutenants dans certaines zones stratégiques. Dans la majeure partie des cas, la mayonnaise avait bien pris. Certains dissidents se sont noyés dans les Législatives et n’ont jamais pu se relever jusque-là. D’autres, comme Nguette, en sont sortis victorieux, puisqu’ils sont devenus députés et ont rejoint la majorité avec les honneurs.
‘’Il a toujours son mouvement. Il est devenu le président de la Commission des affaires économiques créée spécialement pour lui. C’était le prix du ralliement’’, confie un membre de la majorité. Avant lui, d’autres comme Moustapha Diop, maire de Louga, avait tenté et réussi le même coup. A chaque fois, ce fut la récompense pour les rebelles qui ont prouvé à leur base.
Dans tous les cas, constituer une liste pour des élections locales ou législatives n’est jamais chose aisée pour la coalition au pouvoir. Pour les élections à venir, ce sera d’autant plus compliqué que la tête de liste va devenir directement maire. Si avant, tout conseiller pouvait déposer sa candidature, avec les réformes en vue, la tête de liste sera automatiquement élue maire ou président de conseil département. Il n’y aura donc plus ces tractations de nuit entre concurrents sur fond de corruption. Ainsi, ceux qui croient véritablement en leurs étoiles n’auront d’autres choix que de s’émanciper de la liste présidentielle, en cas de non investiture. Mais à leurs risques et périls !
Déjà, ils sont nombreux sur les starting-blocks. Rebelle dans l’âme, Ibrahima Abou Nguette n’a lui pas perdu du temps pour se positionner et aller à l’assaut de la commune de Mery, dirigé par son rival le directeur général de la SAED, parti pour être la tête de liste de BBY. Il n’est pas le seul ; Avec les investitures à venir, ils seront nombreux les responsables à prendre leur destin en main, surtout en cette veille de la Présidentielle de 2024. Mais là également, la jurisprudence Sall est suffisamment édifiante.
Les défaites électorales se paient cash
A l’Alliance pour la République, les défaites électorales se paient cash. L’exemple le plus éloquent en est le limogeage de l’ancien premier ministre Aminata Touré, en 2014, suite à son revers à Grand Yoff face au tout-puissant Khalifa Ababacar Sall, alors maire sortant de la capitale. Outre le PM, d’autres têtes d’affiche du régime avaient été emportés par le vent des locales. A Bambey, les ministres Mor Ngom et Pape Diouf, battus par Aida Mbodj, avaient perdu leurs postes et tant d’autres.
Et Macky Sall ne s’en cache pas. Plusieurs fois, il a eu à promettre la guillotine pour les responsables vaincus dans leurs localités. C’est aussi ça la doctrine Sall. A quelques exceptions près. N’en déplaise aux détracteurs qui estiment qu’un ministre ou directeur général doit être jugé sur la base des résultats de sa gestion, et non de ses performances électorales. C’est la conviction d’Amadou Tidiane Wane, ancien conseiller de Diouf, ancien coordonnateur de l’Association des maires du Sénégal. Il déclare : ‘’Je pense que ce sont des pratiques à bannir. Pour certains postes importants, on doit être très rigoureux dans le choix de leurs dirigeants. L’approche compétence doit prévaloir sur l’approche partisane. En notre temps, il y avait beaucoup de hauts responsables qui n’envisageaient pas du tout faire de la politique. Je peux vous citer le cas de Cheikh Cissokho. C’est moi qui l’ai finalement convaincu, en lui tordant presque le bras, parce qu’il est un ami depuis la CM2. On choisissait des hommes compétents et on les juge sur la base de leurs résultats’’.
Et d’ajouter : ‘’Le problème est que nos dirigeants actuels ont tendance à privilégier le copinage sur la compétence dans le choix même des hommes. Maintenant, s’il se rend compte que celui-là, en plus de ne pas avoir les compétences, ne parvient pas à gagner des élections, il le sanctionne. Mais pour ceux qui ont des compétences, les sanctionner, parce qu’ils ont perdu des élections, ce n’est pas bien pour le pays. Il faut revoir cette manière de faire’’.
MOR AMAR