Publié le 26 Feb 2024 - 12:50
FACT-CHECKING

Non, Khalifa Ababacar Sall n’est pas français !

 

La double nationalité présumée du candidat Khalifa Ababacar Sall a alimenté la polémique, ces derniers temps. Les recherches faites par ‘’EnQuête’’ montrent que l’ancien maire de Dakar était effectivement titulaire de la nationalité française, mais l’a perdue depuis le 31 octobre 2015.

 

La question de la nationalité exclusive de certains candidats continue de défrayer la chronique. Après le coup de théâtre provoqué par les affaires Karim Wade et Rose Wardini, d'autres candidats sont accusés d'être dans la même situation. Parmi eux, figure l'ancien maire de Dakar Khalifa Ababacar Sall, investi par la coalition Khalifa Président.  

Le débat sur sa présumée double nationalité (il est accusé d’avoir la nationalité française en sus de celle sénégalaise) a été exacerbé par un article publié le jeudi 22 février 2024 par le journal ‘’DirectNews’’. À sa une, le quotidien sénégalais s'interroge en ces termes : ‘’Khalifa Sall est-il français ?’’ Dans l’article, à la page 3, après avoir fait état des allégations contre le candidat à la présidence de la République, l’auteur, qui répond aux initiales de MRD – les mêmes que le directeur de publication du journal Mademba Ramata Dia - justifie dans son chapeau : ‘’… En tout état de cause, l’homme détient le passeport et la carte d’identité française.’’

Plus loin, le journal mentionne les références des différentes pièces dont serait détenteur Khalifa Ababacar Sall. Seulement, les pièces qui ont été citées ont été délivrées en 2005 et ont expiré depuis 2015, d’après la même source. Le journaliste d’ajouter comme pour convaincre que le candidat est toujours détenteur de la nationalité française : "Nos recherches n’ont révélé aucun décret français attestant que Khalifa Sall a renoncé à sa nationalité. Étant né le 1er janvier 1956 à Louga avant l’indépendance, il ne pouvait pas prétendre à la nationalité française certainement, il a acquis cette nationalité à la suite de son mariage avec Gaëlle Samb dont la mère est française."

Des sources diplomatiques confirment à ‘’EnQuête’’ que Khalifa n’est plus français

Joint par téléphone, le directeur général du journal, Pape Diogaye Faye, est revenu sur les motivations de cet article. ‘’Ce qu’il (Khalifa Sall) devait faire pour couper court à ces rumeurs, c’est de brandir le décret relatif à sa perte de nationalité. Sinon, nous sommes obligés d’y revenir et de donner des preuves’’, indique le patron du journal qui estime que ‘’le procureur doit pouvoir s’autosaisir comme il l’a fait sur le cas Rose Wardini’’ pour éclairer la lanterne des Sénégalais. À la question de savoir s’ils ont des preuves, il rétorque : ‘’Quand on donne le numéro de la carte d’identité, quand on donne le numéro du passeport, ça veut tout dire…’’ (l’entretien a eu lieu le samedi avant la publication du décret sur les réseaux sociaux).

Mais qu'en est-il véritablement ? Khalifa Sall est-il effectivement titulaire de la nationalité française, comme le soutient ‘’DirectNews’’ ? Le concerné donnait sa version lors d’une sortie à Keur Massar, en fin de semaine dernière. ‘’Je tiens à préciser à l’endroit de l’opinion nationale et internationale que je suis exclusivement de nationalité sénégalaise’’, tranche-t-il, sans revenir sur les détails de son ancienne citoyenneté française. Rappelant qu’il fait partie des artisans du Code (électoral) consensuel de 1992 à l’origine de la réforme exigeant la nationalité exclusive pour les candidats à la Présidentielle, il ajoute : ‘’Si je n’étais pas dans les dispositions légales, jamais je ne me serais permis de déposer ma candidature.’’

Pour le directeur général de ‘’DirectNews’’, cette déclaration est insuffisante. Il aurait été plus simple pour Khalifa de produire le décret pour mettre un terme à ce débat, répond Diogoye Faye. ‘’S’il a les preuves, il n’a qu’à les brandir. Je pense que c’est léger comme réaction’’, a-t-il soutenu.   

‘’EnQuête’’ a pu accéder au décret justifiant que Khalifa Sall a été libéré de son allégeance à la République française

Pour en savoir davantage, ‘’EnQuête’’ a interpellé des sources diplomatiques françaises qui ont confirmé que Khalifa Sall n’est effectivement plus français depuis le 31 octobre 2015. Nos investigations ont permis d’avoir accès au décret du 29 octobre 2015 portant naturalisation, réintégration, mention d’enfants mineurs bénéficiant de l’effet collectif attaché à l’acquisition de la nationalité française par leurs parents, francisation des noms et prénoms, et libération de l’allégeance française. Lequel indique clairement que ‘’Sall Khalifa Ababacar’’ figure parmi les Français ‘’libérés de leur allégeance à l’égard de la France’’ à cette date. Ledit décret a été publié au ‘’Journal officiel’’ de la République française le 31 octobre 2015.

Au Sénégal, pour être candidat à l’élection présidentielle, la Constitution exige à son article 28 un certain nombre de conditions, dont la nationalité exclusive. ‘’Tout candidat à la présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques, être âgé de 35 ans au moins et de 75 ans au plus le jour du scrutin. Il doit savoir écrire, lire et parler couramment la langue officielle’’. Pour justifier qu’il est exclusivement sénégalais, il est fait obligation au candidat de faire une déclaration sur l’honneur.

Les résultats de notre enquêtent montrent ainsi que Khalifa Sall, né exclusivement sénégalais, avait effectivement acquis la nationalité française.

Toutefois, le décret du 29 octobre 2015 publié au ‘’JORF’’ du 31 octobre 2015, montre qu’il a effectivement perdu cette qualité depuis cette date.

Donc, contrairement à Karim Wade et Rose Wardini, il est exclusivement de nationalité sénégalaise au moment de déposer sa candidature auprès du Conseil constitutionnel.

À l’origine de la polémique

Le mardi 16 janvier  2024, à la suite de la publication de la liste provisoire des candidats par le Conseil constitutionnel, le candidat Thierno Alassane Sall, muni de ses preuves, a saisi la haute juridiction aux fins de contester l’éligibilité du candidat du Parti démocratique sénégalais, Karim Wade, en raison de sa binationalité sénégalaise et française. Ce dernier réfutait l’accusation en soutenant avoir renoncé à sa nationalité française.

Seulement, même s’il a entamé la procédure avant le dépôt de sa candidature, le décret actant sa renonciation n’a été pris qu’ultérieurement, alors même que le Conseil constitutionnel avait déjà publié la liste provisoire des candidats le 12 janvier. Les sages ont estimé que la déclaration sur l’honneur qu’il avait faite au mois de décembre était ‘’inexacte’’.

Selon la décision, la nationalité exclusive s’apprécie au moment du dépôt de la candidature et non ultérieurement.

Depuis, les accusations se sont multipliées. Plusieurs candidats, dont Khalifa Ababacar Sall et Rose Wardini, ont été cités parmi ceux détenant des nationalités étrangères, en particulier françaises. En ce qui concerne Rose Wardini, un extrait de son inscription sur les listes électorales françaises a été publié et la justice s’était même saisie de son cas. Gardée à vue puis libérée, la gynécologue candidate a fini par renoncer à sa candidature en raison de ces accusations.

Pour Khalifa Ababacar Sall, nos investigations montrent que même s’il a eu à acquérir la nationalité française, il a perdu ce statut depuis le 31 octobre 2015.

Il faut noter qu’au-delà de Khalifa Sall, Karim Wade et Rose Wardini, d’autres candidats, dont nous préférons taire le nom, faute de preuves, sont citées parmi les doubles ou binationaux. Face à la presse jeudi dernier, le président Sall s’est d’ailleurs prononcé sur la question. ‘’C’est un débat qui est agité. Si c’était du ressort du gouvernement, on aurait pu prendre des dispositions pour vérifier. Mais c’est du ressort du Conseil constitutionnel. Mais moi je pense que ceux qui sont dans cette situation, s’il en existe encore, doivent eux-mêmes se retirer pour nous éviter d’autres problèmes à l’avenir’’, plaide le chef de l’État.

À la fin de la présente échéance, Macky Sall estime qu’il faudrait peut-être réexaminer les dispositions constitutionnelles et législatives, pour faciliter leur application. ‘’Au lieu de l’engagement sur l’honneur par exemple, il faut peut-être d’autres justificatifs. Nous devons aussi prévoir des sanctions. Par exemple, même si vous êtes élu et qu’on découvre que vous avez d’autres nationalités, vous devez être déchu. Mais c’est un autre débat sur lequel on peut se pencher à l’avenir’’.

Cet article est produit par l’Alliance des vérificateurs de faits pour l’élection présidentielle sénégalaise de 2024 (SaytuSEN2024), un groupe de vérificateurs de faits, de médias et d'organisations de la société civile qui luttent contre la désinformation concernant les élections. Vous pourrez suivre les activités du groupe sur nos différentes plateformes de même que sur le site enqueteplus.com et ses différents supports dans £les réseaux sociaux.

MOR AMAR

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