Publié le 20 May 2016 - 00:00
ILE A MORPHIL

Démette étouffe et réclame ‘’ses’’ 300 milliards F Cfa

 

Démette, dans l’île à Morphil, regorge de terres fertiles. La zone peut même être le grenier du Sénégal, du fait qu’elle est entourée d’eau rendant la culture du riz possible. Toutefois, elle se morfond dans une pauvreté extrême, à cause de l’enclavement et de l’absence des infrastructures de base. Avec l’hivernage qui arrive, les populations s’apprêtent à vivre des mois d’isolement, en attendant les 300 milliards F Cfa prévus pour désenclaver la zone. Reportage.

 

Se rendre dans la commune de Démette, dans l’île à Morphil située dans le département de Podor, est un véritable parcours du combattant. Profitant de la 28e édition de la ziarra de l’érudit Thierno Lamine Alpha Djigo, EnQuête s’y est rendue, samedi dernier, bravant les pistes cahoteuses et la forte canicule, pour découvrir les misères de ces populations nichées dans cette île qui est l’une des zones les plus pauvres et les plus enclavées du pays. L’île, constituée par une bande de terre d’une superficie de 1 250 km², est coincée entre le fleuve Sénégal et son affluent le Doué. Elle a un relief généralement de bas-fonds, zones de prédilection des cultures du Walo et de contre-saison.

Elle s’étire sur une longueur d’environ 200 km et va de Doué situé à l’Ouest de Podor, à Wending (sous-préfecture de Saldé) à l’Est. L’île accueille actuellement plus de 90 000 habitants. La ziarra a été une occasion pour les habitants de tirer la sonnette d’alarme et de rappeler à Macky Sall l’urgence de tenir sa promesse : les travaux de désenclavement évalués à 300 milliards de nos francs. Démette est nichée au cœur de l'île à Morphil, donc entre le fleuve Sénégal et l'un de ses bras secondaires, non loin de la frontière avec la Mauritanie. La cuvette faisait partie de la communauté rurale de Dodel jusqu’en juin 2008, date à laquelle le village de Démette a été érigé en commune dont l’actuel maire est Abdoulaye Elimane Dia. Avec la construction des ponts de Ngouye, de Médina Ndiathbé et celui de Ndioum, les difficultés pour accéder à ces contrées de l’île dont la commune de Démette se sont amoindries. Il reste à relier les villages par des infrastructures routières, car ces communes sont très distantes.

De Saint-Louis, il faut à peu près rouler plus de 8 heures de temps pour arriver à Démette. Le chauffeur qui nous y amène propose de passer par Ndioum, d’enjamber le Ngalenka pour arriver à Alwar, village natal d’El hadj Oumar Foutiyou Tall. De cette ville sainte, cap sur la commune de Démette. Lorsqu’il faut emprunter une route sinueuse, parsemée de nids-de-poule, de crevasses et d’ornières à vous donner le tournis, le volubile chauffeur perd de sa faconde. Il lui faut toute sa concentration et sa science de la conduite pour éviter les gros trous. Mais, impossible de les éviter tous. ‘’En empruntant cet axe, nous avons réduit le temps de voyage. Si nous avions pris la route nationale pour aller à Médina Ndiathbé, on risquait de passer toute la journée, car, il y a deux bacs à prendre et l’attente est longue’’, explique le conducteur.

Sur ce tortueux chemin, se découpent parfois au loin des bergers qui conduisent leurs troupeaux. Des hameaux sont un à un avalés à une vitesse qu’on aimerait bien plus grande. Mais il faut composer avec les pistes argileuses et poussiéreuses et la présence des charrettes et autres moyens de transport de fortune qui eux aussi veulent rallier Démette. Plusieurs fois, le chauffeur se perd, du fait des nombreuses pistes dont les sillons sont laissés par les charrettes. Un motocycliste, un berger ou un habitant nous montrent le chemin : « Vous voulez aller à Démette, prenez cette piste, vous y serez ». Le soleil darde ses rayons sur le véhicule, avec une canicule qui avoisine les 45 degrés. Derrière nous, une longue traînée de poussière.

‘’300 milliards mobilisés pour le désenclavement’’

En effet, il faut dire que les efforts et les moyens mis en œuvre pour désenclaver les dizaines de villages s’avèrent insuffisants. Aujourd’hui, les populations continuent de souffrir du manque de routes secondaires qui leur permettraient de se rendre dans les villages et hameaux de l’intérieur. D’ailleurs, avec l’hivernage, les eaux du fleuve débordent et envahissent les bretelles qui relient certaines bourgades du reste de l’Île à Morphil. Donc à Démette, comme partout ailleurs, l’enclavement constitue un écueil pour tout développement. Profitant de la ziarra annuelle, les populations ont jugé nécessaire d’interpeller le chef de l’Etat sur le démarrage des travaux de désenclavement. El hadj Oumar Sow, conseiller municipal, Président de la commission Finances et membre de la commission communication de la ziarra, alerte les autorités sur la saison des pluies qui arrive à grands pas et qui ‘’coupe l’île à Morphil du reste du monde’’. Il souhaite le démarrage immédiat des travaux, car, à l’en croire, la somme des 300 milliards a été bien mobilisée et les structures qui doivent faire le travail sont identifiées. Selon lui, tous les secteurs sont bloqués.

En période d’hivernage, révèle-t-il, les populations s’approvisionnent en Mauritanie et se soignent là-bas. La solution, à en croire El hadj Oumar Sow, est la construction de pistes de production. « Ici, il n’y a pas de postes de santé, pas d’éclairage public », peste-t-il. Même si  l’espoir demeure avec les actions du maire Abdoulaye Elimane Dia. « Il a mis en place une mutuelle de crédit de 10 millions de nos francs, une radio communautaire, entre autres projets de lutte contre la pauvreté et l’oisiveté. Le conseil envisage avec l’édile un grand projet de centre médical », confie-t-il. En écho à ces propos teintés d’optimisme, le Président du conseil départemental, Mamadou Dia, annonce que la pose de la première pierre de la route de désenclavement de ces localités aura bientôt lieu. « Toutes les dispositions sont prises par l’Etat », assure-t-il.

A Démette a vécu un cadi du nom de Lamine Alpha Djigo qui est mort à l’âge de 102 ans. Le saint homme avait vu le jour en 1900. « Le sage », comme on l’appelle, était respecté de tous. C’est qui réglait les conflits et différends entre populations, en se basant sur les préceptes de l’Islam et la Sunna du Prophète Mahomet (PSL). Aujourd’hui sa mission est perpétuée par son fils, le marabout Thierno  Lamine Djigo.

FARA SYLLA (SAINT-LOUIS)

 

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