Des procédures au Pavillon spécial
Etat de santé fragile et vices de procédure de la partie civile. En exploitant ces deux points au maximum, les avocats de Bibo Bourgi ont tenté d’extraire leur client des griffes de Dame justice. Depuis hier, Bibo est devenu ‘pensionnaire’ du Pavillon spécial de l’hôpital Le Dantec. Et depuis 2013, le pool d’avocats qui constitue la défense du coaccusé de Karim Wade a tout tenté pour éviter cet état de fait. En vain.
Bibo Bourgi en costume sombre, chemise claire, la tête baissée révélant sa chevelure grisonnante. En ce lundi 23 mars 2015, les photographes s’en donnent à cœur joie pour mitrailler cet homme de l’ombre et actualiser une mine dont la même illustration, jaunie, jusqu’ici revenait sans cesse dans les journaux. Plus tard, en cette matinée historique, le coprévenu de Karim Wade dans un procès pour enrichissement illicite et corruption écouta avec sérénité la sentence tomber de la bouche du juge Henri Grégoire Diop : 5 ans de prison, 138 milliards d’amende, la confiscation de tous ses biens présents et des dommages et intérêts de 10 milliards à payer solidairement à l’Etat du Sénégal, avec tous les autres condamnés.
Plus d’un an après, Ibrahim Aboukhalil dit Bibo rejoint le fils de l’ancien président en prison pour y purger sa peine. Ses avocats ont pourtant tout fait pour lui éviter les rigueurs carcérales. En commençant par mettre l’accent sur sa santé fragile. Que ce soit Me Leyti Ndiaye ou son autre avocat Me Baboucar Cissé, la tonalité est la même. Sa détention est incompatible avec la prison. Malgré une liberté provisoire obtenue le 18 juin 2013, qui lui a permis de comparaître libre, sa santé n'en est pas moins précaire. D’ailleurs, en plein procès, Bibo a pu bénéficier d’un ‘répit’ pour aller se soigner en France.
Le 30 septembre 2014, la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) l’a autorisé, pour 30 jours, à aller se soigner en France. Ceci après une comparution sans précédent...sur une civière, le 1er septembre. ‘‘Avec sept sphincters dans le cœur’’, selon son avocat Me Pape Leyti Ndiaye, et ‘‘quatre rapports d’expertise qui déconseillent formellement une incarcération’’, le conseil ne comprend pas sa détention au pavillon spécial de l’hôpital Le Dantec. Pour les voies de recours, qui semblent se rétrécir au fur et à mesure, l’avocat espère ‘‘que la raison finira par l’emporter, car ils ne peuvent pas le garder en prison’’, déclare-t-il au bout du fil.
La CCJA, l’autre voie du salut
En dehors des exceptions de nullité, des violations des droits de la défense, de la violation de certains articles du Code de procédure pénale, d’autres actions ont été intentées par le pool d’avocats. Après le verdict de la Crei, les conseils de Bibo ne se sont pas avoués vaincus. Un pourvoi en cassation a été effectué devant la Cour suprême. En août 2015, c’est la stratégie ‘communautaire’ qui a été engagée par ses avocats. Jeudi 6 août de la même année, deux semaines avant l’arrêt de la Cour suprême, les conseils de Bibo Bourgi ont demandé à celle-ci de surseoir à l’examen des pourvois déposés par leur client et ses acolytes, en attendant la décision de la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) de l’OHADA (organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique). Mais ce fut peine perdue, puisqu’ils n’ont pas été suivis par les juges.
Or, expliquait Me Leyti Ndiaye, lors d’une conférence de presse, ‘‘la CCJA est une juridiction internationale qui a une valeur supérieure à la Constitution du Sénégal. Dès lors que la Cour suprême est informée de la saisine, elle doit surseoir à statuer’’. Le conseil de dire qu’en refusant de les suivre, la Cour suprême a fait un putsch, puisqu’elle a refusé de se conformer à des engagements internationaux ratifiés par le Sénégal.
Le 25 août, après la décision de la Cour suprême rejetant le pourvoi en cassation de leur client, les avocats de Bibo Bourgi avaient introduit un ‘‘rabat d’arrêt’’. Cette dernière cartouche a été épuisée, il y a moins d’un mois. Début mars, cette demande de rabat d’arrêt introduite par ses avocats a été jugée irrecevable par les différentes chambres de la Cour suprême. Mes Pape Leyti Ndiaye, Moïse Ndior et Mamadou Guèye ont estimé que la Chambre criminelle a eu tort de rejeter leur pourvoi, sans même recevoir la décision de la CCJA. L’ensemble des Chambres a été d’avis que le texte évoqué par les avocats n’est pas applicable en matière pénale, mais en matière civile seulement, dans le cadre d’une médiation pénale.
Assigné en expulsion : rendez-vous lundi
Ce n’est pas un scoop. L’Etat a confisqué tous les appartements de Bibo. Ce que confirme son avocat : ‘‘Il a été assigné en expulsion, l’affaire doit être jugée lundi prochain’’, déclare toujours Me Ndiaye au téléphone d’EnQuête. L’affaire dont il est question est celle d’Eden Rock. En septembre 2014 déjà, la Commission d’instruction de la Crei avait procédé à la saisie de trois appartements dudit projet. La procédure est toujours pendante et avant-hier, les avocats de Bibo ont demandé le sursis à statuer, arguant avoir saisi un tribunal arbitral. Celui-ci n’a pas encore tranché et a juste pris des mesures provisoires. Cette juridiction a invité l’Etat du Sénégal à surseoir à entreprendre toute action dans le sens de faire exécuter les décisions de la Crei. A défaut du sursis à statuer, les avocats demandent que l’Etat du Sénégal soit débouté.
En novembre 2015, une saisie-attribution de son compte bancaire logé à la Société générale de banque du Sénégal (Sgbs) et l’intégration de Aviation handling service (Ahs) au patrimoine de l’Etat avaient fini par mettre Bibo sur la corde raide. Le 7 novembre 2015, ses avocats Rasseck Bourgi et Yves Nouvel avaient saisi, pour le compte des compagnies Menzies Middle East and Africa et Aviation handling service (Ahs), le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi) de la Banque mondiale siégeant à Paris. La requête a été rejetée par le Centre. La saisine visait à déclarer illégale la saisie des entreprises, faire déclarer l’Etat sénégalais coupable et obtenir réparation.
Les conseils de l’homme d’affaires, ayant déjà introduit entre-temps un rabat d’arrêt devant la Cour suprême et un recours devant la CCJA, s’étaient alors offusqués de l’empressement de l’agent judiciaire de l’Etat à exécuter la sentence. Des ‘protestations’ apparemment clamées contre le vent. En décidant d’incarcérer Bibo Bourgi avant-hier, le procureur spécial près la Crei, Cheikh Tidiane Mara, martèle le dernier clou sur le cercueil d’un homme d’affaires jadis prospère.
OUSMANE LAYE DIOP