Une menace grandissante pour la sécurité du Sénégal
L’attaque djihadiste survenue dans la nuit du 19 janvier 2025, près de Kayes, à quelques kilomètres de la frontière sénégalaise, met en lumière une menace de plus en plus proche pour le Sénégal. Alors que le Mali est en proie à une recrudescence des violences terroristes, cette offensive, qui a perturbé l’axe Dakar - Bamako, relance les préoccupations sur la sécurité des frontières sénégalo-maliennes. Si le Sénégal reste jusqu’à présent épargné par les attaques directes, la porosité des frontières, l’essor des trafics illicites et l’instabilité régionale font peser un réel risque sur ce bastion de stabilité en Afrique de l’Ouest.
Une attaque à l’arme lourde a été menée par un groupe de djihadistes dans la nuit du samedi au dimanche 19 janvier 2025, dans un village proche de Kayes, selon des sources de Confidentiel Afrique. Cet assaut, qui a provoqué des perturbations sur l’axe Dakar - Bamako, relance le débat sur la sécurité aux frontières sénégalo-maliennes.
Cette attaque intervient quelques semaines après l’enlèvement et l’annonce de la mort de Thierno Amadou Hady Tall, un guide religieux influent, par le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM). Cet événement marque une évolution stratégique inquiétante des groupes terroristes au Mali.
Kayes, dernière grande ville malienne avant la frontière sénégalaise, est un point névralgique pour le commerce et les déplacements. L’attaque a conduit au déroutement de bus transportant des voyageurs sénégalais, burkinabé et nigériens, soulignant les risques accrus pour la région.
Les forces de défense et de sécurité sénégalaises surveillent particulièrement l’axe Tambacounda - Kayes, alors que l'armée malienne, après la reprise de Kidal, poursuit ses opérations contre les groupes armés. La marine sénégalaise a également intensifié ses patrouilles sur la Falémé, frontière naturelle entre le Sénégal et le Mali.
Depuis décembre 2022, le Sénégal a mis en place le Groupe d’action rapide de surveillance et d’intervention (Garsi) à Goudiri, entre Tambacounda et la frontière malienne. Ces unités mobiles, soutenues par l’Union européenne, patrouillent pour lutter contre la criminalité transnationale et le terrorisme.
Toutefois, la menace demeure. Le Bénin et le Togo, autrefois épargnés, ont subi des attaques sanglantes ces dernières années. Pour les observateurs, Dakar doit impérativement renforcer ses dispositifs sécuritaires afin d’éviter une éventuelle incursion terroriste sur son sol.
L’évolution de la situation dans cette zone charnière entre le Sahel et l’Afrique de l’Ouest est à surveiller de près. La coopération régionale et les mesures de sécurité proactives seront déterminantes pour endiguer la progression de la menace.
Au Mali, les groupes djihadistes mènent une lutte acharnée contre l'armée malienne, appuyée par les mercenaires russes du groupe Wagner. Le Sénégal, qui partage plus de 250 kilomètres de frontière avec le Mali, se retrouve face à une zone particulièrement vulnérable, où la porosité des frontières complique la surveillance exercée par les forces de sécurité.
‘’La pression grandissante autour de Kayes, avec la possibilité que des groupes armés étendent leur influence dans cette région, accroît considérablement le risque pour le Sénégal’’, analyse Paulin Maurice Toupane, expert à l'Institut d’études de sécurité (ISS Afrique).
Jusqu’à présent, le Sénégal n’a jamais été directement touché par une attaque terroriste, ce qui en fait l’un des derniers bastions de stabilité en Afrique de l’Ouest. Toutefois, la recrudescence des trafics illicites – orpaillage clandestin, armes, drogues et même réseaux de traite humaine – fragilise des zones comme Kédougou où ces activités constituent un terreau propice aux incursions djihadistes.
Paradoxalement, ces mêmes trafics pourraient expliquer l’absence d’attaques sur le sol sénégalais. ‘’Les groupes terroristes considèrent le Sénégal comme un espace stratégique, notamment en raison des flux financiers et de l'accès à l'océan Atlantique. Plutôt que de s’y attaquer frontalement, ils préfèrent en faire un point de repli et un couloir de transit’’, décrypte Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute à Dakar.
Un modèle sénégalais résistant, mais une vigilance de mise
L’ancrage religieux du Sénégal, dominé par les confréries soufies aux enseignements pacifiques et à l’influence profonde, constitue un rempart idéologique contre l’extrémisme violent. ‘’Les djihadistes auront du mal à rallier la population à leur cause’’, estime dans les colonnes de la Deutsche Welle (DW) Amadou Sega Keita, spécialiste des dynamiques sécuritaires au Sahel.
Face à la détérioration de la situation au Mali et dans d'autres pays de la sous-région, les autorités sénégalaises ont renforcé la présence militaire dans les zones sensibles, notamment à Kédougou et le long de la Falémé, frontière naturelle avec le Mali. Des projets d’infrastructures ont également été lancés pour désenclaver certaines localités et réduire l’isolement propice aux infiltrations.
Cependant, pour certains experts, ces efforts restent insuffisants. ‘’Une base militaire de grande envergure à la frontière s'impose pour dissuader toute incursion ennemie et assurer une présence constante des forces armées’’, insiste M. Keita.
Le sujet demeure néanmoins sensible. Sollicités, ni la gendarmerie ni le ministère de la Défense n'ont souhaité répondre à nos questions. Sur le terrain, la méfiance est palpable : les forces de sécurité limitent l'accès aux zones frontalières aux journalistes étrangers et rares sont les habitants prêts à témoigner sur leur quotidien dans ces territoires sous tension.
Pour l’heure, Dakar reste un modèle de résistance sécuritaire et idéologique, mais les récents événements à Kayes soulignent l’urgence d’une stratégie préventive à long terme. La coopération avec les partenaires régionaux et internationaux, combinée à un renforcement des capacités militaires et civiles, sera cruciale pour endiguer une menace de plus en plus pressante.
Amadou Camara Gueye