La détestation perpétuelle
Un mal chronique ronge la démocratie sénégalaise : c’est cette détestation entre les protagonistes politiques qui affleure dans tous les actes de gouvernement pour le régime et ses alliés ou toutes les réactions de l’opposition pour les tenants de l’ancien régime. Elle est irritante pour la majorité silencieuse parce qu’elle oppose aujourd’hui les complices d’hier et souvent couve sous la cendre la duplicité des rapports entre les alliés du moment.
La politique de renforcement de son parti par l’intégration, enclenchée par le président Macky Sall et appelée pudiquement ''fusion'', d’entités satellites comme le Mouvement Set Sellal de Madame le Secrétaire général de la présidence de la République, Aminata Tall, et le Mouvement pour la renaissance du Djolof d’Aly Ngouille Ndiaye, ouvre un nouvel épisode d’antagonismes bridés jusqu’ici. L’illusion unitaire qui a bercé la coalition informelle au pouvoir s’érode à mesure que les prochaines échéances électorales titillent la passion de vaincre des futurs compétiteurs.
La relation entre le chef de l’État Macky Sall et ses divers compagnons de route est moins tendue qu’elle ne l’est entre le leader de l’Alliance des forces de progrès (AFP) Moustapha Niasse et celui du Parti socialiste (PS) d'Ousmane Tanor Dieng. La répartition des postes a laissé des séquelles telles dans la mouvance présidentielle que les différentes formations politiques et les associations qui la composent pourront difficilement s’unir en dehors d’elle. L’idée que le leader le mieux considéré dans l’Alliance de gouvernement parachève son cheminement avec Macky Sall par une fusion ne serait pas saugrenue si la différence d’affiliation doctrinale ne lui imposait, dans ce cas de figure, une capitulation idéologique. Encore que ni lui ni le président Macky Sall ne sont les représentants légitimes de leur parti dans leurs internationales respectives, socialiste et libérale, alors qu’une ligne de feu les sépare chacun des anciens camarades et frères de même parti.
Après quelques discours convenus sur d’éventuelles retrouvailles libérales, la guerre de tranchées entre les frères ennemis du nouveau et de l’ancien régime se mue inexorablement en guerre de position avec les manifestations programmées sur la place de l’Obélisque par la réactivation du M23 qui refuse d’accepter que ''ce champ de bataille'' soit occupée par ceux qu’ils qualifient de pilleurs de deniers publics, et de criminels. L’aile marchante de la tactique insurrectionnelle préélectorale reprend du service avec un soupçon de nostalgie des périodes troubles de fin de règne de Me Wade.
Une fraction de la jeunesse du parti présidentiel pourrait faire jonction avec elle au risque d’installer le pays dans un nouveau cycle de violence. Ce qui n’est propice ni à l’éclosion du débat démocratique, ni à la production de biens et services et encore moins à la manifestation de la vérité dans les affaires pendantes devant la justice. Un réel respect de l’indépendance de la justice voudrait qu’elle suivît son cours sans la pression des uns et des autres pour peser sur des décisions qui seraient alors politiques et suspectées d’affaiblir l’adversaire.
En se renforçant parallèlement, l’alliance primaire qui a soutenu le président Macky Sall au premier tour ne veut plus s’encombrer de ses alliés de Benno Bokk Yaakaar, laquelle coalition porte l’estampille de la cohorte des candidats malheureux. Ceux-ci n’ont reporté leur rêve de grandeur sur Macky Sall, l’étoile montante, qu’en désespoir de cause. Et la furie des rivalités qui secouent leurs instances de base n’augurent pas d’un triomphe certain aux prochaines consultations électorales. Surtout que celles-ci, locales, devraient être l’occasion pour les cadres de la jeune formation présidentielle de se compter et de se peser à moindre frais.
Plutôt que de chercher à reconduire un statu quo ante incertain avec d’anciens alliés de second rang qui contrôlent majoritairement les municipalités mais aussi qui ont été sérieusement éprouvés par l’autoritarisme de Me Wade. Il n’est pas exclu que certains d’entre eux viennent sous l’ombrelle protectrice du parti présidentiel pour une raison ou pour une autre.
La rupture annoncée de l’Alliance Bokk Yaakaar peut être un facteur de clarification politique, donc être bénéfique à la démocratie après un répit pendant lequel, dans une coalition sans programme commun, des caciques de rencontre qui ont été dans les instances dirigeantes de tous les régimes passés, ont fait semblant ensemble de redresser l’économie qu’ils ont contribué à piller ou qu’ils ont laissé piller dans le moindre cas de figure. Avec la complicité d’un président né au début des indépendances, certaines jeunesses, de ''Y en a marre'' notamment, qui rêvent d’alternance générationnelle, pourraient réaliser leur vœu d’envoyer à la retraite politique les derniers dinosaures.
Et s’ils sont dignes du monde que leurs chansons et critiques annoncent, la démocratie sénégalaise pourra alors se débarrasser de ses béquilles : une institution onéreuse pour surveiller les élections, une autre pour surveiller les médias, une autre encore pour dénoncer les corrompus, et une autre pour enrichir les copains et les coquins alors que le pays a une Magistrature, une Inspection générale d’État, une Cour des comptes. Pas assez d’hôpitaux et d’écoles, certes, mais trop de médecins et d’enseignants qui râlent à longueur de journée comme les mineurs de ''Germinal''.