Publié le 17 Feb 2013 - 08:31
MAMADOU MBODJ, COORDONNATEUR DU M23

Timide turbulent

 

Mamadou Mbodji, la soixantaine proche, est le nouveau coordonnateur du M23. Il a la lourde tâche de recoller les morceaux de ce mouvement qui a frôlé la scission du fait d'une mutation qui ne plaît pas à tout le monde.

 

La vie de l’homme est un éternel challenge. Mamadou Mbodj, le nouveau coordonnateur du M23, aime se mettre au service des autres, mais aussi de son pays. Après plusieurs années de lutte syndicale, cet enseignant de philosophie s’engage à nouveau dans un autre combat, celui de la ''défense des intérêts des populations'' et du ''respect des engagements électoraux''. Mais la tâche ne sera pas facile pour le successeur de Alioune Tine, après que le M23 est passé d’un mouvement spontané à une association, au point de créer une scission de jeunes décidés à maintenir le statu quo.

Si M. Mbodj justifie cette mutation par ''la nécessité d’être autonome vis-à-vis des partis politiques, les jeunes, conduits par Abdourahmane Sow, y voient un moyen pour ''négocier des strapontins'' dans le pouvoir. Ce que réfute l'ancien-leader syndical : ''Dire cela, c’est mal nous connaître. L’essence du M23, c’est d’être un contre-pouvoir. Si tout le monde y allait, ce serait dramatique.''

 

 

Âgé d’une soixantaine d’années - il ne veut pas révéler son âge réel - le natif de Fatick donne une apparence trompeuse. Dans sa demeure à la Cité Fadia où il nous reçoit, M. Mbodji semble vivre en repli. Casanier, de taille moyenne, front légèrement dégagé et le visage imberbe, son regard ne croise pas le champ de vision de son interlocuteur et laisse apparaître un homme timoré. Mais derrière cette image se cache un dur à cuir au point d’être étiqueté comme un ''turbulent'', à la limite ''impoli''. Opposé fermement à l’''injustice'', l’enfant ''rebelle'' aura du mal à rester chez ses tuteurs, alors élève à Kaolack. Il s'en souvient : ''J’ai quitté la maison de mes parents parce que j'avais refusé d'aller acheter du foin, car il y avait plus jeune que moi, dans le domicile''.

 

Pour Ousmane Ndiaye, secrétaire général du M23, cela n’est pas surprenant pour l’avoir pratiqué : ''C’est quelqu’un de très calme, qui a le sens de l’écoute, mais qui est rigoureux.'' Alla Dieng, coordonnateur de l’Union des forces citoyenne (UFC) et porte parole du M 23, confirme : ''Il est très rigoureux dans la gestion du temps. Il m’arrive de m’énerver parce qu’il m’a coupé la parole. Mais j’ai compris que ce n’était pas méchant.''

 

Pour comprendre Mamadou Mbodj, il faudra revisiter sa vie militante. Après avoir décroché son Bac au lycée de Kaolack en 1976, il débarque à l’université de Dakar où il est orienté au Département de Philosophie. Comme la plupart des étudiants à l’époque, le jeune Mbodj rejoint le cercle des Maoïstes obligés d’évoluer dans la clandestinité. Avec des camardes comme Mame Less camara, journaliste et analyste politique ou Alpha Amadou Sy, professeur de philosophie et essayiste, Mademba Ndiaye, journaliste et chargé de communication du bureau de la Banque mondiale au Sénégal, ils forment l’Union nationale patriotique des étudiants sénégalais (UNAPES), proche de la Gauche. Après sa licence, Mamadou Mbodj est admis à l’École normale supérieur (actuelle FASTEF).

 

A sa sortie en 1981, il est affecté au Lycée Faidherbe de Saint-Louis où il sert pendant 8 ans. Militant du Syndicat unique des enseignants du Sénégal (SUDES), Mbodj va vivre difficilement la scission intervenue en 1983 au sein de ce syndicat qui donna naissance à l’Union démocratique des enseignements (UDEN). A l’origine de cette crise ? ''Les motifs étaient politiques, dit-il. La LD (Ligue démocratique, à l'époque, LD/MPT) soutenait la candidature de Mamadou Ndoye (ancien ministre de l’Éducation) et le Pit (Parti de l’indépendance et du travail) soutenait Madior Diouf''. La scission étant aujourd’hui consommée, Modji se ''culpabilise'' encore pour avoir rejeté le choix de ses camarades de faire de lui leur candidat à ce congrès. ''Si j’avais accepté, peut-être que je ne serai pas dans ce désarroi. C’est depuis lors que je me suis dit qu’à chaque fois qu'on me confierait une responsabilité, je l’assumerai''. Pour se ''rattraper'', il crée avec ses camarades le Groupe de réflexion et de concertation pour l’unité syndicale (GRECUS), pour retrouver ''l’unité syndicale''. Mais le groupe n’aura pas fini de germer ; en octobre 1988, il est affecté à Dakar, au Lycée Kennedy. Une période charnière.

 

Turbulences syndicales

 

 

Le plan Sakho-Loum va exacerber les ''rivalités'' entre l’UDEN et le SUDES. Pour ne plus être ''les dindons de la farce'', Mamadou Mbodj et Cie créent le collectif qui réunit tous les enseignants qui ne se reconnaissaient pas dans cet antagonisme syndical. ''Nous nous sommes dit que nous n’allons plus accepter de suivre des mots d’ordre de grève de l’UDEN seulement ou du SUDES seulement.'' Une démarche qui fera mouche et va finalement rapprocher les deux ''camps rivaux''. En 1995, ses collègues du Lycée Seydou Nourou Tall créent un mouvement appelé Syndicat national de l’enseignement moyen et secondaire (SYNEMS) dont il fut le secrétaire national adjoint.

 

A la Présidentielle de 2000, ce syndicat, pour la première fois de son histoire, va prendre position dans le jeu politique en appelant à voter contre Diouf, le président sortant à l’époque, et en faveur de son challenger au second tour Abdoulaye Wade. L’alternance sera réalisée, mais les préoccupations des enseignants demeurent. ''En 2003, nous n’avons eu que 5000 F Cfa. Nous avons dit qu’il n’est plus question d’aller en grève pour avoir ce montant'', dit-il. Au bout d’un bras de fer avec l’ancien régime, en 2006, le SYNEMS, devenu le CUSEMS, remportera plusieurs batailles parmi lesquelles une hausse de l’indemnité de logement de 40 000 à 60000 francs Cfa, une hausse de salaire de 20000 francs, une indemnité compensatrice de documentation, des indemnités de Bac, etc.

 

 

Maintes turbulences. Après cette ''victoire'', le Cadre unitaire de l’enseignement moyen et secondaire (CUSEMS) va traverser une crise née de l’entrée de leur camarade, Mbaye Fall Lèye, au Conseil économique et social en 2009. En effet, Mbodji considérait le CES comme une institution politique et que le CUSEMS n’y avait pas sa place. Un avis que ne partageait pas Lèye qui a fini par claquer la porte du syndicat et crée le SAEMS-CUSEMS. Il dit : ''Ceux qui soutiennent qu’un syndicat n’a pas sa place au CES racontent des inepties. La preuve, ceux qui le taxaient de budgétivore l’ont ressuscité''. Fall Lèye, qui dit n’avoir rien regretté de son passage au CES, assimile la réaction de Mbodj à de la «jalousie». Mais Masseck Ndiaye pense que c’est mal connaître Mbodji, qu’il a fréquenté depuis plus d’un quart de siècle. ''C’est quelqu’un de très désintéressé. Il défend les gens plus que le font ces derniers pour eux-mêmes. C’est un homme de conviction''.

 

Après plusieurs années de ''loyaux services'', Mbodji passe, en 2011, la main à Ndogo Sarr, nouveau secrétaire général du CUSEMS, sans pour autant quitter le lumpen prolétariat. Pour réussir sa mission, ce père de famille de deux enfants(un garçon et une fille) doit sortir de sa réserve légendaire. ''Il pêche par excès de modestie'', pense Masseck seck. ''Le seul conseil que je lui donne, c’est qu’il s’affiche carrément pour que les sénégalais le connaissent davantage''.

 

 

 

 

 

Daouda Gbaya

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