Une si âpre bataille… juridique
Parmi tous les pontes de l’ancien régime libéral poursuivis dans le cadre de la traque des biens mal acquis, Astou Ndiongue dite Aïda est la seule à être visée par trois procédures. Depuis le 13 juillet 2013, elle se débat dans un véritable imbroglio judiciaire, avec deux procédures pendantes devant les juridictions ordinaires et une troisième devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI).
Sur la liste des personnes visées par la traque des biens mal acquis, Karim Wade est en tête, si on tient compte des montants qui sont visés. Le fils de l’ex-Président Wade a été reconnu coupable d’avoir bâti un patrimoine financier évalué à 117 milliards. Après lui vient Astou Ndiongue dite Aïda. La dame est inculpée par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) pour 47 milliards F CFA. Si malgré l’importance du montant du préjudice, Karim Wade n’a fait l’objet que d’une seule procédure devant la CREI, pour l’ex-sénatrice libérale, celles-ci foisonnent. La Lionne du Walo se trouve dans un véritable imbroglio judiciaire, avec trois procédures en cours.
La première est toujours pendante au premier cabinet d’instruction. L’affaire porte sur des produits phytosanitaires destinés au Plan Jaxaay. Aïda Ndiongue y est accusée de détournement. Elle n’aurait pas exécuté le marché. Cette procédure a été déclenchée par l’ancien Procureur de la République Ousmane Diagne qui, dans son réquisitoire introductif, avait demandé au doyen des juges de placer sous contrôle judiciaire Aïda Ndiongue, Abdoul Aziz Diop et les 25 autres personnes, dont des entrepreneurs, éclaboussés par cette affaire.
Mais le 9 juillet 2013, seuls Abdoul Aziz Diop et différents anciens coordonnateurs du Plan Jaxaay furent placés sous mandat de dépôt. Par contre, l’ex-mairesse des HLM, conformément au réquisitoire du parquet, fut placée sous contrôle judiciaire. Tout ce beau monde fut inculpé pour détournement de deniers publics portant sur un peu plus de 1 milliard. Au grand dam des dits entrepreneurs qui, en lieu et place d’un paiement pour avoir exécuté les marchés, avaient droit à des poursuites judiciaires.
Cette affaire ne fut que le commencement d’un marathon judiciaire pour Aïda Ndiongue. Car les enquêtes et investigations se sont multipliées, surtout lorsque le successeur du Procureur Ousmane Diagne, Serigne Bassirou Guèye, a reçu le 2 décembre 2013, un lanceur d’alerte. Celui-ci l’avait informé de l’existence d’une somme de 16 milliards ayant transité dans le compte de Keur Marame Bercy, une des sociétés de la responsable libérale. A la suite de l’enquête menée par la Section de recherches de la gendarmerie, dans le même mois, Aïda Ndiongue, Abdoul Aziz Diop et leurs acolytes furent déférés au parquet.
Deuxième procédure
Le dossier fut transmis au juge du deuxième cabinet d’instruction géré à l’époque par Samba Sall qui les a inculpés pour faux et usage de faux et escroquerie portant sur des deniers publics. Le juge d’instruction fixa le montant du préjudice à 20 milliards, alors que la totalité des marchés est de 16 milliards. Cette fois-ci, Aïda Ndiongue n’échappa pas au mandat de dépôt, étant accusée de n’avoir pas exécuté l’intégralité du marché de produits (bacs à ordures, motopompes et tentes) destinés toujours au Plan jaxaay. Le même sort fut réservé à Abdoul Aziz Diop qui bénéficiait d’une liberté provisoire, depuis le 31 octobre 2013. Il s’agissait là de la deuxième procédure intentée contre Aïda Ndiongue. Au bout de plusieurs mois d’instruction, la libérale fut jugée et blanchie par le tribunal correctionnel de Dakar. Le parquet qui avait requis 10 ans, n’étant pas satisfait de la relaxe, fit appel.
L’affaire a été jugée en février 2016 et vidée mardi dernier. Là encore, le maître des poursuites a subi un revers, car le jugement de première instance est partiellement infirmé. En fait, seule Aïda Ndiongue est condamnée à une peine d’un an assortie du sursis, en plus d’une amende de 2 millions F CFA pour escroquerie portant sur des deniers publics. Ce qui irrite le plus le parquet général, c’est la mainlevée des saisies opérées sur les biens et sommes d’argent de la libérale. Etant donné que la Cour n’a pas ordonné la confiscation des biens de la dame, le parquet général s’est pourvu en cassation. L’affaire est maintenant au niveau de la Cour suprême.
Troisième procédure
Le 17 janvier 2014, lors d’une conférence de presse, le Procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye, avait fait de fracassantes révélations. Serigne Bassirou Guèye attribuait à Aïda Ndiongue un patrimoine de 47 milliards 675 millions de francs CFA. Il avait expliqué que les biens avaient été découverts, à l’issue d’investigations menées par la Section de recherches de la gendarmerie de Colobane. Il renseignait que la première découverte a eu lieu le 7 janvier. A cette occasion, 23 milliards 400 millions avaient été comptabilisés, après l’ouverture de sept coffres appartenant à la responsable libérale et une fouille dans ses sociétés et l’exploitation de documents bancaires. Il avait ajouté que, le même jour, des bijoux d’une valeur de 3 milliards 500 millions ont été trouvés et que d’autres découvertes avaient été faites, le 16 janvier.
Le Procureur avait également indiqué que les enquêteurs sont tombés sur une manne financière de 8 milliards ainsi que des bijoux d’une valeur de 12 milliards. Le Procureur avait ajouté la découverte de 250 000 euros soit environ 163 millions de francs CFA et 20 000 dollars, environ 10 millions de francs CFA, dans des enveloppes gardées dans un coffre appartenant à Aïda Ndiongue. Sans compter des bijoux d’une valeur de 600 millions de francs CFA. Au total ce sont des bijoux d’une valeur globale de 16 milliards 100 millions de francs CFA qui ont été retrouvés à côté des sommes d’argent citées.
Ces révélations avaient été faites au moment où Aïda Ndiongue était encore en prison. Après plusieurs mois d’enquête marquée par des auditions, des investigations à l’étranger, des confrontations, la dame fut à nouveau inculpée pour enrichissement illicite, en mai 2014. Mais, contrairement au réquisitoire du procureur spécial, la commission d’instruction de la CREI ne l’a pas placée sous mandat de dépôt. Elle a plutôt été placée sous contrôle judiciaire, une seconde fois. Ses avocats avaient dénoncé à l’époque ces deux contrôles judiciaires.
Quoi qu’il en soit, cette procédure devant la CREI se poursuit. Etant donné qu’en matière d’enrichissement illicite, l’instruction ne peut pas dépasser six mois, la commission d’instruction a procédé à plusieurs prolongations. La dernière remonte au 4 mars dernier pour une durée de 4 mois. Autant dire qu’Aïda Ndiongue, même si elle est libre après sept mois passés en prison, n’est pas encore sortie de l’écheveau de la justice.
FATOU SY