Ismaëla Madior Fall ne veut plus de mandats de dépôt systématiques
Eviter les mandats de dépôt systématiques ainsi que les retours de parquet et les lenteurs de procédure. C’est la nouvelle politique pénale ficelée à travers une circulaire présentée hier, par le ministère de la Justice, aux procureurs qui tenaient la Conférence annuelle du parquet.
‘’La liberté est la règle, la détention l’exception’’, dit-on dans les arcanes judiciaires. Cependant, pour beaucoup d’acteurs de la justice, c’est le contraire au Sénégal. Les militants des Droits de l’homme et beaucoup d’avocats considèrent que la détention est la règle dans ce pays, à cause du ‘’pouvoir exorbitant’’ du parquet. Le ministère de la Justice veut renverser la tendance afin qu’il y ait moins d’individus en prison.
A cet effet, une nouvelle politique pénale est initiée. Elle est contenue dans la circulaire présentée, hier, aux procureurs des différentes juridictions, lors de la Conférence annuelle du parquet. ‘’Désormais, les procureurs seront guidés par des balises claires qui ne les laissent plus livrés à eux-mêmes, jusqu’à ce que la gestion d’une affaire sensible ou un comportement inédit les mette au-devant de la scène et qu’ils soient, à leur grand désarroi, sommés de s’expliquer’’, a indiqué le Garde des Sceaux Ismaïla Madior Fall.
Selon ses explications, la circulaire s'est appesantie sur le respect des droits et libertés, et a permis d’évoquer, avec les procureurs, la meilleure voie pour que la détention soit l'exception. Elle a permis également de concilier la présomption d’innocence, le besoin d’information du public et la nécessité de faire respecter la loi. C’est pourquoi, a précisé le ministre, la note insiste sur un certain nombre de choses, comme la rationalisation des mandats de dépôt pour qu’ils ne soient plus obligatoires. ‘’Je vous exhorte, à travers la circulaire, à faire disparaître à jamais de notre univers judiciaire des pratiques longtemps mises à l’index, mais qui semblent persister encore, parce qu’on les croit à tort procéder d’une nécessité impérieuse. Je veux parler du dévoiement de la procédure de flagrance’’, a déclaré le Garde des Sceaux.
Retours de parquet et lenteurs dans l’audiencement
A ce propos, il a cité le recours presque aussi systématique du mandat de dépôt, les retours de parquet, les lenteurs dans l’audiencement des affaires. Sur ce point, le ministre a soutenu qu’‘’il n’est pas acceptable que des accusés ou des prévenus en attente de jugement soient gardés en prison uniquement à cause d’une mauvaise organisation ou d’un dysfonctionnement des services de l’enrôlement’’. Il s’agit là autant de mesures visant à combattre, surtout, les longues détentions préventives. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle le ministère a décidé d’expérimenter le bracelet électronique, à partir de l’année prochaine. Car, selon l’argumentaire du Pr. Ismaïla Madior Fall, ‘’la mise en détention provisoire n’est pas forcément la meilleure réponse à apporter à une certaine délinquance et que la banalisation de l’emprisonnement est à éviter’’. Parce que, à terme, a souligné le ministre, ‘’elle fait perdre à cette mesure ses fonctions premières, aguerrit le délinquant occasionnel et peut ruiner la vie d’un honnête homme’’.
Au regard de ces arguments, le ministre a fait savoir aux parquetiers que la circulaire les invite donc à n’envisager le mandat de dépôt que quand il est strictement nécessaire et légal. ‘’Le mandat de dépôt du flagrant délit doit être fugace, pour être normal. Ce n’est que parce que l’audiencement rapide, qui est le corollaire de la procédure de flagrance, n’est pas toujours respecté, que vous êtes devenus, Mesdames, Messieurs les Procureurs, les maitres de la détention’’, a ajouté le ministre.
Aucune concession pour le terrorisme, la cybercriminalité
Cependant, cette volonté d’éviter l’emprisonnement le maximum possible ne signifie pas qu’il faut donner quartier libre à tous les délinquants. En fait, d’après le ministre, une grande vigilance est requise dans les cas où la loi prescrit elle-même le régime de détention ainsi que dans certaines formes de criminalité dont la gravité appelle souvent opportun à la détention. Ainsi, a-t-il indiqué à l’endroit des ministères publics : ‘’Il vous faudra être ferme contre les faits qui sont susceptibles de constituer une menace contre la stabilité du pays.
Il ne doit être fait aucune concession au terrorisme, à la traite des personnes et au trafic de migrants, à la délinquance économique et financière.’’ Et de poursuivre : ‘’J’attends le même engagement en ce qui concerne les comportements qui déstabilisent notre ordre social. Le vol de bétail, les infractions contre l’environnement dont l’exploitation illégale des forêts et du littoral, sont des infractions qui perturbent directement l’équilibre de notre société.’’ Les atteintes à la vie privée, par la diffusion d’images ou de contenus privés non autorisés ou plus précisément les infractions commises par le biais d’un système informatique ou sur Internet, sont également exclues.
Outre les questions liées à la détention, la question de la délinquance juvénile est prise en compte par la nouvelle circulaire. Le Garde des Sceaux, qui confie faire de la justice juvénile un axe prioritaire de la politique pénale, estime qu’une collaboration plus directe entre les parquetiers, la Desps (Direction de l'éducation surveillée et de la protection sociale) et la Dacg (Direction des affaires criminelles et des grâces) est nécessaire. Il a fait savoir que la protection judiciaire des mineurs sera régulièrement inscrite comme point d’ordre du jour des rencontres de travail avec les procureurs généraux.
‘’Le «du muju fenn» doit disparaitre du vocabulaire populaire’’
La communication n’est également pas occultée par cette nouvelle politique pénale. Car, de l’avis du ministre, ‘’la récurrence de la désinformation ou de la spéculation concernant les procédures pénales peut être limitée avec une communication responsable et respectueuse de l’équilibre entre la présomption d’innocence et le droit à l’information du public’’.
L’exécution des peines figure en bonne place sur la circulaire. A ce propos, le Garde des Sceaux trouve que la situation actuelle est incompréhensible, dans la mesure où elle alimente le sentiment d’impunité. ‘’Le «du muju fenn» (absence de sanction) doit disparaitre du vocabulaire populaire, pour ce qui concerne la justice et singulièrement la justice pénale’’, a-t-il martelé. Tout en soulignant que la sanction prononcée par le juge pénal participe d’une fonction primordiale de régulation sociale, le ministre note que pour cela, elle doit être exécutée.
Par conséquent, M. Fall considère que ‘’les situations de sous-effectif dans les juridictions ne sauraient servir de justification à la totale paralysie des services d’exécution des peines’’. C’est pourquoi, a-t-il conclu : ‘’Une justice aboutie est une justice aux sentences exécutées.’’
FATOU SY