La défense en démo de force
Trois avocats de la défense ont déroulé hier après-midi dans les plaidoiries de la caisse d’avance, dont une retentissante intervention du bâtonnier malien. Tous les trois s’en sont pris ‘’aux violations de la poursuite’’.
D’abord, c’est une attaque en règle contre les peines requises par le procureur Serigne Bassirou Guèye, vendredi dernier. ‘‘Lorsque j’ai entendu le réquisitoire, je ne m’en suis guère offusqué. Le hasard a fait qu’il est là où il est, mais autrefois il a été plus bas (...). Il faut un devoir de la netteté des faits, une précision du droit et une interprétation conforme du droit, M. le procureur’’. Une pique signée Me Mamadou Ismaïla Konaré, qui a le don d’irriter Serigne Bassirou Guèye, s’agitant dans son box, avant que la robe noire n’enfonce le clou.
‘‘La comptabilité publique, je n’y comprends rien. Mon adversaire non plus (désignant le procureur). Ne prenons pas le risque de dire des choses qui pourraient nous échapper’’, déclare l’avocat sous les approbations murmurées du public. Comme il est de coutume à l’heure des plaidoiries, chacun essaie de marquer les esprits de manière singulière. Me Ismaïla Konaré a glissé un adage juif au milieu de sa plaidoirie qui a fait se...toute la salle : ‘‘La vérité se promène nue, mais le mensonge a besoin d’être habillé.’’
Le bâtonnier de l’ordre de Bamako, ancien Garde des Sceaux dans son pays, a bluffé son monde, pas par des envolées habituelles auxquelles on avait droit, mais dans une démonstration intelligible où il n’était pas question de tournures alambiquées. L’essentiel de sa plaidoirie était axé sur le fait que ce dossier est politique, que les ambitions et l’envergure du maire de Dakar sont à l’origine de toutes ses difficultés judiciaires. ‘‘On croit pouvoir se saisir de la justice, la téléguider, la mettre en mission. Mais la justice et la politique sont presque antinomiques. Les politiques, ils font leurs bagarres ailleurs, et quand ils veulent, ils viennent dire de les juger. Mais vous n’y comprendrez pas grand-chose’’, remarque l’avocat. Ainsi, de l’avis de Me Konaré, le prolongement judiciaire de cette affaire est la conséquence d’une habituelle ‘‘opposition entre Collectivités les plus fortes et l’Etat central’’.
La ‘‘violation de la libre administration des collectivités’’ avec l’Inspection générale de l’Etat envoyée aux trousses du maire alors que la Cour des comptes était habilitée à le faire l’intrigue. L’ancien ministre malien dénonce même la discrimination dans le ciblage des poursuites. ‘‘Imaginons qu’on envoie contrôler les caisses de l’Assemblée nationale, ou du premier président de la Cour suprême, ou même du TGI que vous dirigez. C’est constitutif d’une violation. La violation flagrante est une faute au droit, une faute à la loi. Pourquoi n’a-t-on pas mis la Cour des comptes ? On sait que même indépendante, l’IGE reste sous administration’’, relève-t-il.
L’incohérence à voir les deux receveurs percepteurs épargnés par le réquisitoire du parquet, lequel n’a pas requis de condamnation, alors qu’ils sont ‘‘les deux comptables publics des fonds dont on recherche le détournement’’, est surprenant aussi.
‘‘C’est la première fois qu’on crie au voleur contre quelqu’un qui n’a rien volé et que l’objet volé est entre les mains d’autres. Le gardien de ces fonds dit qu’il n’a pas perdu un rond. Et on s’arrange pour lui trouver un ordonnateur qui aurait détourné 1 milliard 800’’, qualifiant toutes les déclarations sur la caisse d’avance de ‘‘littérature et de comptines’’. Aussi, l’avocat malien estime-t-il qu’il n’y a pas de quoi fouetter un chat sur un détournement d’autant plus que le maire a toujours fait preuve d’une volonté de transparence avec une déclaration de patrimoine effectuée sans y être obligé. ‘‘Pour parler de détournement, il faut qu’il y ait en amont perte d’argent et en aval un enrichissement ipso facto.
Le patrimoine de Khalifa Ababacar Sall n’a pas bougé. Si tout le monde faisait de la sorte, le Sénégal serait sauvé. Lorsqu’il s’est agi de déclaration de patrimoine au Mali, les fonctionnaires se sont mis en grève pendant une semaine’’, a fait remarquer la robe noire avant de s’adresser au juge Malick Lamotte en relevant l’absence de faits qu’on pourrait imputer aux prévenus. ‘‘Il n’y a pas de pertes, pas de manquants. Ce qui est curieux est que l’Etat plaide par procureur alors qu’il n’a perdu aucun rond ici. On vous demande de violer le droit, la loi et de condamner. Imaginez-vous 7 ans ! ’’ s’étonne l’avocat malien. On parle au nom de tous et absolument tous. La justice rendue au nom du peuple. La représentation du peuple a besoin que vous lui rendiez un jugement juste, équitable...Une exhorte au président Lamotte que son jeune confrère Me Bamba Cissé a cru bon d’exprimer avec insistance. ‘‘Vous n’êtes soumis qu’à l’autorité de la loi dans ce pays (...) On n’a que faire des pressions, d’où qu’elles viennent d’ailleurs’’, souligne-t-il.
Me Bamba Cissé : ‘‘Si on élague l’aspect politique, il n’y a pas matière, juridiquement, à condamner’’
L’avocat du prévenu Mbaye Touré, dans la même veine que son prédécesseur, trouve qu’une main politique invisible explique la présence de son client ainsi que de tous les autres devant la barre. ‘‘Si on élague l’aspect politique, il n’y a pas matière, juridiquement, à condamner’’, professe-t-il. Entamant sa plaidoirie par une histoire de l’art pictural, il a assimilé ‘‘l’impressionnisme de la partie civile’’ à celui des peintres du 18e siècle dont le but était de s’émanciper des règles établies ‘‘pour le beau, vivifier les esprits, et choquer’’.
Quant au procureur de la République, rien ne lui a été épargné non plus. ‘‘Le parquet a quant à lui plus fait dans le bruit et la musicalité. Dans son réquisitoire, il n’y a ni bon sens, ni rime. Le réquisitoire n’était pas fondé’’, a dit Me Cissé. Mais ce sont ‘’les nombreuses violations constatées dans la procédure’’ qui convainc l’avocat que cette affaire aurait dû être frappée du sceau de la nullité visée dans l’article 55 du Code de procédure pénale. Me Bamba Cissé s’étrangle presque quand il parle de l’absence des avocats à l’audition de la police et estime que cette violation à elle seule fait s’écrouler tous les fondements de la poursuite.
‘‘M. le procureur sait très bien que l’assistance de l’avocat est le talon d’Achille de ce dossier. Si le PV est nul, la nullité doit s’étendre à toute la procédure. Je vous demande de l’annuler et de demander la mainlevée. Mbaye Touré est un homme honnête’’, plaide-t-il, qualifiant par ailleurs le blanchiment comme ‘‘l’infraction la plus cocasse’’ du dossier. L’avocat qui a défendu l’idée selon laquelle Mbaye Touré ne s’est pas ‘‘personnellement approprié la chose’’, pour révoquer le détournement, a requis du juge le respect de la loi. ‘‘Je loue la grandeur de ces hommes et de cette femme. Dieu est le Meilleur des juges, je sais que c’est Lui qui vous inspire.’’
Me Abdou Dialy Kane : ‘‘l’ordonnance de renvoi reprend mot pour mot le réquisitoire définitif’’
L’avocat Abdou Dialy Kane, dans la lignée de ses deux confrères, s’est aussi pris aux violations, mais surtout au parquet. ‘‘Le ministère public est inféodé à la Chancellerie (...) mais le juge est statutairement indépendant.’’ La cause de l’ire de Me Kane est une coïncidence, lourde de connivence, dans son entendement. ‘‘L’ordonnance de renvoi reprend mot pour mot, je dis bien mot pour mot, le réquisitoire définitif. Nous sommes donc en face d’un procès dirigé où le parquet a scellé une alliance avec le juge d’instruction. Cela ne me semble pas normal’’, a dénoncé la robe noire. Des six chefs d’infraction ‘‘aussi fantaisistes les unes que les autres destinés à humilier les prévenus’’, il a essayé de les démolir un par un avant d’être rattrapé par le temps et l’intransigeance du juge Malick Lamotte à qui il demandait une rallonge de cinq minutes en fin de séance.
Le réquisitoire du procureur a également été attaqué sur la différence des peines requises contre les prévenus. Les deux percepteurs ménagés par les exigences du procureur sont, de l’avis de l’avocat, plus responsables que le principal prévenu. ‘‘Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais je savais que dès le départ, le Parquet allait demander la relaxe des percepteurs. On a imprimé à ce dossier une trajectoire procédurale dont le but ultime était d’épargner les deux percepteurs. Du point de vue de la loi, ils ont une responsabilité plus grande que Khalifa Ababacar Sall’’, tonne Me Kane. Et de s’étonner des propos du porte-parole du gouvernement dans une interview récente. ‘‘Plus personne n’osera toucher à une caisse d’avance’’, avait dit Seydou Guèye. Pour l’avocat, ces paroles sont prémonitoires d’une commande politique destinée à liquider Khalifa Sall. ‘‘C’est grave car il dit que les prévenus seront condamnés avec force’’, dénonce-t-il.
OUSMANE LAYE DIOP