La CEDEAO tergiverse, la junte se radicalise
Le Sommet des chefs d’État de la CEDEAO a acté hier la possibilité d’une intervention militaire en appelant à la mobilisation de la Force en attente de la CEDEAO. Cette force doit servir de base à l'enrôlement de plusieurs contingents principalement nigérian ou d’autres pays comme le Sénégal, le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Ghana, afin de faire revenir l’ordre constitutionnel au Niger. Le président du Nigeria a aussi indiqué que la force reste le dernier recours et qu’entretemps, une solution pacifique reste toujours de mise.
Les chefs d’État de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) réunis hier à Abuja ont décidé d’activer la force d’attente de l’organisation régionale. Cette décision intervient quelques jours après l’expiration de l’ultimatum lancé par la CEDEAO à la junte nigérienne pour le retour au pouvoir de Mohamed Bazoum, renversé par un putsch le 27 juillet dernier. L’ultimatum, qui a expiré le 7 août à 00 h, heure locale, n’a pas été suivi d’un déclenchement d’une intervention militaire, comme l’avait indiqué le chef d’État nigérian Bola Ahmed Tinubu, Président en exercice de la CEDEAO.
Avant l’expiration de cet ultimatum, la junte dirigée par le général Abderrahmane Tiani avait procédé à la fermeture de l’espace aérien jusqu’à nouvel ordre et décidé de la concentration de forces autour de Niamey.
L’instance sous-régionale a demandé à ses chefs d’État-major de mobiliser la Force en attente de la CEDEAO ainsi que tous ses éléments ‘’immédiatement’’ et ordonné son déploiement pour ‘’restaurer l’ordre constitutionnel’’ au Niger, comme l’a annoncé le président de la Commission de la CEDEAO, le Gambien Omar Alieu Touray. Aucun calendrier de déploiement n’a été annoncé par les responsables de la CEDEAO.
Concrètement, cette force, créée depuis 2004 par la CEDEAO, devrait atteindre 5 000 hommes issus des rangs des pays membres. Mais à cause de problèmes de financement et de troupes, elle peine à se mettre en œuvre. Une force qui aurait pour but de lutter contre les coups d’État et autres putschs.
Dans cette crise nigérienne, la CEDEAO aimerait toutefois atteindre rapidement une brigade de 1 650 soldats qui pourrait servir comme ossature à une force d’intervention vers le Niger comprenant des effectifs nigérians, sénégalais, ivoiriens et béninois.
Selon les résolutions lues à la fin d'un sommet à Abuja, l’activation de cette force ne signifie pas que l’option militaire a été arrêtée par les chefs de l’État.
En effet, le président du Nigeria Bola Tinubu, à la tête de la CEDEAO, avait affirmé, avant la lecture des résolutions, espérer ‘’parvenir à une résolution pacifique’’, ajoutant : ‘’Aucune option n'est exclue, y compris le recours à la force en dernier ressort. Si nous ne le faisons pas, personne d'autre ne le fera à notre place.’’
Mais cette recherche d’une voie pacifique s'avère difficile en raison de la ferme volonté de ne pas transiger concernant le retour à l’ordre constitutionnel. D’où les termes très durs du communiqué final de la session extraordinaire des chefs d’État de la CEDEAO de ce 10 août.
Car, en plus de réitérer ‘’sa ferme condamnation de la tentative de coup d'État et de la poursuite de la détention illégale du président Mohamed Bazoum, de sa famille et des membres de son gouvernement’’, les chefs d’État ont ordonné ‘’le déploiement de la force de réserve de la CEDEAO pour rétablir l'ordre constitutionnel’’, après avoir demandé au comité du chef d'État-major de la défense d'activer immédiatement ladite force avec tous ses éléments. Ils appellent aussi ‘’tous les pays et institutions partenaires, y compris l'ONU, à soutenir la CEDEAO dans ses efforts pour assurer un rétablissement rapide de l'ordre constitutionnel, conformément à son instrument normatif’’.
Fuite en avant de la junte, nomination d’un nouveau gouvernement
En effet, les nouvelles autorités militaires nigériennes ont refusé l’entrée sur leur territoire d’une mission conjointe de la CEDEAO, de l’ONU et de l’Union africaine, mardi dernier. Ce refus intervient quelques heures après l'échec d’une tentative de médiation américaine. La n°2 de la diplomatie américaine par intérim, Victoria Nuland, a dû se contenter d’une rencontre avec le général de brigade Moussa Salaou Barmou, nouveau chef d'État-major de l'armée, lors de son déplacement à Niamey, le 7 août dernier. Ce haut responsable du Département d’État n’a pas pu s'entretenir avec le chef du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), le général Abdourahamane Tiani, ni avec le président renversé, Mohamed Bazoum, toujours séquestré par les putschistes.
La réception, mercredi soir, à Niamey, de l'ex-émir de l'État nigérian de Kano, Sanusi Lamido Sanusi, un proche du président du Nigeria Bola Tinubu, paraît comme une éclaircie dans cette grisaille martiale.
Cette fuite en avant est aussi matérialisée par la nomination d’un nouveau Premier ministre, Mahamane Lamine Zeine. Cet économiste de formation a servi comme ministre des Finances et directeur de cabinet sous le mandat (1999-2010) de l’ex-président Tandja Mamadou. Le régime militaire issu d’un coup d’État au Niger a aussi formé un gouvernement de 21 ministres, selon un décret du nouvel homme fort du pays, lu à la télévision nationale dans la nuit du mercredi 9 août au jeudi 10 août.
Par ailleurs, certains responsables de la CEDEAO semblent vouloir jouer la carte de l’ancien président Mahamadou Issoufou. Selon certaines sources, ce dernier garderait une certaine influence auprès de général Abdourahamane Tiani qu’il avait promu à la tête de la garde présidentielle.
Par ailleurs, dans une lettre ouverte, signée par une dizaine de personnalités politiques nigériennes comme l’ancien président Mahamane Ousmane et les anciens présidents de l’Assemblée nationale comme Seni Oumarou et Hama Amadou, il est demandé la levée des sanctions contre le Niger et d’user des voies diplomatiques et politiques pour trouver avec l’armée des solutions pacifiques et constructives à cette grave crise.
En outre, la CEDEAO serait en contact avec les membres modérés de la junte afin d’aboutir à une solution négociée pour une sortie de crise de manière pacifique. L’envoi d’une dernière mission de conciliation pourrait être décidé par la CEDEAO, si la junte venait à montrer des signes d’ouverture.
Niger, un enjeu stratégique pour les États-Unis au Sahel
Si officiellement les États-Unis sont favorables à une solution pacifique dans cette crise nigérienne, l’échec de la tentative de médiation du sous-secrétaire d’État Victoria Nuland sonne comme un désaveu pour les Yankees.
Ainsi, dans une déclaration, la diplomate américaine a aussi indiqué, à travers des menaces à peine voilées, la détermination du pays de l’Oncle Sam à revenir à l’ordre constitutionnel au Niger et à éviter toute bascule vers le camp chinois et russe. ‘’Nous allons donc surveiller la situation, mais nous comprenons nos responsabilités légales et je les ai expliquées très clairement aux gars (junte nigérienne) qui étaient responsables de cela et que ce n'est pas notre désir d'y aller, mais ils peuvent nous pousser à ce point. Et nous leur avons demandé d'être prudents à cet égard et d'entendre notre offre d'essayer de travailler avec eux pour résoudre ce problème de manière diplomatique et revenir à l'ordre constitutionnel’’, a-t-elle déclaré à son retour de Niamey.
Selon beaucoup d’experts, les États-Unis contrairement aux autres putschs dans le Sahel (Mali et Burkina Faso) jouent gros dans cette affaire. Washington dispose de trois bases dans le pays, dont l’une située à Agadez est la plus importante du continent, après Djibouti. Cette vaste base aérienne accueille les drones MQ-9 Reaper et des avions de transport C-17 et est équipée de systèmes de pointe en communication par satellite. Cette base sert aussi de principal centre de renseignement et de surveillance pour les Américains au Sahel.
Washington aurait investi 110 millions de dollars pour sa construction et 30 millions de dollars par an pour sa maintenance. Sans oublier mille hommes prépositionnés dans le pays. Le général Tiani, chef de la junte, est réputé très proche des États-Unis, mais les dérives souverainistes et nationalistes pourraient pousser la junte à se rapprocher des régimes malien et burkinabé accusés de collaborer avec les mercenaires russes de Wagner. Un scénario qui pourrait fortement déplaire à Washington qui cherche à limiter l’influence de Wagner et de la Russie dans le Sahel.
Les immenses gisements d’uranium et d’or du Niger constituent aussi un enjeu pour les États-Unis soucieux d’éviter que les mines d’uranium ne tombent sous le contrôle russe.
En effet, une mainmise de Wagner sur les sites d'uranium, à travers des entreprises comme Rosatom, pourrait faire de la Russie un pôle incontournable dans la fourniture d’uranium enrichi, essentiel pour faire fonctionner les centrales nucléaires.
Un enjeu énergétique très important à l’heure où les grandes puissances cherchent à réduire leur dépendance face au pétrole. Le Niger, de par son importance stratégique, permet aux États-Unis de surveiller l’expansion russe et chinoise dans cette partie de l’Afrique et essayer d'endiguer l'influence de la milice russe aujourd’hui présente au Soudan, en Libye et en Centrafrique.
Dans cette stratégie, le Nigeria, principal allié des États-Unis, pourrait jouer un rôle capital. Si la junte poursuivait sa fuite en avant, les Américains pourraient se rallier à l’option militaire que préconisent certains responsables de la CEDEAO.
En effet, les États-Unis pourraient facilement compenser les failles des armées de la CEDEAO que sont la logistique et le renseignement, essentiels dans ce genre d’intervention militaire.
AMADOU FALL