Alioune Sarr lance son ‘’cri du cœur’’

La lutte, comme toutes les autres disciplines sportives, est fortement touchée par la crise sanitaire liée au coronavirus. Invité du Club de la presse de ce week-end, le président du Comité national de gestion (CNG) de la lutte au Sénégal, Dr Alioune Sarr, a fait l’état des lieux de l’arène et en a profité pour exposer ses doléances à l’endroit des autorités du pays.
Situation de la lutte au Sénégal
‘’Je supervise le CNG au Sénégal et toutes les formes de lutte. Je pense qu’elle se porte, comme toutes les disciplines sportives au Sénégal, avant la Covid-19, relativement bien. Mais vous savez que dans la vie, tout est subjectif et nous pensons que par rapport aux objectifs fixés par l’autorité, ça va dans son ensemble. Même si tout le monde ne le reconnaît pas, et c’est normal parce qu’une œuvre humaine est perfectible.’’
CNG, structure d’exception à structure permanente
‘’On parle de Comité national de gestion et non d’exception. Je rappelle que la lutte est passée par toutes ses émotions, à savoir toutes les formes de structure (fédération, comité d’exception, comité tout simplement) et depuis 1994, c’est le Comité national de gestion au Sénégal. Certains l’appellent comité d’exception, mais je voudrais simplement rappeler ce que disait François Bopp : ‘’Tant qu’il serait ministre des Sports, au niveau de la lutte et des courses hippiques, il n’y aurait pas de fédération.’’ Etait-il un visionnaire ? Sommes-nous prêts ? Et quand on parle de fédération, on parle de structure de base. Le CNG, je l’ai personnellement toujours défendu. C’est à travers les structures de base, dans toutes les régions ou dans la majorité des régions du pays, qu’il faudrait insister pour pouvoir arriver à une fédération. Je ne veux pas et il faut qu’on se regarde dans les yeux et qu’on se dise certaines vérités. Il ne suffit pas que trois pelés et un tondu se retrouvent pour dire que j’ai une structure. Et c’est ce qui est en train de faire boitiller la lutte. Beaucoup de nos structures ne sont que de nom.’’
Longévité
‘’La Lutte est une discipline agitée. Est-ce qu’il existe sur terre une activité qui n’est pas assez agitée ? Quelle que soit la station à laquelle on se trouve, la vie est dynamique. Tout moment appelle des corrections, des nouveautés et une nouvelle façon de voir. Cela pose souvent problème dans sa globalité. Et ce fameux chanteur congolais disait que la vie est un éternel combat. Un combat, il faut avoir le courage de l’accepter, de le mener selon sa propre stratégie ou du groupe.’’
Risque d’usure
‘’Je dirais oui et non. Elle use parce que, tout simplement, nous avons affaire à des groupes qui n’ont d’objectifs que de résoudre leur problème crypto-personnel. Il faut tout le temps faire face pour rappeler à tout un chacun que la mission est globale et que c’est l’intérêt du sport sénégalais, en particulier de la lutte, dont le développement du Sénégal sous une certaine forme qui est en jeu, et non pas les querelles. Cela peut user et ça peut ne pas user, si on a l’intime conviction que ce que nous faisons avec conscience nous le faisons sans avoir peur de faire mal. Quand vous devez tracer une voie, forcément, vous aurez à déplacer, recentrer et recadrer. Tout cela ne peut pas plaire à tout le monde. Il faut avoir le courage de sa vision et de son opinion, surtout avoir en tout instant en tête que cette mission nous vient au sommet de l’Etat. Nous sommes sénégalais et patriotes, et tant que nous pensons la mener, nous la mènerons sans état d’âme.’’
Structures régionales
‘’Ces comités régionaux existent dans chaque région du pays. Nous nous réunissons et échangeons, mais chacun a ses spécificités. La lutte la plus médiatisée se passe à Dakar ; et ce n’est pas seulement la lutte, mais ce sont toutes les activités politiques, économiques, culturelles… En 1962, un éminent journaliste disait : ‘’Le Sénégal n’est pas Dakar ; Dakar n’est pas le Sénégal.’’ Que faudrait-il faire pour inverser ou équilibrer la tendance ? Je pense que ce combat n’est pas simplement celui de la lutte, mais c’est le combat de tout le Sénégal. La majorité de la population se trouve à Dakar, parce que les autres régions battent un peu de l’aile. Que doit être la politique sous les différentes visions ou perception de ce qu’on veut faire du pays, pour que les gens ne viennent plus vivre dans des bidonvilles autour de Dakar ? Comment faire pour répartir la richesse pour que le citoyen se sente aussi bien à Dakar tout comme à Fatick, d’où je viens ?’’
Les grandes affiches à l’Arène nationale
‘’Elles se tiennent à l’Arène nationale. Il est difficile de changer les habitudes et il y a eu de la pression lors du dernier combat sous prétexte que Léopold Sédar Senghor a plus de places. Aucun stade ne peut recevoir tous ceux qui veulent aller au stade. Certains feront le déplacement et d’autres resteront à la maison. Mais j’ai eu à le dire et si la décision n’incombait qu’au président du CNG, tous les combats de lutte organisés à Dakar se passeraient au niveau de l’Arène nationale. Nous avons, pendant plus d’un quart de siècle, insisté pour que la lutte puisse avoir son stade. Nous l’avons et il faut l’utiliser. Le stade est adéquat, contrairement à certaines déclarations. Ce n’est pas un produit chinois, mais c’est une réalisation chinoise à partir de réflexions des Sénégalais. Souvent, les Sénégalais se trompent de combat. Tout le monde ne peut pas être à côté pour dire voilà ce que je veux. Dès l’instant que quelqu’un a été choisi avec son équipe pour diriger, permettez à cette équipe de diriger. Mais c’est difficile au Sénégal. Tout le monde est… tout le monde pense que… Et souvent, ceux qui en parlent le plus, c’est ceux qui en savent le moins.’’
Limite d’âge
‘’Il y a un journal sportif qui a tracé la carrière de Mbaye Guèye (ancien Tigre de Fass) qui, à 40 ans, disait qu’il n’avait plus envie. Après sa défaite de 1987, il s’est retiré. Je pense que cela fait réfléchir ceux qui pensent qu’on ne doit pas limiter l’âge d’un sportif. Dans toutes les disciplines sportives, qu’on limite ou pas, à partir 30, voire 40 ans ou plus, vous n’attirez pas. En plus, le sport individuel réclame tellement d’efforts pour le corps. Vouloir continuer face à des jeunes mieux entraînés et plus aptes physiquement, cela peut causer des problèmes. Avant, quand le lutteur n’était qu’un pêcheur ou un cultivateur, on pouvait aller très loin, mais aujourd’hui les sportifs font d’autres sports de combat pour être au top. Le médecin sportif que je suis, l’être humain que je suis, avant d’être président, pense que 45 ans, c’est même trop.’’
Dialogue dans l’affaire des arbitres
‘’Ceux qui soulèvent le problème des arbitres sont loin de connaitre la réalité. Savez-vous que, toutes les semaines, quand l’activité était normale, le bureau du comité national se réunit tous les lundis et à cette réunion, participent tous les présidents de la Commission centrale des arbitres ! Tous les problèmes sont débattus. Mais la plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a. Le dialogue n’a jamais été rompu. Ils ont posé des actes, nous avons répondu par rapport à la réalité du terrain. Je suis allé jusqu’à leur dire : si vous pensez trouver les moyens de la solution, indiquez-moi la direction et je me battrai. Il ne faut pas que les gens pensent, parce que quelques lutteurs gagnent des centaines de millions, que l’arbitre qui doit officier doit gagner des centaines de millions.
Jusqu’à preuve du contraire, ceux qui sont là, en dehors des lutteurs, sont des bénévoles, même si on leur donne quelques honoraires. Mais ceux-ci ne sont pas proportionnels à ce qu’ils font. Il ne faut pas biaiser l’esprit de notre présence pour développer la lutte. Hélas ! Cela a été le problème avec le corps arbitral. Donc, nous avons dialogué sur plus qu’une décennie. Au moment où la vache était très grasse et que les promoteurs avaient assez de moyens, les arbitres n’ont pas dit qu’au-delà des honoraires qu’ils considèrent comme des miettes, mais qui constituent la partie la plus importante de ce que le comité national reçoit comme droits d’organisation, je leur avais permis de négocier directement avec les promoteurs. Il arrivait qu’ils se retrouvent avec 500 000, 1 000 000 F à se partager entre trois et cinq personnes. Pendant ce temps, les gens ne disaient pas grand-chose. Aujourd’hui que la vache est maigre, qu’elle ne donne plus 40 l, mais 1 l de lait, il faut bien que tout un chacun se contente de ça, en attendant de réfléchir ensemble.
Quand ces acteurs, que je considère jusqu’à preuve du contraire comme des patriotes, disent que nous ne pouvons plus faire cela, je leur dis : vous êtes des bénévoles ! Ce n’est pas votre métier principal. Dès l’instant que vous pensez que vous ne pouvez plus, mais retirez-vous simplement. Nous avons été menacés. J’ai même convoqué, au-delà du président, les arbitres de Dakar. Nous avons échangé. Nous avons dit ce que nous pensons de la situation. Mais quand, en plein réunion de bureau, le président (des arbitres) se permet de dire que si cela persiste, nous irons en grève… tout de suite, le président de la commission règlement et discipline a dit : ‘Je ne vous le conseille pas.’ Il dit : ‘Nous allons y aller.4 J’ai clos le débat en disant : si vous allez en grève, le comité national que je dirige prendra toutes les dispositions pour faire face. Ce que nous avons fait.
Contrairement à ce que les gens pensent, Alioune Sarr n’a sanctionné personne. C’est notre commission règlement et discipline qui a entendu et audité les sanctionnés et a transmis son rapport au bureau qui a transmis à qui de droit. Le président de la Commission centrale des arbitres était là au moment de la lecture des conclusions de la commission règlement et discipline, qui lui ont été notifiées séance tenante sur sa demande. Ensuite, il a quitté la salle. Ils (les arbitres) avaient la possibilité d’interjeter appel auprès de la commission juridique composée en majorité de magistrats et d’avocats. Malheureusement, cela n’a pas été fait. Leur choix s’était porté plutôt sur l’expression médiatique.’’
La lutte et la crise sanitaire
‘’La pandémie n’est pas un problème sénégalais ; c’est une affaire mondiale. Chaque pays, selon son intelligence, ses moyens, essaye de faire face. Il n’existe aucune structure qui ne mérite pas une attention particulière. Le sport en général, la lutte mérite, à défaut d’être soutenue matériellement, d’arriver à une réflexion qui pourrait nous permettre d’arriver à des solutions. L’impact sur les lutteurs, tous ceux qui vivaient du produit de la lutte, est réel. Il y avait une sorte de chaine de solidarité depuis la porte jusqu’au milieu de l’arène. Nous prions Dieu que cette pandémie cesse rapidement. Ceci me permet de soulever à nouveau mon fameux combat. Quand je disais faire du sport c’est bien, mais qu’il fallait insister auprès des écoles de lutte pour que ces jeunes présentent soit des certificats de scolarité soit des certificats d’aptitude à la formation à un métier. Ce serait aujourd’hui quelque chose qui aurait pu amortir au mieux la souffrance de ces lutteurs. Car dans toute activité, il y a beaucoup d’appelés, mais très peu d’élus.’’
Considération des médaillés en lutte
‘’La razzia des médailles aux Jeux de la Francophonie n’ont pas rapporté beaucoup de primes. C’est le triste constat. Je cris depuis très longtemps que le sport réclame une équité, pas une égalité. Il est vrai que quand le football revient avec une médaille d’or, ce n’est pas la même chose quand c’est la lutte. Mais ces jeunes Sénégalais ont défendu le drapeau national. Ces gens méritent une meilleure reconnaissance. Isabelle Sambou, 9 fois championne d’Afrique, championne mondiale de beach-wrestling, 5e aux Jeux de Londres. Et toujours illustre inconnue à tous les niveaux de ce pays. Adama Diatta, chez les garçons, la même chose. Ce sujet doit être agité à nouveau pour que les athlètes, en dehors de certaines disciplines phares, puissent avoir une certaine considération à tout point de vue. Je le souhaite vivement et c’est mon cri du cœur aujourd’hui envers les autorités de mon pays.’’
LOUIS GEORGES DIATTA