Publié le 3 Sep 2014 - 12:33
PROCÈS KARIM MEISSA WADE

Ingénierie… rhétorique !

 

Stratège devant l’éternel, le fils Wade a déclaré hier qu’il ne dira rien, tant que son coïnculpé, nommément Bibo Bourgi, ne pourra pas comparaître en bonne santé à ses cotés. Cette posture de la défense, peut-être pas des plus avisées, a permis à la CREI de dérouler une impressionnante (et incriminante) liste de questions au pied de l’accusé !

 

Bibo sorti très tôt de l’équation hier matin, on pensait enfin pouvoir apercevoir le fond de l’affaire avec l’inculpé star qui était censé enfin se présenter devant les juges pour parler. Quelle déception alors que de constater que celui qu’on croyait loin des yeux et loin du cœur a, comme toujours, été la clé de voûte d’une stratégie d’évitement (ou plutôt de mutisme) de haute facture…

En effet, à part une déclaration liminaire calibrée à la virgule près pour le présenter comme un homme «blanchi» par le temps, le sort, le karma, l’intervention d’OVNI où on ne sait quoi d’autre, Karim Wade n’a rien dit du tout ! Mieux encore, il a «respectueusement» refusé de répondre à toutes les questions qui lui ont été posées (87 au total, on a compté !), en expliquant «avec déférence» à la Cour que tant que Bibo Bourgi, son coïnculpé, «ne se sera soigné et en état de comparaître», c’est motus et bouche cousue en ce qui le concerne…

Autant dire que s’il arrive malheur à l’autre, ce qu’on ne souhaite évidemment pas, ce ne sera plus la phrase : «ne se sera soigné et en état de comparaître», mais plutôt «jusqu’au jour du jugement dernier» ! Après tout, dans le propos liminaire suscité, Karim ne s’est pas privé d’annoncer la couleur en concluant sur le dernier verset de la sourate «At-Tin» (95e du Coran, appelée «Le Figuier» ou «La Figue») qui dit  «Alayssa Laahou bi ahkamil haakimiin?» se traduisant par «Dieu n’est-Il pas le plus Juste des juges ?». Étonnant, pour celui qui se dit un homme changé, que cette même sourate du Livre Saint n’ait pas été incluse à la copie définitive et révisée de sa déclaration, «gracieusement» distribuée à la presse par son équipe de com, un peu plus tard.

Au forceps

Pour en revenir aux minutes du procès, précisons quand même que c’est au forceps que Karim Wade a dû arracher le droit de faire ou plutôt de lire sa déclaration liminaire ! En effet, à peine la demande de renvoi de ses avocats rejetée par la Cour (ça commence à devenir une habitude), Karim a été invité à s’exprimer à la barre… Et c’est là où le bât blesse ! Cela car, le voyant sortir un document, sûrement d’une de ses manches, tel un illusionniste, le Président de la CREI a dit «niet», en expliquant que c’est «uniquement par oral» que l’inculpé est autorisé à s’exprimer, car s’il a des écrits par devers lui, c’est par une toute autre procédure qu’il devrait les communiquer à la Cour.

Évidemment… toolé immédiat ! Les avocats, dont on croirait la propension à se révolter inscrite tel un réflexe pavlovien dans leurs ADN respectifs, se sont immédiatement remis à hurler à mort. Me Seydou Diagne, en particulier, a crié tellement fort qu’il a fait fuir la Cour, cette dernière se repliant dans les remparts de l’arrière-salle, avec une telle hâte qu’elle en oublia même de suspendre l’audience.

D’ailleurs, quelques minutes plus tard, on a entendu Me Pèlerin se moquer gentiment, en expliquant qu’«il (NDLR : le Président, on suppose) était parti bouder».

Les juges, remis de leurs émotions, ont essayé un temps de camper sur leurs positions. Heureusement qu’un des avocats de la partie civile, en l’occurrence l’ex-Bâtonnier Me Félix Sow, est venu à la rescousse de tout le monde, en demandant à Henry Grégoire Diop de revenir à de meilleurs sentiments… En gros, la robe noire a implicitement fait comprendre aux magistrats qu’il valait mieux que Karim lise son document (ou son ‘’aide-mémoire’’, comme finira par l’appeler le Président) plutôt que de lui laisser la latitude de se constituer martyr à son loisir.

‘’Je refuse de payer la rançon’’

On ouvrit donc le micro pour MC Wade, qui partit tout de suite sur des envolées lyriques : «Je suis prisonnier politique (…) J’ai été pris en otage (…) Je refuse de payer la rançon (…) Je ne me cache derrière aucune ingénierie financière (…) (…) Je ne répondrai à aucune question (…)». En gros, qu’on le laisse tranquille et puis advienne que pourra…

Une déclaration qui, on l’avoue, est tout à fait celle que le détenu le plus célèbre de Rebeuss était en droit de faire à la CREI. Peut-être pas génial, mais en tout cas légalement acceptable. Si l’on n’est pas surpris, ni étonné, ni même impressionné par ces lignes qui sont tout à fait logiques voire prévisibles en ce qui concerne la stratégie adoptée par la défense, depuis l’entame du procès, il faut quand même concéder que ces lignes n’ont rien d’ordinaire.

Au contraire ! Calibrées au millimètre près pour incriminer le monde entier (qui se résume ici au pouvoir en place au Sénégal), elles sont d’une finesse comparable, toujours en termes de motivation rhétorique voire sémantique, à de la dentelle ou du travail d’orfèvre ! En effet, pas un mot n’y a été placé au hasard. Dans presque chaque paragraphe, des expressions et locutions comme «arbitrairement», «faussement», «rien à voir», «grotesque», «surévalué» et «monté de toutes pièces» (entre autres) ont été autant de miettes de pain essaimées par l’inculpé pour se présenter comme un homme persécuté (à tort ou à raison).

Quel est le fin mot de l’histoire ? Karim Meissa Wade coupable, pas coupable, à moitié-coupable ou dans tout autre état intermédiaire, est décidé à mourir, s’il doit mourir, à la guerre… Ou du moins dans ce qu’il considère comme un combat. C’est donc dans l’arène politique qu’il a choisi de porter ses dernières joutes avant de s’enfermer dans le mutisme : «Pourquoi tant de précipitation ? Est-ce parce qu’on veut presser ce procès pour me condamner, avant le 15 septembre, histoire de m’en donner pour 5 à 10 ans, comme prévu ?», a lancé Karim Wade à l’intention de Henry Grégoire Diop.

Les visiteurs nocturnes de Rebeuss

«Qui vous a mis en tête la date du 15 ? C’est fantaisiste !» a rétorqué le magistrat, mordant (pour la 2e fois en deux jours) à l’hameçon. «Ah ! Mais M. le Président, à Rebeuss nous avons (NDLR : aussi) nos visiteurs nocturnes !» a gloussé le prévenu, en guise de réponse, souriant au Président de la CREI. Le candidat n’a rien eu à déclarer d’autre de toute la journée. La seule phrase qui a franchi ses lèvres, si ce n’est «pardon?» ou «en avez-vous fini avec la question?», est celle dont on a fait état plus haut et qui a conclu son propos liminaire : «Je ne répondrai à aucune question, tant que Bibo Bourgi ne se sera pas soigné et en état de comparaître.»

En tout cas, ses avocats ont eux, à l’évidence, beaucoup de choses à dire, puisqu’ils n’ont cessé de réclamer la parole de la journée pour finir par introduire une demande visant… à récuser Henry Grégoire Diop !

Sophiane  Bengeloun

 

 
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