‘’Les insuffisants rénaux ont un risque 6 fois plus élevé de faire une forme grave’’
De plus en plus, les cas graves meurent de la pandémie du coronavirus, au Sénégal. Ce week-end, le pays a perdu 5 patients. Si ce ne sont pas des personnes âgées, ce sont des patients présentant des comorbidités. C’est-à-dire qui ont d’autres pathologies graves. Suffisant pour le chef du Service de néphrologie de l’hôpital Dalal Jamm, Professeur Abdou Niang, interrogé par ‘’EnQuête’’, de sonner l’alerte aux malades chroniques.
Depuis le début de la crise sanitaire dans le monde, les rapports, les articles scientifiques et de vulgarisation n'ont de cesse d'expliquer tous les risques liés à l'infection à Covid-19. Des risques auxquels peuvent s’ajouter des facteurs de comorbidité. Au Sénégal, selon les données du ministère de la Santé et de l’Action sociale, 50 % de la mortalité est notée dans la prise en charge des cas graves. Presque la totalité des victimes avait des maladies sous-jacentes. Les autres étaient âgées de plus de 60 ans. Le virus Sars-CoV-2, responsable de la pandémie de la Covid-19, se propage très rapidement. Son infection peut être asymptomatique sur certaines personnes ; l'individu contaminé ne montre aucun signe, mais est tout de même vecteur de propagation.
Sur d'autres personnes déclarées positives, le virus agit plus ou moins sévèrement. Il est souvent très virulent sur les patients âgés souffrant déjà de maladies chroniques qui sont des facteurs d'aggravation de l'état de santé pouvant aller jusqu'au décès. On parle alors de facteurs de comorbidité.
De l’avis du chef du Service de néphrologie de l’hôpital Dalal Jamm, Professeur Abdou Niang, interrogé sur ces cas, il est temps que les professionnels de la santé et les populations se rendent compte de la gravité de la situation. Il n’y a pas encore, à son avis, un mot plus important que ‘’grave’’ pour qualifier la situation actuelle. Il faut, dit-il, lui donner ‘’toute la solennité et toute la rigueur’’ pour pouvoir faire face à la pandémie. Pour le problème des cas communautaires, il soutient que c’est le moment de dérouler toutes les stratégies qui vont permettre de sortir de ce guêpier. Car ‘’il y a une population de malades qui ont une susceptibilité plus importante par rapport à cette affection. Les insuffisants rénaux ont un risque six fois plus élevé de faire une forme grave de l’infection à virus Covid-19, de même que les malades qui présentent une insuffisance respiratoire chronique. C’est un terrain de prédilection. Au même titre que les diabétiques, les insuffisants rénaux, les patients obèses et les personnes âgées constituent des populations à risque’’, renseigne Pr. Niang.
Il souligne que les patients insuffisants rénaux sont souvent porteurs d’hypertension artérielle, en même temps de diabète, puisque ce sont les deux plus grandes causes d’insuffisance rénale chronique. ‘’C’est une population particulièrement exposée à la gravité de l’infection à Covid-19. Donc, dès qu’ils sont atteints, leur prise en charge est extrêmement, vraiment extrêmement compliquée’’, dit-il.
‘’Dès que ces personnes sont atteintes du coronavirus, leur survie est une chance’’
D’ailleurs, une source informe que c’est ce qui explique le nombre de décès, ce week-end, au Sénégal et surtout dans le monde. ‘’Dès que ces personnes sont atteintes du coronavirus, leur survie est une chance. Parce qu’on ne peut pas associer certains médicaments à ceux qu’elles prennent déjà. C’est vraiment difficile. Nous avons reçu des cas d’une extrême gravité. Des cas dont le traitement qui devait être fait n’est pas compatible à leur maladie. Pendant qu’on cherchait une solution alternative, ils ont rendu l’âme. C’est compliqué’’, confie notre source.
Pour éviter tous ces problèmes, la Société sénégalaise de néphrologie a émis des recommandations pour tous les malades qui souffrent de maladies rénales chroniques, qui soient dialysés ou qui soient transplantés ou avant ces différents stades de la maladie rénale.
Selon le professeur Abdou Niang, c’est d’abord que ces gens suivent les mesures générales appliquées à tous les malades. Ils doivent se protéger, dit-il, avec des masques au maximum, respecter les mesures barrières. Mais en plus, ‘’ces patients doivent être beaucoup mieux protégés. Nous leur avons recommandé le port du masque à chaque fois qu’ils sortent de leur domicile. On leur demande d’éviter tous les rassemblements. Parce que, très souvent, lorsqu’ils arrivent au centre de dialyse, ils se regroupent et discutent. Mais aujourd’hui les mesures de distanciation sociale imposent que ces malades mettent fin à ce genre de rassemblement dans le centre de dialyse et autres lieux’’, relève Pr. Niang.
Problèmes d’approvisionnement en médicaments
En outre, la Société sénégalaise de néphrologie déconseille à ses patients de fuir les centres de traitement, du fait de la peur d’aller l’hôpital. ‘’Lorsque ces malades fuient les structures de traitement, ils vont s’exposer aux complications de la sous-dialyse et aux complications de l’absence de dialyse qui peuvent être mortelles’’, précise le néphrologue. L’autre conseil s’adresse surtout aux patients qui sont transplantés rénaux. ‘’Ils sont sous traitement immunodépresseur. Avec ce traitement, baisse leur immunité, donc ils s’exposent aux complications graves de l’infection à Covid. C’est pour cette raison qu’on leur dit de maintenir leur traitement, mais aussi de tout faire pour avoir suffisamment de réserves de médicaments. Actuellement, nous avons beaucoup de problèmes d’approvisionnement, parce que, malheureusement, les immunosuppresseurs sont généralement importés. Le ministère de la Santé et la Pharmacie nationale d’approvisionnement sont en train de tout faire pour mettre à la disposition de ces malades ces médicaments immunosuppresseurs’’, rassure Pr. Niang.
Par ailleurs, le spécialiste évoque le cas des médicaments qui exposent ces malades à des complications graves de l’infection à Covid-19. C’est, selon lui, la prise d’inflammatoires non stéroïdiens par automédication. C’est pour cette raison, dit-il, qu’il demande aux malades de ne pas prendre de médicament qui n’est pas prescrit par le corps médical. ‘’Il y a beaucoup de débat aussi sur les médicaments qu’ils prennent pour leur hypertension. Les médicaments les plus prescrits dans le monde pour traiter l’hypertension, sont les inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC) et les antagonistes des récepteurs de l'angiotensine II (ARA- II). Mais jusqu’à présent, on recommande à ces malades de continuer à prendre leurs médicaments antihypertenseurs. S’ils ont des soucis, de se référer à leur médecin traitant. Ceci va leur permettre de traverser ces moments assez difficiles’’, tranche le néphrologue.
A ses yeux, le message essentiel pour ces malades qui sont les plus exposés, c’est de rester chez eux. ‘’Non seulement ils doivent rester chez eux, mais quand ils doivent sortir, il faut le faire pour des choses essentielles, indispensables. A part se rendre dans son centre de dialyse, toutes les visites d’ordre familial, festives doivent être abandonnées jusqu’à la fin de l’épidémie’’, recommande Pr. Niang.
VIVIANE DIATTA