Une aventure risquée
Avec la forte probabilité d’être jugé par contumace et d’être condamné sans possibilité de faire appel ou de pourvoi, Sonko semble mettre de l’eau dans son ‘’bissap’’, mais pose des conditions presque impossibles à satisfaire.
La grande interrogation, à 24 heures du procès, c’est si Ousmane Sonko va-t-il continuer de snober la justice ? Une chose est sûre : s’il suit les conseils de ses avocats, il va se présenter devant la Chambre criminelle, le mardi 23 mai 2023, pour faire face à la plaignante Adji Sarr. Le 8 mai dernier, suite au premier renvoi, le pool des avocats répondait à cette question, notamment par la voix de Maitre Youssoupha Camara : ‘’Tout dépend de ce qu’il recevra. S’il reçoit sa convocation, nous ses avocats, nous lui conseillons de venir. Mais il décidera.’’
Dans la foulée, la robe noire s’empresse de poser des conditions comme pour être en phase avec son client qui s’était radicalisé. ‘’Ousmane Sonko, précisait-il, n’a jamais refusé de venir. Il a fait une conférence de presse et il a expliqué pourquoi il a entamé la désobéissance civile. Parce que tout simplement ses droits ne sont pas respectés. Chaque fois qu’il est convoqué, sa maison est bunkérisée, son quartier barricadé. Chaque fois qu’il est convoqué, arrivé à la stèle Mermoz, il est brutalisé. Il a même fait l’objet d’une tentative d’assassinat. Si les conditions sont réunies, il sera là. Si les conditions ne sont pas là, il ne va pas venir’’, s’est-il répété.
Avant ces précisions faites devant le palais de Justice de Dakar par le pool des avocats de la défense, Maitre Said Larifou avait déjà annoncé la couleur depuis Paris. Exigeant lui aussi la garantie de conditions sécuritaires, il revenait sur les conditions requises par son client. ‘’D’abord, il faut qu’il soit convoqué. Ensuite, s’il est convoqué, M. Sonko se rendra au tribunal, si toutes les conditions de sécurité sont garanties. Tout le monde sait pourquoi il impose ces conditions’’.
Depuis, la ligne de défense officiellement proclamée est on ne peut plus claire. D’une part, Sonko ne veut pas passer pour un rebelle qui refuse de se soumettre aux institutions et aux lois de la République. D’autre part, il tente vaille que vaille de trouver des arguments juridiques légitimes pour expliquer sa volonté manifeste, à tort ou à raison, de ne plus déférer aux convocations de la justice. Ces raisons sont les suivantes : ‘’Le retrait immédiat de la logistique impressionnante transférée à Ziguinchor ; la libération de toutes les personnes injustement arrêtées et incarcérées, ainsi que l’arrêt de toutes les persécutions et poursuites contre toutes les personnes qui ont eu à exprimer leur opinion sur le fonctionnement des institutions ou sur l’urgence de mettre fin à tout ce qui envenime l’instabilité sociale actuelle dont l’État se trouve être le seul et unique responsable est une exigence de la nation’’, résumait Maitre Ciré Clédor Ly qui se proposait de traduire en langage juridique l’interview de son client diffusée dans Walf la nuit du vendredi au samedi.
En sus, Sonko et ses avocats exigent les conditions dans lesquelles le leader politique devrait répondre au tribunal. Autrement dit, il faudrait que Dame Justice se plie à la volonté du leader de Pastef pour qu’il réponde au tribunal. Ou plutôt pour que le maire de Ziguinchor accepte de recevoir sa convocation.
Cela dit, parmi les arguments avancés, certains sont difficilement conciliables.
En effet, tantôt Sonko invoque les dysfonctionnements de la justice pour expliquer sa décision d’entamer une désobéissance civique ou civile. ‘’Face à une justice injuste, instrumentalisée par l’Exécutif, face à un État injuste, violent, il n’y a qu’une solution et une réponse : c’est la résistance. Je rappelle encore une fois aux Sénégalais que nous avons une obligation patriotique de résister à la machine d’oppression du président Sall’’, disait-il, il y a une quinzaine de jours.
Malgré cette radicalisation, la justice continue de dérouler comme si de rien n’était. Ce qui peut être lourd de conséquences pour la défense, si le procès se tient dans ces conditions, car Sonko risque d’être jugé par contumace.
Dans sa note explicative, Me Ly précisait : ‘’... La contumace n’est rien d’autre que le défaut simple en matière criminelle avec cette différence qu’elle n’est susceptible ni d’appel ni de pourvoi en cassation et cette réserve qu’en cas d’arrestation ou de constitution de prisonnier, la condamnation est anéantie de plein droit, sauf si le contumax acquiesce de la décision qui a été rendue dans les 10 jours.’’ Cela pourrait peut-être expliquer les raisons pour lesquelles Sonko a revu son discours depuis quelque temps et ouvre de plus en plus une brèche pour répondre à la justice, en mettant en avant les raisons de sécurité et le respect de ses droits comme préalables à sa comparution.
Depuis qu’il s’est retranché à Ziguinchor, Ousmane Sonko et Cie ont dénoncé une volonté de l’État d’aller le cueillir par la force. Seulement, du côté de l’État, une telle version n’a jamais été confirmée. Le mardi 16 mai déjà, ‘’EnQuête’’ informait : ‘’Selon les dernières informations qui nous parviennent, aucune opération ne sera initiée contre lui, bien que cette option ait été envisagée. La liberté lui sera laissée de se présenter ou pas au procès…’’
Depuis lors, malgré l’intensité des échauffourées autour de sa maison à Ziguinchor, l’opposant radical n’a pas été interpellé.
Pour ses partisans, la volonté de l’État de l’arrêter ne fait l’ombre d’aucun doute, mais que c’est la détermination des populations qui les en empêche. Du côté des autorités, on invoque plutôt des nécessités de garantir l’ordre public pour justifier cette présence policière. ‘’Il n’a jamais été question de l’arrêter. C’est une décision que seul le juge peut prendre et ce n’est pas encore le cas. Ousmane Sonko veut créer à tout prix les conditions d’une insurrection. La vérité est que depuis 2021, il cherche à embraser le pays pour éviter de répondre à la justice’’, confie ce responsable, tout en assurant que l’arrestation de Sonko n’est pas à l’ordre du jour. ‘’S’il ne se présente pas, c’est simple, c’est au juge de décider s’il va délivrer une ordonnance de prise de corps ou le juger par contumace. Pas à l’autorité administrative’’.
L’autre bizarrerie de cette controverse, c’est la convocation d’Ousmane Sonko. Alors que du côté de la défense, on clame urbi et orbi que Sonko n’a jusque-là pas reçu une convocation régulière, l’autre camp l’accuse d’avoir organisé les conditions pour ne pas recevoir de convocation. ‘’Il ne s’est pas limité à se retrancher à Ziguinchor en fermant toutes les possibilités de lui remettre la convocation. Il a demandé à tous ceux qui sont susceptibles de la recevoir de refuser de prendre la convocation’’.
Par ailleurs, s’il y a une chose sur laquelle les parties semblent s’accorder, c’est que jusque-là, le président du tribunal, seul habilité à décerner une ordonnance de prise de corps, ne l’a pas encore fait.
Mor Amar