Les fronts internes de Macky Sall
Me Alioune Badara Cissé, Mimi Touré, Youssou Ndour, responsables apéristes en divergence...Les sorties se font bruyantes dans le camp présidentiel. Simple agit-prop médiatique ou authentique frustration de membres et soutiens ‘‘apéristes’’ ? Macky Sall n’a pas à s’inquiéter que de l’opposition pour 2019
Oublié les déclarations du ministre de l’Intérieur à l’émission dominicale ‘‘Cartes sur table’’ sur la 2Stv. La sortie de Youssou Ndour aura eu le mérite d’attiser un contre-feu médiatique à ‘‘l’incendie’’ allumé par Aly Ngouille Ndiaye, il y a une semaine. Le débat sur la transparence du processus électoral passe dans l’épaisseur du trait. Les propos sédatifs du roi du Mbalax sur son compagnonnage avec Macky Sall ont provoqué plusieurs réactions, mais aussi une grande déception après le ‘‘teasing’’ énorme en amont de sa diffusion ce dimanche dans l’émission ‘‘Face-to-Face’’.
Politiquement, c’est un non-évènement pour l’administrateur de l’Alliance pour la République (Apr) Pape Mael Thiam, par ailleurs premier vice-président du Haut Conseil des Collectivités territoriales (Hcct), qui estime qu’il n’y a aucun lien de causalité entre cette sortie médiatisée et de quelconques problèmes dans la mouvance présidentielle. ‘‘Il n’y a pas d’adéquation directe. On ne peut pas les mettre dans un même sac pour prouver un déficit de communication. Les membres de la coalition sont des entités juridiquement différentes ainsi que du point de vue fonctionnel. On ne peut pas faire une relation d’adéquation directe entre les déclarations de Youssou Ndour et un quelconque problème à l’Apr. C’est l’expression de l’ancrage de la mouvance présidentielle dans un esprit de démocratie’’, a-t-il déclaré hier au téléphone d’EnQuête. Mais de l’avis d’un autre observateur averti, le ministre conseiller Ndour désire bien quelque chose. Le politologue Babacar Justin Ndiaye, dans sa chronique hebdomadaire du lundi sur Dakaractu, estime que le message encodé est plus profond.
Youssou Ndour n’ambitionne ni plus ni moins que de conquérir la capitale sénégalaise avec les ennuis prolongés de Khalifa Sall. ‘‘Dans le volet des non-dits, on devine par intuition (sans instruire un procès en sorcellerie) une embuscade politique discrètement montée par Youssou Ndour, non loin du portail de la Mairie de Dakar qu’il n’entend pas laisser à l’APR dont il n’est pas membre. En résumé : le pays à Macky Sall, Dakar à moi, leader de Fekké. Pas de veto de l’APR contre mes ambitions dakaroises ! Sinon…La menace de dissidence est en filigrane dans les propos du Président du Groupe Futurs Médias’’, analyse BJN. Youssou Ndour qui a naguère théorisé la formule ‘‘Patron de Dakar’’ viendrait donc plonger dans une mare déjà peu spacieuse dans laquelle les cadors Abdoulaye Diouf Sarr et Amadou Ba baignent sans avoir l’opportunité de noyer électoralement le maire Khalifa Sall.
Si la situation semble ambiguë avec le ministre-conseiller et roi du Mbalax, elle a tendance à devenir de plus en plus ouvertement conflictuelle avec Me Alioune Badara Cissé. Le médiateur de la République assume sa rébellion interne au point que le très proche et influent député Farba Ngom a estimé hier dans le journal l’As que ‘‘Macky Sall doit (le) limoger de ses fonctions’’. ABC est un des fidèles de la première heure de l’Apr et cette légitimité lui confère une certaine liberté de ton qui lui a déjà valu sa place de chef de la diplomatie et de numéro 2 d’un parti dont la structuration n’est pas complètement arrivée à terme. ‘‘Ce qui s'était passé au mois de juillet lors des élections législatives, tout le monde sait que c'est anormal. Les cartes d'électeurs étaient introuvables.
gouvernement a le devoir de résoudre ce problème, parce que c'est inadmissible’’, avait-il affirmé le 25 février dernier. Même s’il a précisé que sa qualité de médiateur de la République, et donc de citoyen, l’a poussé à pareille déclaration, la braise qui dormait sous les cendres de sa première insoumission pourrait se raviver. L’administrateur de l’Apr calme le jeu et estime que ces manquements durant les Législatives avaient des effets sur l’opposition aussi bien que sur le camp présidentiel. Qu’un partisan influent de l’Apr fasse cette assertion ne l’inquiète pas outre mesure. ‘‘Ce n’est pas alarmant du tout. Nous de la mouvance présidentielle, nous avons énormément souffert des difficultés qu’il y avait relativement à la distribution des cartes. Il ne faut pas vendre l’idée que tous ceux qui n’ont pas reçu leurs cartes étaient de l’opposition. Ce n’est pas vrai ! Nous en avons souffert. Si tous les électeurs avaient reçu leurs cartes, est-ce que nous n’aurions pas atteint les 70%’’, se demande-t-il, trouvant injuste que les 6 500 000 inscrits passent par pertes et profits à cause de la réduction de la question électorale à la seule distribution des cartes.
‘‘Les querelles de positionnement sont au niveau local’’
A cela, il faudra ajouter une ancienne chef de gouvernement, Aminata Touré, dont la trajectoire politique a connu pratiquement le même parcours qu’ABC : sacre en tant que PM, désaveu après les Locales de 2014, puis recasement comme envoyée spéciale du président. Un poste qui a l’avantage de la garder dans le giron présidentiel tout en l’obligeant à mettre en veille des ambitions qu’on lui a prêtées. Les frustrations nées de sa mise à l’écart se sont traduites par une récente sortie sur le recouvrement des biens mal acquis, son seul dividende politique, divergent avec les chiffres du gouvernement. Ce qui a contraint l’attelage gouvernemental à des justifications successives et agressives envers Mimi Touré. Deux incendies internes mal éteints qui peuvent être dangereux pour Macky Sall qui n’a pas pour habitude d’intervenir dans les conflits familiaux ‘‘apéristes’’.
Outre ABC et Mimi, les tiraillements persistent. En dehors du département de Dakar, ses cadres sont pratiquement en divergence dans toutes les grandes circonscriptions électorales. Oumar Guèye et Ndiagne Diop sont à couteaux tirés à Rufisque tandis qu’à Pikine, Abdou Karim Sall et Abdoulaye Timbo sont en divergence. Dans le Nord, le ministre Abdoulaye Daouda Diallo et le Dg du Coud Cheikhou Oumar Hanne se disputent le département de Podor, alors qu’à Matam, Daouda Dia et Farba Ngom se livrent à une rude bataille. Mariama Sarr se coltine le trio Me Nafissatou Diop-Diène Farba Sarr-Awa Guèye à Kaolack, sans compter Mimi Touré ; le ministre de l’Industrie Moustapha Diop et le Dg des Domaines Mamadou Mamour Diallo se tiraillent à Louga, Aminata Tall et Dame Diop s’arrachent Diourbel. Pour toutes ces divergences, l’administrateur de l’Apr Pape Mael Thiam ne nie pas l’évidence et voit le verre à moitié plein. ‘‘Il ne faut pas semer la confusion. Les querelles de positionnement sont au niveau local et concernent certains de nos responsables qui sont très loin d’être candidats et qui sont tous derrière le président de la République. On aurait craint s’il y avait effritement de l’électorat de M. Macky Sall. Au contraire, tous les jours, c’est une augmentation de son assiette sociologique et c’est ce qui compte. La Présidentielle, ce n’est pas le rendez-vous des responsables locaux face au peuple. Macky Sall a pu cristalliser jusque-là l’intérêt de tous ces responsables’’, explique le premier vice-président du Hcct.
Les tiraillements de responsables de son parti, M. Thiam les explique par le dynamisme de l’Apr et invoque les manquements inhérents à toute organisation humaine. ‘‘S’il a existé dans l’histoire du monde une organisation humaine qui a fait l’unanimité parfaite de ses membres, intégrez-le dans l’article que vous publierez’’, avance-t-il, prenant en exemple les grands schismes dans l’Islam ou bien la mosaïque confrérique au Sénégal. ‘‘Que certains de nos responsables soient suffisamment engagés à imprimer leurs marques dans l’opérationnalisation de la vision à laquelle ils ont contribué à l’élaboration, c’est compréhensible qu’ils puissent se positionner quand il y a enjeu’’, relativise-t-il. Pape Mael Thiam est dans la certitude qu’à l’heure de dépasser les tendances égotiques, les responsables ‘‘apéristes’’ sauront se surpasser. ‘‘Chaque fois qu’il est question d’une problématique qui interpelle la personnalité du chef de l’Etat, et quelles que soient les querelles précédant l’échéance en question, le jour J, tous les membres de l’Apr se confondent en un seul homme. En témoignent les dernières Législatives, le dernier référendum’’, défend-il.
TROIS QUESTIONS A... Maurice Soudieck DIONE, Docteur en Sciences politiques Enseignant-chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis Après les sorties récentes de membres de la mouvance présidentielle, peut-on parler de frustrations dans les rangs de Macky Sall, ou juste d'une agitation médiatique ? Je crois qu’il convient de sérier les niveaux d’analyse. En vérité, par sa trajectoire, l’APR est un parti qui a accédé très tôt au pouvoir après seulement trois ans dans l’opposition. Dès lors, il semble que le Président Sall ait tiré toutes les leçons politiques de son expérience au sein du Parti démocratique sénégalais, en refusant au sein de son parti toute forme de bipolarité, en évitant l’émergence de personnalités d’envergure susceptibles de le concurrencer. Toute forme d’ambition pouvant gêner le chef a été très tôt étouffée dans l’œuf. Alioune Badara Cissé qui, à un certain moment, a été une forte personnalité de l’APR et qui s’est illustré dans les moments les plus difficiles à côté du Président Sall, a été écarté du pouvoir, notamment à Saint-Louis, au profit de Mansour Faye, de même qu’il a été évincé du gouvernement. L e poste de Médiateur de la République qui lui a été confié à travers le décret 2015-1150 du 05 août 2015 semble être une stratégie subtile pour le neutraliser et le mettre en dehors du champ politique. En effet, le Médiateur, aux termes de l’article 7 de la loi n° 99-04 du 29 janvier 1999, est inéligible au Parlement ou dans un Conseil de collectivité locale. Mais le Médiateur semble retourner contre le régime en place cette disgrâce politique, en instrumentalisant effectivement les garanties d’indépendance qui vont de pair avec cette fonction. En effet, le Médiateur est élu pour 6 ans non renouvelable, et il ne peut être mis fin à ses fonctions avant l’expiration de ce délai, sauf en cas d’empêchement constaté par un collège dirigé par le Président du Conseil constitutionnel, et comprenant le Premier président de la Cour suprême (article 5 de la loi 99-04). Le Médiateur bénéficie d’une immunité prévue à l’article 6, car il ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions qu’il émet ou des actes qu’il accomplit dans l’exercice de sa mission. Il n’en demeure pas moins que le Médiateur de la République, en ayant un discours virulent digne d’un opposant irréductible, semble s’écarter de ses missions qui, aux termes de l’article 1er de la loi n°99-04 du 29 janvier 1999, concernent les réclamations relatives au fonctionnement des administrations de l’État, des Collectivités locales, des établissements publics et de tout autre organisme investi d’une mission de service public. Ayant un pouvoir d’auto-saisine, le Médiateur contribue également à l’amélioration de l’environnement institutionnel et économique de l’entreprise. Son rôle est donc globalement de participer à la modernisation des services publics et à la correction des effets pernicieux de quelque application rigide de la loi, en tout ce qu’elle peut avoir d’inéquitable, et d’améliorer et harmoniser ainsi les rapports entre l’administration et les administrés, qui sont au cœur de la construction et de la consolidation de l’État de droit. En définitive, le comportement du Médiateur Alioune Badara Cissé peut s’analyser comme l’expression de la politisation d’une fonction essentiellement administrative, par un acteur politique qu’on a voulu écarter du jeu. La sortie de Youssou Ndour a beaucoup été commentée. Que faut-il en retenir ? En ce qui concerne Youssou Ndour, il a plutôt été bien servi par le régime du Président Sall qui lui a octroyé cumulativement deux grands ministères, le tourisme et la culture, alors même que beaucoup de critiques se sont élevées considérant qu’il n’avait pas le niveau intellectuel pour occuper de telles fonctions. En plus, il est toujours ministre-conseiller du Président et son groupe de presse a diversifié ses fréquences radio et télé, et il participe à l’animation de grands rendez-vous politiques ou autres organisés par le régime, et des membres de son mouvement occupent des positions de pouvoir. Donc sa déception semble difficilement compréhensible. Faut-il analyser ses frustrations présumées comme la résultante de tentatives d’endiguement de sa popularité susceptible d’être gênante, quoique n’ayant pas encore été éprouvée et quantifiée sur le terrain politique et électoral ? Ou alors faudrait-il apprécier sa sortie médiatique controversée par rapport à une stratégie de repositionnement, au cas où il y aurait un changement de majorité, pour éventuellement renouer plus facilement une alliance avec un éventuel régime arrivant, en raison de ses nombreux intérêts économiques ? Quoi qu’il en soit, toutes ces agitations médiatiques s’inscrivent dans la perspective de l’échéance électorale majeure qui pointe, à savoir la Présidentielle de 2019. Beaucoup d’autres responsables ‘‘apéristes’’ sont en conflit dans leurs localités. À quel point cette instabilité interne est-elle dangereuse pour la candidature de Macky Sall en 2019 ? Cette instabilité interne est dangereuse pour le Président Sall dans la mesure où ce sont des rébellions qui concernent son propre camp, dans un contexte où l’opposition significative semble être dans la radicalisation, avec la rupture du dialogue politique, au lendemain de l’organisation chaotique des élections législatives de 2017. De même, le procès de Khalifa Sall est considéré comme étant lié à des luttes de pouvoir au sein de Benno Bokk Yaakaar qui mettent en scène le maire de Dakar, le Premier secrétaire du Parti socialiste Ousmane Tanor Dieng et le Président Macky Sall. C’est aussi un contexte caractérisé par une certaine ébullition du front social, notamment avec la grève des enseignants. Donc, si avec la pauvreté qui se développe et le malaise social, on ajoute à tout cela des foyers de tension dans la coalition au pouvoir même, cela peut provoquer un effet domino d’une perte de représentativité et de légitimité du pouvoir en place. |