Entre mal d’amour et quête de foyer
Enfants disparus, enfants perdus ou enfants de la rue, des vocables différents qui désignent ces enfants en situation de vulnérabilité qui ont, aux yeux de la société, pactisé avec le diable. Des enfants qui ignorent le sens de la fête des mères célébrée ce dimanche.
Visage plus ou moins avenant, figure expressive, mais pleine de mystère, un rire ingénu parfois triste, les enfants étiquetés enfants de la rue ont leur propre monde. Un univers qui renvoie à l' image d'un enfer sur terre, quand ils évoquent leur parcours.
Leur enfance s'est écrite sous le sceau de la souffrance. Ils ont fricoté avec le mal pour avoir voulu s'épanouir loin d'une autorité qui cherche à briser leur envol. Comme l'explique le coordonnateur de l'association Avenir de l'enfant (Ade), El Hadj Mor Dione, ''ces enfants ne supportent plus l'autorité, ils refusent d'être sous tutelle, car ils sont des leaders dans la rue''.
Ces enfants traînent les stigmates d'une vie tumultueuse et se croient en mesure de puiser en eux les forces pour s'affirmer dans la société. Mais, il suffit de les écouter pour se rendre compte que derrière ce masque, se trouvent des êtres en quête d'affection et de reconnaissance.
''Je me sens étranger dans ma propre famille''
Pape est en apprentissage pour être soudeur métallique. Ce jeune de 20 ans, élancé, séduit par sa vivacité d'esprit. Il a de la prestance. Il donne l'air d'un garçon disposant d'une bonne éducation tant il est correct. Pape se considère comme un pur produit de l'école de la vie.
A Rufisque, plus particulièrement dans les Hlm où il travaille dans un atelier de menuiserie métallique, il jouit d'une bonne cote de popularité. Ses ''tuteurs'' posent sur lui un regard plein d'estime. Il travaille, pratique du sport à ses heures perdues et, le soir, il retrouve les siens dans la cité Avenir de l'enfant (Ade), du nom de la bâtisse qui leur sert de foyer. C'est aussi le siège de l'Ong du même nom. Des enfants semblent y retrouver leurs repères. Comme Pape, ils ont fugué de leur école coranique ou de leur foyer à cause de brimades, d'abus sexuels ou de marginalisation dont ils ont fait l'objet.
''Quand je suis retourné chez mes parents, mon père a tenu à ce que je réintègre à nouveau l'école coranique ou daara, qui était cauchemardesque. Il n'était pas prêt à lâcher du lest, je n'étais pas disposé à lui offrir ce plaisir. Je me suis retrouvé dans la rue'', confie le jeune garçon.
Et c'est le début d'une série de tristes expériences, avec l'exposition à l'usage de la drogue, au vol et aux bagarres qui conduisent souvent aux meurtres. Des images sombres encore imprimées dans son esprit qu'il essaie d'évacuer. ''La vie dans la rue est un cauchemar'', se limite-t-il à dire. Grâce à l'Ong Ade, le jeune Pape est de nouveau en contact avec sa famille biologique. Mais sa voix trahit la sensation de solitude qui l'envahit. ''Je passe souvent les week-end chez ma famille, mais je me sens comme un étranger là-bas. J'y vais depuis des années, mais, je ne suis pas en mesure de vous dire le nom de mes frères et sœurs. Je n'ai retenu que celui d'une de mes grandes sœurs qui me porte au moins attention, ma maman, aussi, me prête une petite oreille attentive.''
L'ombre du passé
Ces enfants, en situation de vulnérabilité, font souvent face au rejet d'une partie de la société en raison du poids de leur passé. ''On nous assimile à tort à des délinquants. Nous essayons de lutter contre ces clichés, par le biais d'une conduite exemplaire'', confie Issa. Ce jeune de 18 ans, taciturne, est placé en apprentissage professionnel dans un atelier de couture. Il tonne d'un ton ferme que jamais il ne retournera vivre chez sa famille établie dans la ville religieuse de Touba. Ses pairs le présentent comme un habitué de la mosquée. Nous l'avons rencontré à la mosquée de la cité Gabon, où il venait d'effectuer la prière du crépuscule. ''Chez moi, je suis constamment brimé pour un oui ou un non. Je ne suis pas pressé de retrouver cette situation''. Cette phrase revient comme un leitmotiv dans la bouche des enfants de la rue.
Leurs efforts, pour polir leur image, ne sont pas toujours fructueux, du moins auprès de leur voisinage. À titre d'exemple, à Rufisque, des populations opposent leur veto au nom Cité Avenir de l'enfant (Ade) attribué à la localité. Or, c'est le souhait ardent de l'Ong qui a été la première à s'y implanter. Pour l'heure, le bâtiment de deux étages, où est écrit en gros lettres : Cité Ade, sert uniquement de repère au visiteur.
''Je vivais de la vente de drogue''
A 22 ans, Mamoudou a une vie riche en suspens. Après 5 pénibles années passées dans un daara, Il a fini par prendre la clé des champs. Il avait à peine 10 ans. ''Je n'ai rien appris là-bas'', confie-t-il aux animateurs qui l'ont recueilli. Devant le refus de ses parents de cautionner sa décision de mettre un terme à cet enseignement coranique, il s'est retrouvé dans la rue où il mènera une vraie vie de délinquant qui le conduira à maintes reprises à la prison des enfants, puis à Rebeuss. ''A la suite de mon dernier séjour carcéral, raconte-t-il, des enfants de la rue m'ont proposé un travail qui consistait à vendre de la drogue. J'ai débuté avec une modique somme et, chaque jour, j'allais m'approvisionner avec une cinquantaine d'enfants au marché Sandaga. Je pouvais gagner au moins 20 000 F Cfa par jour''.
Comme par miracle, cette vie de débauche le dégoûte du jour au lendemain. Il aspire à une vie plus sereine. ''J'ai éprouvé le besoin de mener une vie normale, entouré de ma famille. Depuis mon retour en famille, je me sens en sécurité''. Le jeune est aujourd'hui un ''laveur de voitures''.
''La rue est un lieu d'expression de notre ras-le-bol''
La plupart des enfants de la rue rechignent, pour autant, à retrouver le cocon familial en raison de l'extrême pauvreté dans laquelle nage leur famille, ou de l'autoritarisme d'un père qui veut leur imposer un enseignement coranique ou l'exercice d'un métier. ''L'enfant est régulièrement en confrontation avec son patron. Il n'a aucunement l'intention de rester, il fugue''. Du coup, ''ces enfants recherchés par leurs parents cachent leur identité ou soulignent qu'ils n'ont plus l'attache de leurs géniteurs'', explique le coordonnateur de l'Ong Ade, El Hadji Mor Dione. Or, précise-t-il : ''Le plaisir de ces enfants qui vivent en situation délétère est éphémère. Il arrive qu'ils perdent la vie, suite à des bagarres ou suite à une maladie qu'ils ont longuement traînée à cause d'une automédication.''
Dans ce lot d'enfants en rupture avec leur famille, figurent ceux qui sont issus de familles monoparentales ou recomposées. ''Ce manque d'affection parentale impacte sur leur personnalité. D'autres désertent la maison, parce que leur maman n'arrive pas à joindre les deux bouts''. Et d'ajouter : ''On dit que la rue n'est pas bonne, mais il faut relativiser. Pour ces enfants qui ne trouvent pas leurs repères chez eux, la rue est meilleure. Elle n'est pas mauvaise en soi. Il ne faut pas perdre de vue qu'elle est le lieu d'expression de nos sentiments. En témoignent les manifestations, lors de la présidentielle de 2012 à la place de l'obélisque. Le peuple a choisi la rue pour exprimer son ras-le-bol et exiger le départ de Wade.''
Par ailleurs, le coordonnateur de l'Ong Ade rappelle que les enfants, victimes d'agressions sexuelles, fuient leur bourreau puisque leurs plaintes auprès de leurs parents sont vaines. Pour M Dione, ''un enfant dans la rue ne peut être, en aucun cas, heureux. Notre mission consiste à leur faire comprendre que le foyer est meilleur que la rue, quelles que soient les conditions d'hébergement du centre d'accueil''.
La vie dans leur foyer d'accueil
Cité Gabon, Rufisque, 19 heures. Le quartier affiche un calme plat différent de la belle ambiance au foyer d'accueil de l'Ong Ade. Des enfants, le visage radieux, la mine resplendissante, s'éclatent. Mais l'un d'entre-eux prend panique à notre apparition. Il a 5 ans. ''Vous êtes venus nous chercher, nous ne voulons pas rentrer'', dit-il d'une voix tremblotante, avant de se réfugier derrière celle qu'il surnomme ''Yaye''.
Au même moment, un jeune garçon du même âge sautille de joie à l'idée de retrouver les siens. Ce petit sourd-muet de 6 ans a été placé dans ce foyer par la police qui l'a recueilli dans la rue. Il s'était égaré une semaine avant. Mais expliquent les responsables du centre, ''on va contacter ses parents, l'avis de disparition vient de passer sur la télévision nationale''. Le jeune garçon est le fils d'un gendarme.
En effet, des enfants portés disparus et recueillis par les limiers sont la plupart orientés vers ces structures d'accueil. Et nous souffle-t-on, au niveau du commissariat central, ''la police, encore moins la gendarmerie, n'est pas une garderie d'enfants. Dès qu'on reçoit ce genre de dossier, on le transmet directement vers ces centres. Jamais vous ne verrez d'enfants traîner ici''.
Dans ce foyer qui resplendit de propreté, les enfants respectent l'autorité et se réconcilient avec les normes sociales, même si la nostalgie de la vie en famille se lit dans leur regard. C'est avec plaisir, que ces enfants âgés entre 3 et 18 ans se plient aux ordres de leurs tuteurs. Ils sont partagés entre tâches ménagères, études et sport. Ils essaient de se reconstruire une vie, après avoir été tirés des griffes des proxénètes, des délinquants, voire des trafiquants d'enfants.
Si le retour dans les familles est irrévocable, il faut s'attendre, souvent, à des récidives. ''Un enfant qui a goûté les délices de la vie dakaroise a du mal à s'adapter au village.»
MATEL BOCOUM