Entre suivisme et désaveu
''J’ai voté pour Niasse au premier tour malgré l’appel au vote de notre guide en faveur de Wade. J’ai été guidé par ma fibre patriotique. Car comme les jeunes de mon âge, je voulais d’un réel changement. Je n’ai pas voulu accorder du crédit à cette consigne de vote…''
Amadou Sall, nom d’emprunt, fait partie de ces jeunes qui ont soif d’un meilleur système politique. Pour ce, il a eu à prendre, lors du premier tour, le contre-pied de son guide spirituel. Avec force arguments, il a remis en cause, comme d’autres jeunes talibés, les capacités d’influence électorale de ceux-là chargés de les orienter vers le chemin de la vertu. Pour eux, il y a une ligne de démarcation que les marabouts ne doivent pas franchir.
Seulement, leur sensibilité religieuse a fini par prendre le pas sur leur citoyenneté. Ils pensent avoir commis une fatale erreur. Tels des disciples qui s’étaient égarés, ils regrettent d’avoir dévié du droit chemin.
''J’ai l’impression d’avoir trahi le Cheikh''
''Je m’en veux, j’ai l’impression d’avoir trahi mon guide en votant pour Niasse. Je me suis rendu compte que je n’avais pas le droit de banaliser son ndigël.» Le jeune Amadou, 30 ans, s’est résolu, maintenant, à suivre aveuglément les injonctions du «Cheikh», même s’il reconnaît que «le peuple ne veut plus de Wade». Mais dit-il, «je n’ai pas le choix. Nous avons le devoir de nous ranger derrière Serigne Béthio qui est plus qu’un guide et un parent pour nous. Voguer à contre-courant de ses ordres reviendrait à affaiblir son pouvoir. Nous n’avons pas le droit de lui porter préjudice ; Nous sommes unis à Béthio pour le meilleur et pour le pire».
''Serigne Béthio incarne notre âme''
Des thiantacounes servent le même discours, avec une forte conviction et le regard foudroyant. Même s’ils offrent l’image d’automate, ils assument leurs croyances aveugles au marabout. «Ses recommandations ont, pour nous, la même valeur que les 5 prières quotidiennes. Que Wade soit président ou pas, peu importe pour nous. Serigne Béthio Thioune incarne notre âme dans cette vie et dans l’au-delà. Nous avons signé un pacte d’allégeance avec lui et jamais nous ne violerons ce pacte pour quelques considérations que ce soit», explique le jeune Mamadou Ndao, 25 ans, qui est très expansif quand il est question de vanter les vertus et la dimension spirituelle de son mentor.
Dans ses yeux brille une certaine détermination. «Wade a la bénédiction de Serigne Saliou, nous avons la certitude (yaxiin) qu’il va remporter les élections. Personne ne pourra le contester. Sa victoire est réelle» dit –il avec un regard qui trahit une certaine défiance à celui qui ose marcher sur leurs plates-bandes. «Les Sénégalais, pour la plupart, ignorent le caractère sacré du ndigël, ils ont intérêt à faire preuve de retenue», lâche-t il.
Les brebis galeuses victimes d’intimidations….
Toutefois d’autres disciples sont loin de partager ce point de vue. Ces intellectuels réitèrent leur attachement et leur respect à Cheikh Béthio Thioune, mais ils soulignent : «La consigne de vote n’engage que le marabout. De toute façon, nous sommes attachés aux enseignements et aux préceptes de Serigne Touba qui est le guide suprême des Mourides». Un jeune cadre assume sa liberté de penser et d’agir. «Même si je suis un thiantacoune, je désavoue notre guide. Je ne vois pas pour quel intérêt je devrai voter pour Wade qui est à mon avis la source de tous les maux dont souffrent les populations sénégalaises.» Il n’est pas le seul, d’autres n’ont pas voulu s’afficher, parce que tenaillés par la peur de subir des représailles. «Nous sommes depuis quelque temps l’objet de toutes sortes d’intimidations. On nous accuse d’être des anti-Wade, voire des anticonformistes. Mais nous n’accepterons pas d’être influencés dans notre choix électoral.»
MATEL BOCOUM